Il y a des spectacles qu’on aime et dont on ne garde pourtant aucun souvenir. Il y en a d’autres qui marquent à vie. Denali est de ceux-là. Je ne peux pas imaginer qu’il laisse qui que ce soit indifférent.
Pour le sujet, qui témoigne (c’est bien le mot qui convient) de la perte de repères engendrée par l’usage abusif des réseaux sociaux. Pour l’interprétation au cordeau par de jeunes comédiens (donc ultra prometteurs). Pour la mise en scène originale mais toujours à bon escient. Pour l’audace de cette équipe qui doit être félicitée et encouragée à continuer de nous surprendre, de nous interroger et de nous faire vibrer.
Denali est une œuvre de fiction inspirée de faits réels. C’est clairement affiché sur la scène. Voilà qui nous permet de prendre un peu de recul parce que les faits qui vont se dérouler sous nos yeux, en direct, vont être violents, même si nous ne verrons pas une goutte de sang, je rassure les âmes sensibles.
Le mardi 4 juin 2019, Cynthia Hoffman, 19 ans, est retrouvée morte, ligotée et bâillonnée dans la rivière Eklutna en Alaska. Elle a été abattue d’une balle dans la nuque. Les derniers à l’avoir vue sont Denali Brehmer, 18 ans, et Kayden McIntosh, 16 ans. En les interrogeant, les détectives Jessica Hais et Lenny Torres vont mettre à jour une sordide histoire.
A la fin j’hésiterai à prendre parti quant à la culpabilité des adolescents. Ne seraient-ils pas autant victimes que coupables ? Et qui devrait assumer alors la responsabilité de leurs actes ? La faute à notre société, aux parents ? A un défaut d’éducation ? A une surutilisation des réseaux sociaux ? En tout cas leur perte de repères est tragique et on aimerait que ce fait divers ne se répète pas.
La forme est d’une vraie originalité qui a été choisie pour mieux marquer l’esprit du spectateur. On hésitera à parler de théâtre et pourtant c’en est tout à fait. La scénographie intègre les codes de la série policière, en parvenant à projeter le générique, le résumé des épisodes précédents, et bien évidemment de véritables images d’archives à la fin du spectacle. On pourrait penser à un documentaire mais il n’y a aucune vidéo. Toutes les scènes sont jouées en réel. Le public est quasiment face à une illusion d’optique comme si ce qui nous apparait n’était pas réel.
Tout s'enchaîne à un rythme fou. On ne zappe pas une miette de chaque reconstitution. On perd vite la notion du lieu, du temps, et par voie de conséquence de la réalité, … un peu à l’instar de cette jeunesse qui ne voit plus la frontière entre le bien et le mal, le permis et le tabou.
Les paroles des chansons que nous entendons (et dont nous reconnaissons plusieurs titres) défilent sur un banc-titre. Nous ne pouvons pas détourner les yeux de ces textes provocateurs, qui paraissaient inoffensifs tant que nous étions protégés de leur signification par l'emploi de la langue anglaise.
Il faut remercier Nicolas Le Bricquir, auteur et metteur en scène, de nous offrir un moment de théâtre de cette ampleur et de nous ouvrir les yeux -et les oreilles- sur cette jeunesse qui erre dans un monde d’apparences, façonné par leurs smartphones. L’histoire de jeunes qui se construisent dans le regard des autres, par écran interposé, avec pour seul but : être riches et célèbres, puisque c’est ça, réussir. À tout prix, jusqu'à commettre l'irréparable.
Denali a été créé dans le cadre du Concours Jeunes Metteurs en Scène 2021 au Théâtre 13. Il a remporté à l'unanimité le Prix du public, ce qui lui permit d'être ensuite accueilli en résidence au Centquatre-Paris en février 2022 pour le retravailler afin de l'amener plus loin dans son esthétique et son écriture. On ne s'étonnera pas que la forme actuelle ait été un succès au dernier festival d'Avignon.
On lui souhaite de surprendre longtemps tous les publics.
Denali de et mis en scène par Nicolas Le Bricquir
Avec Lucie Brunet, Lou Guyot, Caroline Fouilhoux, Jeremy Lewin, Lauriane Mitchell, Guillaume Ravoire
Assistante à la mise en scène Charlotte Levy
Musiques Louise Guillaume
Au Studio Marigny
Carré Marigny, à l'angle de l'avenue des Champs-Élysées et de l'avenue de Marigny, 75008 Paris.
du 17 novembre au 31 décembre 2023
du mercredi au samedi à 20h30 et le dimanche à 16h
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est une photo de répétition réalisée par Louise Guillaume
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