J’ai décidé de traiter la collection de pièces de jeux du musée de Mayenne dans un article transversal consacré au thème des jeux parce qu’il m’a semblé que le département était plutôt particulier dans ce domaine.
Il est indéniable que la Mayenne est une terre de jeu, du moins de paris puisqu’on y élève les meilleurs trotteurs pour remporter des courses hippiques. Avec presque 1 200 élevages, 200 entraîneurs et neuf hippodromes en activité, ce n'est pas un hasard si Pégase est son emblème de la Mayenne. Et puis, c’est une forme particulière de jeu, mais il faut savoir que le 53 est le département français comptant le plus de licenciés sportifs.
On peut voir dans Le jardin médiéval du château de Mayenne l’armoise qui n’avait pas pour unique réputation d’éloigner la maladie mais aussi de porter chance aux joueurs, sans que je sache quelle quantité doit être absorbée pour augmenter ses chances.
J’ai été très surprise d’apprendre que le jardin de la Perrine de Laval a été acquis en compensation d’une dette de jeux contractée par l’ancien propriétaire en une nuit.
Est-ce parce que j’ai choisi cette orientation que j’ai vu des jeux partout ? Comme celui-ci qui provient d’Afrique, précisément du Burkina-Faso, et qui se trouvait dans la salle à manger du château de la Cour à Vautorte…
Et en me faisant découvrir Sainte-Suzanne, Vincent Houllière m’a appris plusieurs anecdotes concernant les cartes à jouer. Henri II, excédé par les désordres - et même scandales publics - que provoquent les joueurs de cartes et de dés, décida en 1583 de taxer la consommation intérieure des cartes à jouer alors en vogue dans toute l'Europe. C’était une bonne façon de renflouer les caisses de l'État.
Au fil des siècles, décrets, lois, édits se succèdent pour encadrer le monde des cartes. Avec toujours le même objectif : taxer. Le 14 janvier 1605, la fabrication des cartes est limitée ; le 30 juin 1607, il est fait obligation aux cartiers d'utiliser les enveloppes fournies par la Régie ; le 9 novembre 1751, les cartiers se voient obligés d'utiliser le papier à la marque de la Régie. Le droit sur les cartes est aboli le 2 mars 1791. Mais les taxes sont rétablies sept ans plus tard, dont la perception est confiée au service des contributions indirectes.
Les années passent et un décret du 12 avril 1890 stipule que l'as de trèfle sera frappé d'un timbre spécial et aussi à l'intérieur sur une carte, toujours la même, qui sera placée la première du côté opposé à la bande de contrôle. Une découpe pratiquée dans l'enveloppe devra permettre de constater la présence du timbre sans rompre la bande. On peut ainsi dater un jeu de cartes par l'année que porte le cachet fiscal présent sur cet as entre 1894 et 1945. Le 1er janvier 1959, l'État supprime la taxe sur les jeux de cartes, remplacée par la TVA. Je recommande aux passionnés e jeux de cartes de visiter le Musée français de la carte à jouer, 16 rue Auguste Gervais, 92130 Issy-les-Moulineaux.
Si nous en avons parlé à Sainte-Suzanne c’est que la cité, avec quatre moulins spécialisés, a fabriqué pendant des siècles un excellent papier destiné entre autre aux cartes à jouer. On peut voir la façade de l’ancienne carterie au numéro 4 de la rue éponyme.
À l’époque révolutionnaire en 1792, la Convention avec l’abolition des privilèges permit un court moment la fabrication de cartes à jouer dans des villes autrefois non autorisées. Provost, alors propriétaire de moulins et papetier réalisa son propre jeu, de 52 cartes. Il fit graver un “Portrait” de Paris dont le musée local, possède encore un bois.
Ce jeu a été réédité en 1999. Une version industrielle était réalisée en 2011. Autres particularités de ce jeu : - il ne comporte que 52 cartes et non 54 puisque le Joker n’existait pas sous l’ancien régime.
- Lancelot, le Valet de Trèfle, qui est le Chevalier de la Table Ronde porte l’inscription Sainte-Suzanne entre ses deux pieds écartés.
- le Valet de Pique comporte le nom du maître-cartier concepteur, Provost. Sans aucun doute, il s’agit d’Ogier du Danemark, un chevalier danois donc, qui fait partie des douze pairs (seigneurs) constituant la garde d'honneur de Charlemagne.
