Doan Bui est grand reporter au Nouvel Obs. Elle vient d'écrire un livre sur l'histoire de son père, dont elle ne connaissait que quelques bribes avant d'entreprendre cette plongée qu'elle sous-titre enquête sur mon père, cet inconnu.
Née en France au milieu des années 1970, elle est l'aînée des cinq enfants d'un couple originaire du Vietnam. Elle a grandi au Mans avant de poursuivre ses études à Paris. Dans son nouveau livre, la journaliste, Prix Albert-Londres en 2013, mène une enquête passionnante sur ses origines et sur la vie passée de son papa, victime d'un AVC en 2005 et aujourd'hui condamné au silence.
Il faut dire qu'en terme de révélation, elle aura son compte. Et on peut s'interroger sur ce silence paternel qui conduira à un mystère autour d'un secret familial, lui-même se doublant du poids de la perte de son dernier enfant.
On apprend (p. 30) que Baudelaire devint lui aussi aphasique après un AVC ... enfermé dans sa solitude ... au supplice de comprendre et de ne pouvoir répondre. Comme Ravel. Et on partage la compassion de Doan Bui à l'égard de celui dont les mots se sont envolés comme des oiseaux gracieux.
On pourrait se demander quel fut le réel élément déclencheur car sa mère si bavarde s'est murée elle aussi dans le silence. (p. 20) C'était son bouclier dans la tristesse. Ma mère est d'une génération et d'une culture où l'on ne parle pas. Parler c'est perdre la face (...) un truc de français.
Je ne suis pas certaine que cette manière de se draper dans le silence soit si typiquement vietnamienne. Je pourrais dire la même chose à propos de ma famille qui n'a pourtant aucune racine étrangère. C'est vraiment une question de génération et de circonstances.
Pareillement pour l'exigence de voir son enfant monter au tableau (p 52). Elle pointe que ses parents ne vibraient que pour les diplômes, les titres, les récompenses (...) c'était réparer l'outrage d'avoir perdu et quitté son pays.
Mon propre père était dans la même rigidité comme tous ceux qui se sont trouvés "immigrés" dans leur propre pays, contraints de quitter une campagne qui ne pouvait pas nourrir tous les enfants et se frotter aux codes de la ville où ils se sentaient comme "déclassés". Quand il arriva en région parisienne, mon père parlait essentiellement patois. Il a appris le français à l'âge adulte.
Un des aspects particuliers du livre de Doan Bui est de nous éclairer néanmoins sur la manière asiatique de considérer les choses puisque par exemple la langue vietnamienne ignore le "je" et les enfants portant le même nom on les distingue par un numéro. Et surtout elle resitue la trajectoire de ses parents dans le tourbillon de l'Histoire. Elle analyse d'autant plus finement les choses qu'elle les découvre à l'âge adulte, et avec la manière de penser propre aux journalistes : J'ai aimé étudier l'Histoire dans mes manuels d'écolière (...) j'ai écouté des dizaines d'exilés, étudié toutes les guerres et compulsé beaucoup de récits avec fascination mais je ne savais rien de l'histoire du Vietnam ni surtout de celle de mes parents. (p. 58)
Ce sont des survivants d'un monde perdu, celui d'avant le 30 avril 1975 (p. 112) et il faut lire avec attention sa reconstitution des épreuves du dossier de naturalisation française et les analyses de l'administration. Son père semble alors le plus "français" des deux. On s'interroge avec elle sur les qualités qui permettent de juger qui de l'un ou de l'autre serait le plus intégrable.
Ils furent les premiers asiatiques à s'installer au Mans et non en région parisienne. Arrivés en avion, avec des enfants nés sur le sol français, ils n'avaient rien à voir avec les boat people. Mais les petits Bui bénéficièrent de cette compassion accordée par contagion. Il n'empêche qu'ils appartiennent à la plus invisible des minorités visibles (à l'inverse des Blacks et des Beurs qui se font remarquer à coté des Blancs), désintégrée à force de vouloir être intégrée.
Elle parle peu de l'Asie mais nous offre quelques jolies lignes (p. 62) sur les arbres et les odeurs des marchés. Et c'est une image de mobylette (en réalité un Vélosolex) d'une balade racontée p. 173 qui a été choisie pour illustrer la couverture.
Comme Eloïse Lièvre avec des photos réelles, ou Isabelle Monnin avec un lot acheté aux Puces (Des gens dans l'enveloppe, chez JC Lattès), Doan Bui adopte le regard du photographe pour révéler le passé.
Une photo, c'est une tombe qui tient dans la poche, et garde la trace d'instants évanouis. (p. 130) Au Vietnam, nous apprend-elle, on ne fête pas les anniversaires de naissance mais de décès.
Le silence de mon père dégage une grande sagesse. Les mots auront été dits pour clarifier le passé de et ramener les chers disparus à la surface mais en grande philosophe Doan Bui songe que les mots s'effaceront eux aussi. La mer avalera tout.
