Horror est un spectacle à part, à la frontière du théâtre (c'en est), de la danse, du mime, voire du cirque et surtout de la parodie des films d'horreurs dont l'auteur et metteur en scène Jakop Ahlbom reprend tous les codes.
Ça commence en douceur sur la musique de Home de Henry Hall & His Gleneagles Hotel Band (1980). Un éclair résonne. Un orage s'abat sur une maison inhabitée depuis longtemps à en juger par les draps qui protègent les meubles.
Notre cerveau commence à interpréter les signes qui lui sont présentés. Une jeune fille en ciré rouge, comme la cape du Petit Chaperon, arrive pour se mettre à l'abri et se trouve face à face avec un fantôme le couteau à la main.
Elle tourne une boite à musique (douce, la musique), accroche un cadre. Les photos s'agitent derrière son dos. Deux autres encapuchonnés de rouge la rejoignent. On pourrait croire que les trois amis reviennent à l’orée d’une épaisse forêt chargée de secrets, dans une maison qu'ils ont connu enfants, et qui est depuis longtemps inoccupée. L'un d'eux s'amuse à les filmer. Ce qui ressemble à un jeu d'adolescents pourrait virer vinaigre quand un gars se saisit d'une hache.
Les draps sont mis au placard. Le cadre se fracasse au sol. La télévision s'allume à retardement. On reconnait un extrait de Casablanca. La télévision regarde autant le spectateur que le téléspectateur la regarde dans une sorte d'effet miroir. La radio est forte. Ils ne se sont toujours pas parlé. La tension est montée d'un cran.
Les bizarreries vont s'enchainer avec des accélérations mémorables qui surpasse très largement une pièce comme la Dame blanche au Palais-Royal. Aucun mot ne sera échangé, faisant de ce spectacle une soirée d'audience absolument internationale. C'est du théâtre sans paroles, mais pas sans cris.
Apparitions, disparitions, télékinésie, cascades et effets spéciaux dignes du cinéma vont s'enchainer à très grande vitesse. On verra une main coupée se mettre à bouger toute seule. On assistera à une noyade dans une baignoire, pile au moment où on commence à trouver étrange que cet élément n'ait toujours pas servi.
Les scènes se déroulent sur des espaces scéniques qui se situent à des niveaux différents, à l'instar des modes narratifs, illustrant ainsi la résurgence de possibles souvenirs. Notre perception d’une réalité tangible vacille régulièrement.
A propos de cette création Jakop Ahlbom précise que dans sa jeunesse, il dévorait tous les films d’horreur qu'il trouvait : J’en aimais l’absurde, le fantastique, les effets spéciaux, la sensation inquiétante que tout pouvait arriver, et la montée d'adrénaline que cela déclenchait. J'étais aussi attiré par l'humour noir de ces films, le mélange du slapstick et du surréaliste, captivant et terrifiant tout à la fois.
Il s'est inspiré des films de Méliès, Hitchcock, Kubrick, Carpenter ou Polanski et s'est spécialisé dans le genre mais ceux qui le connaissent affirment qu'il s'est surpassé pour Horror. La construction de la narration est rigoureusement théâtrale. La maîtrise des artifices scéniques et des ressorts dramaturgiques offre une multitude de niveaux de compréhension d’une histoire à la vérité complexe qui résonne encore longtemps après la représentation.
Ses comédiens parviennent quasiment à se dédoubler. Ils ne sont "que" 8 et tous formidables. Certains semblent modelés dans du caoutchouc, et leur agilité est un atout pour se glisser dans des interstices du décor. La bande son est essentielle. Il ne faut pas s'effrayer de la quantité d'hémoglobine qui est utilisée sur le plateau. Le metteur en scène a du avoir un prix de gros.
C'est fantastique avant tout. La peur n'est pas réellement éprouvée dans le public parce qu'on n'oublie pas que c'est du théâtre. Et c'est peut-être une raison qui milite pour l'absence de dialogue. sauf à la toute fin, avec cette phrase décalée, ultime humour noir : We make people happy !
Et c'est vrai !
Jakop Ahlbom est né en 1971 à Stockholm. Il étudie le mime à la TheaterSchool Arts d’Amsterdam où il obtient le prix Top Naeff à la fin de ses études, en 1998. Il travaille alors comme interprète et parfois chorégraphe ou metteur en scène avec des artistes et des compagnies renommés. Il réalise sa première création réellement personnelle en 2000, Stella Maris. Horror, imaginée en 2014 est la dixième.
Ses spectacles sont programmés sur de nombreuses scènes internationales et régulièrement récompensés. Après la Villette dont la dernière représentation a eu lieu cette après-midi, Horror est programmé le 14 avril à Amsterdam. La saison 2016-2017 est en construction et il est très probable que les parisiens puissent le revoir. J'en donne plus loin les dates déjà acquises.
D'ici là et pour vous entrainer à jouir de cet état si particulier je vous conseille d'aller faire un tour au Manoir de Paris. C'est tout aussi bluffant.
Horror du 30 mars au 3 avril, Paris, La Villette Festival 100%
Un spectacle écrit et dirigé par Jakop Ahlbom
Avec Judith Hazeleger ou Andrea Beugger, Silke Hundertmark, Sofieke de Kater, Gwen Langenberg, Yannick Greweldinger, Reinier Schimmel, Luc Van Esch, Thomas Van Ouwerrkerk.
Dramaturgie : Judith Wendel
Effets spéciaux et maquillage: Rob Hillenbrink
Horror du 30 mars au 3 avril, Paris, La Villette Festival 100%
Un spectacle écrit et dirigé par Jakop Ahlbom
Avec Judith Hazeleger ou Andrea Beugger, Silke Hundertmark, Sofieke de Kater, Gwen Langenberg, Yannick Greweldinger, Reinier Schimmel, Luc Van Esch, Thomas Van Ouwerrkerk.
Dramaturgie : Judith Wendel
Effets spéciaux et maquillage: Rob Hillenbrink
La tournée 2016-17 s'arrêtera les 18 & 19 janvier à Bayonne (64), Scène nationale, les 24 & 25 à St Médard (33), Le Carré, le 27 janvier à La Rochelle (17) Scène Nationale et le 2 février à Colombes (92) L’Avant-Scène.
Les 9 & 10 mars 2017 le spectacle sera joué au Théâtre de Rueil Malmaison (92) et le 12 mars à La ferme du Buisson de Noisiel (77)
A partir de 15 ans
Les photographies sont de Sanne Peper.
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