Revenons maintenant à Mayenne où les fouilles archéologiques ont livré plus d’une centaine de rebuts de fabrication, ce qui permet d’aborder les pièces de jeux sous un angle parfois délaissé, celui de leur fabrication en témoignant de la présence ponctuelle d’un artisan au château. Leur nombre permet de reconstituer son travail. L’essentiel de ces rebuts est en bois de cerf. Les bois de massacre, issus de la chasse, forment la principale ressource, mais plusieurs pièces montrent que les bois de chute étaient aussi utilisés.
On a trouvé des ébauches de pions de trictrac (dont on voit un exemple sur la dernière ligne de la photo ci-dessus) ou de pièces d’échecs, d’andouillers dont les extrémités sont sciées, de crânes de cerf avec les pivots sciés ainsi que d’esquisses. L’artisan a sans doute séjourné sur place pour exécuter une commande du seigneur à partir de ressources locales, bois de cerf issus de la chasse ou du ramassage en forêt. Son outillage comprend sans doute des scies, des outils tranchants, des compas et des pointes sèches. L’artisan était habile pour tirer profit des qualités et de la forme anatomique des différentes parties des bois, notamment celles situées à la base, le pédicule, dont la densité osseuse permet de tailler des pièces remarquables comme le roi d’échec. Tout a dû être fabriqué sur place, à l’exception probablement des pièces taillées dans l’ivoire d’éléphant ou l’os de cétacé qui peuvent avoir été importés.
La plupart des pièces de jeux sont en bois de cerf mais certaines sont en ivoire d’éléphant ou os de baleine. Un jeu propose de deviner en touchant la matière avec la main. On soulève ensuite la trappe pour vérifier sa réponse. La mandibule est très surprenante avec l’os et les dents énormes.
J’avais remarqué dans cette vitrine, devant les entraves pour les pieds des prisonniers des pions de jeux dont la présence, sur la gauche, prouve que, même en prison, on jouait. Ceux-là étaient grossièrement taillés dans des fragments de poterie ou d’ardoise, témoignant de l’occupation des gardiens comme des prisonniers.
Un peu plus loin sont juxtaposés une bille, un gros pion en ardoise et un domino, tous trois datés du XV° siècle.
Mais, déjà au Moyen-Age, tout le monde joue pour s’amuser mais aussi pour apprendre. Ce sont surtout les paysans et les artisans qui font confiance au hasard. Ils utilisent des dés, souvent en bois de cerf. Mais ils pratiquent aussi des jeux sportifs. De grandes fiches cartonnées reprennent l’essentiel de ce qu’il faut savoir (la photo apparaîtra en grand format si vous cliquez dessus). Les fouilles ont aussi révélé 7 dés à jouer de grande dimension en bois de cerf, donc réalisés dans la partie située à la base, près du pédicule.
Les seigneurs préfèrent les jeux de stratégie, donc les mérelles, les échecs et le trictrac.
Il existe trois familles de pions de trictrac, ou de mérelles qui combinent l’utilisation de l’os (dont celui de cétacé) et du bois de cerf, qui se distinguent parmi les 57 pièces mises à jour par les archéologues. Certains sont ornés d’un décor géométrique gravé au compas. D’autres présentent un décor sculpté inspiré du bestiaire réaliste (quadrupèdes, rapaces, cervidés) et fantastique (griffon) ainsi qu’un thème biblique. On peut voir aussi une série de 5 pièces composites et ajourées formées de trois plaques dont une en alliage cuivreux intercalée entre deux en os.
Les pions permettent de jouer à divers jeux. Par exemple les mérelles sur un plateau qui s’appelle le mérellier. Il s’appelle aujourd’hui le jeu du moulin.
Voici, ci-dessus un pion de tric-trac à décor d’ocelles, et ci-dessous un autre figurant un quadrupède.
Le jeu de trictrac se joue à deux. Il requiert de la stratégie bien qu’il y ait une part de hasard. Il permet aux seigneurs et aux chevaliers de s’entraîner à la guerre. Son nom contemporain est backgammon.
Inventé en Orient au VI° siècle le jeu d’échecs arrive en Europe au X°. Les archéologues trouvèrent à Mayenne 37 pièces, ce qui est la plus grande collection mise à jour. On y reconnaît un fou, une tour et une autre qui correspond à un roi.
Ce roi est taillé d’un seul bloc massif symbolisant son trône. Son vêtement est souligné par de profondes cannelures. La tête est coiffée d’une calotte sur laquelle de fines lignes obliques évoquent les cheveux. Deux mains à quatre doigts sont gravées sur la partie supérieure.
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