Quand on lit un roman étranger, il est précédé de sa réputation, théoriquement bonne car on ne traduit pas les navets. Voilà pourquoi certaines lecteurs orientent systématiquement leur choix vers cette catégorie.
Je n’apprécie guère les romans policiers. Je suis bien entendu influencée par le fait que Arttu Tuominen a reçu le «Grand Prix finlandais du meilleur polar 2020», sélection du «Prix Clé de verre 2021» du meilleur polar Scandinave, pour son premier roman, Le Serment (publié en France en 2021) et que le second, La revanche, est le premier roman finlandais à recevoir le prestigieux Prix Palle Rosenkrantz du Meilleur roman policier, décerné par l’Académie danoise des auteurs policiers, et qui récompense les plus grands auteurs internationaux comme James Ellroy. Tout ceci me met disons en bonne disposition.
Je l’ai lu sous la forme d’épreuves non corrigées et j’ai été très satisfaite de cette découverte. D’abord parce que le style est très fluide. Je n’ai jamais eu envie d’abandonner cette histoire qui pourtant se déroule dans un milieu qui ne m’est pas proche, celui de la communauté LGBTQIA+. Et surtout bien que le livre s’avère davantage être un livre militant, un roman social, qu’un roman policier.
Quand une boîte de nuit fréquentée par la communauté LGBTQIA+ est touchée par une explosion dans la petite ville finlandaise de Pori, l’inspecteur Henrik Oksman, de la brigade criminelle, est chargé de l’enquête. Mais il ne s’agit pas d’une affaire comme les autres pour Oksman. Présent dans le club ce soir-là, il a quitté les lieux en compagnie d’un autre homme quelques instants avant l’attentat. A mesure que l’enquête avance, Oksman se retrouve déchiré entre sa vie intime, qu’il a toujours su préserver, et son sens du devoir.
Une fois l’attentat commis le lancement de l’enquête est impressionnant, plaçant le lecteur au cœur du dispositif. A plusieurs reprises on constatera combien l’auteur s’est documenté sur le sujet. Il a de fines connaissances du processus d’interrogatoire (p. 349).
Les lecteurs déjà convaincus ont sans doute eu le plaisir de retrouver le commissaire Paloviita et deux de ses collègues, Oksman et Linda, sur cette nouvelle enquête. Pour ma part j’ai énormément apprécié Henrik Oksman, surnommé le Bœuf détesté (p 48). Son cerveau est capable de fonctionner à cent à l’heure et il tourne en sur régime sous sa carapace. C’est agréable de le suivre à cette vitesse et ça offre à l’auteur l’avantage de pouvoir accélérer la résolution de son enquête lorsqu’il le décide, en évitant qu’elle ne déborde au-delà des 500 pages.
Je ne connaissais pas la ville de Pori (jumelée avec Mâcon) où se déroule l’affaire. Située au sud-ouest de la Finlande, elle est peuplée de 76 200 habitants, dont l’immense majorité a le finnois pour langue maternelle. Il ressort de mes recherches qu’elle a connu au fil des siècles de nombreux incendies très violents, la réduisant périodiquement en cendres, ce qui a pu influencer l’auteur.
Dès la fin du XVIII° siècle, l'installation d'usines textiles marque le début de l'industrialisation. La Révolution industrielle transforme Pori en un centre industriel majeur à l'échelle de la Finlande, doté en 1900 d'industries variées dominées par le bois, les métaux et le textile. La ville conserve aujourd'hui cette tradition industrielle et reste soumise politiquement aux partis de gauche (en particulier les Sociaux-démocrates).
Je me suis intéressée à cette ville à cause de cette mention (p. 76). Paloviita songea que l’endroit, comme toute la zone industrielle, reflétait bien l’identité de Pori. Usines et entreprises s’éteignaient comme des ampoules électriques et personne ne faisait rien pour l’empêcher. (Et je ne peux pas éviter de considérer combien c’est différent dans une région pourtant encore rurale comme la Mayenne).
Les faits se déroulent en 2019 (selon l’indice qui nous est donné page 282). Renlud, un des protagonistes, regrette (et on ne peut pas lui donner tort sur ce point, c’est ce qui est fort) le temps où on vivait en harmonie avec la nature. Aujourd’hui, les gens y rejettent toutes leurs saletés et polluent l’air et l’eau. Les droits des animaux sont oubliés (p. 87). Arttu Tuominen dénonce aussi le mode opératoire ou l’inconscience des médias qui n’ont aucun sens des responsabilités (p 33) en divulguant des informations qui peuvent donner de mauvaises idées à ceux qui n’en ont pas besoin.
Je ne connaissais d’ailleurs pas davantage la Finlande dont la devise, ni soumission, ni capitulation (p 104) correspond assez bien aux idées défendues dans l’ouvrage. Tout comme la situation particulière du pays soumis à l’isostasie par des plaques tectoniques. J’ignorais bien entendu que plusieurs champions olympiques en haltérophilie étaient finlandais comme de nombreux joueurs célèbres de hockey.
Le roman a de particulier qu’en France on n’invoque pas la Bible et je ne crois pas que la religion soit brandie (hormis dans des actes terroristes précis) pour justifier des actes monstrueux. La violence sanguinaire de l’Ancien Testament (p. 217) s’oppose pour moi au commandement « Tu ne tueras point » qui est l’essentiel de ce que j’en ai retenu. Il me semble aussi que l’homosexualité n’y soit pas autant pointée du doigt, mais je peux me tromper. L’auteur a tout à fait raison de souligner qu’il est intéressant que certains policiers disent que l’homosexualité n’est plus tabou mais que celui qui y est à honte de son état (p. 42).
Rien n’est jamais ou tout noir ou tout blanc et l’auteur s’arrange pour pointer la part d’ombre de chacun des personnages. Dans un chapitre dont le texte figure en italiques, il relate de terribles faits de violence à l’égard d’un enfant anonyme mais on a compris de qui il s’agissait et ce passage est important cart il permet de susciter de la compassion (p. 57). Il a aussi créé avec le pasteur Mikael Fredriksson un personnage de curé atypique, même si nous avons nous aussi en France des prêtres motards et tatoués, très populaires au demeurant. Enfin il a aussi l’art de brouiller les pistes en signalant combien jusque là la police s’était concentrée sur les menaces sécuritaires liées à l’immigration.
Né en Finlande en 1981, Arttu Tuominen est ingénieur environnemental (ça se sent) et écrivain. Il est considéré comme le nouveau génie de la littérature policière scandinave, et on comprend pourquoi.
La Revanche de Arttu Tuominen, traduit du finnois par Anne Collin du Terrail, Les Éditions de La Martinière, en librairie le 1er septembre 2023
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