Née en France au milieu des années 1970, elle est l'aînée des cinq enfants d'un couple originaire du Vietnam. Elle a grandi au Mans avant de poursuivre ses études à Paris. Dans son nouveau livre, la journaliste, Prix Albert-Londres en 2013, mène une enquête passionnante sur ses origines et sur la vie passée de son papa, victime d'un AVC en 2005 et aujourd'hui condamné au silence.
Il faut dire qu'en terme de révélation, elle aura son compte. Et on peut s'interroger sur ce silence paternel qui conduira à un mystère autour d'un secret familial, lui-même se doublant du poids de la perte de son dernier enfant.
On apprend (p. 30) que Baudelaire devint lui aussi aphasique après un AVC ... enfermé dans sa solitude ... au supplice de comprendre et de ne pouvoir répondre. Comme Ravel. Et on partage la compassion de Doan Bui à l'égard de celui dont les mots se sont envolés comme des oiseaux gracieux.
On pourrait se demander quel fut le réel élément déclencheur car sa mère si bavarde s'est murée elle aussi dans le silence. (p. 20) C'était son bouclier dans la tristesse. Ma mère est d'une génération et d'une culture où l'on ne parle pas. Parler c'est perdre la face (...) un truc de français.
Je ne suis pas certaine que cette manière de se draper dans le silence soit si typiquement vietnamienne. Je pourrais dire la même chose à propos de ma famille qui n'a pourtant aucune racine étrangère. C'est vraiment une question de génération et de circonstances.
Pareillement pour l'exigence de voir son enfant monter au tableau (p 52). Elle pointe que ses parents ne vibraient que pour les diplômes, les titres, les récompenses (...) c'était réparer l'outrage d'avoir perdu et quitté son pays.
Mon propre père était dans la même rigidité comme tous ceux qui se sont trouvés "immigrés" dans leur propre pays, contraints de quitter une campagne qui ne pouvait pas nourrir tous les enfants et se frotter aux codes de la ville où ils se sentaient comme "déclassés". Quand il arriva en région parisienne, mon père parlait essentiellement patois. Il a appris le français à l'âge adulte.
Un des aspects particuliers du livre de Doan Bui est de nous éclairer néanmoins sur la manière asiatique de considérer les choses puisque par exemple la langue vietnamienne ignore le "je" et les enfants portant le même nom on les distingue par un numéro. Et surtout elle resitue la trajectoire de ses parents dans le tourbillon de l'Histoire. Elle analyse d'autant plus finement les choses qu'elle les découvre à l'âge adulte, et avec la manière de penser propre aux journalistes : J'ai aimé étudier l'Histoire dans mes manuels d'écolière (...) j'ai écouté des dizaines d'exilés, étudié toutes les guerres et compulsé beaucoup de récits avec fascination mais je ne savais rien de l'histoire du Vietnam ni surtout de celle de mes parents. (p. 58)
Ce sont des survivants d'un monde perdu, celui d'avant le 30 avril 1975 (p. 112) et il faut lire avec attention sa reconstitution des épreuves du dossier de naturalisation française et les analyses de l'administration. Son père semble alors le plus "français" des deux. On s'interroge avec elle sur les qualités qui permettent de juger qui de l'un ou de l'autre serait le plus intégrable.
Ils furent les premiers asiatiques à s'installer au Mans et non en région parisienne. Arrivés en avion, avec des enfants nés sur le sol français, ils n'avaient rien à voir avec les boat people. Mais les petits Bui bénéficièrent de cette compassion accordée par contagion. Il n'empêche qu'ils appartiennent à la plus invisible des minorités visibles (à l'inverse des Blacks et des Beurs qui se font remarquer à coté des Blancs), désintégrée à force de vouloir être intégrée.
Elle parle peu de l'Asie mais nous offre quelques jolies lignes (p. 62) sur les arbres et les odeurs des marchés. Et c'est une image de mobylette (en réalité un Vélosolex) d'une balade racontée p. 173 qui a été choisie pour illustrer la couverture.
Comme Eloïse Lièvre avec des photos réelles, ou Isabelle Monnin avec un lot acheté aux Puces (Des gens dans l'enveloppe, chez JC Lattès), Doan Bui adopte le regard du photographe pour révéler le passé.
Une photo, c'est une tombe qui tient dans la poche, et garde la trace d'instants évanouis. (p. 130) Au Vietnam, nous apprend-elle, on ne fête pas les anniversaires de naissance mais de décès.
Le silence de mon père dégage une grande sagesse. Les mots auront été dits pour clarifier le passé de et ramener les chers disparus à la surface mais en grande philosophe Doan Bui songe que les mots s'effaceront eux aussi. La mer avalera tout.
Le silence de mon père de Doan Bui, l'Iconoclaste, en librairie depuis le 23 mars 2016
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