Je n’avais pas lu un roman de Nicolas Delesalle depuis Le goût du large, publié en 2016. Et j’ignorais tout de ses origines russes.
Je ne m'étais pas arrêtée ni sur son prénom, qui évoque la Russie, ni sur cette phrase de Mme de Staël qu'il citait dans ce livre : les Russes n’atteignent jamais leur objectif : ils le dépassent (p. 68).
Valse russe est un récit à trois temps, celui d’un vieil Ukrainien qui doit surveiller un prisonnier russe, celui d’un Français (l'auteur) plongé au cœur du conflit sur la terre de ses ancêtres russes, celui enfin de l’enfant en lui qui cherche à comprendre cette terre à travers la mère qui en a fait la sienne. Il en résulte un texte aussi percutant qu’envoûtant, une quête des origines qui offre le monde.
L'auteur exprime avec honnêteté la dualité à laquelle il doit faire face. Il ne recule pas à fair une déclaration d’amour pour sa mère, pour la Russie telle qu’il aimerait qu’elle soit, mais pas comme elle est et enfin pour les ukrainiens car il prend des risques depuis le début de la guerre pour raconter leur histoire (pour Paris Match) et relater ce qu’ils traversent. Mais très vite il reconnait le paradoxe.
J’étais fier de mes origines. Je ne me suis pas rendu compte avec la guerre de l’Afghanistan, ni avec le conflit tchétchène, j’étais trop jeune. Mais en couvrant la guerre en Ukraine j’ai vu les résultats concrets de la politique russe, et pour la première fois j’ai eu honte de mes origines, et donc de ma mère car elle a passé sa vie à tenter de prouver combien les russes méritaient d'être salués et là ça s’effondrait. Il a fallu que j’écrive cette honte, pour la partager.
On sent combien il a le sentiment de se trouver dans une guerre dont il a honte, dont il se sent en partie coupable, alors qu'il ne veut pas pour autant étouffer les sentiments qu'ill ressent.
De sa mère, prof de russe, il avoue être son pire cauchemar, oubliant le vocabulaire plus vite qu’il ne l’apprend. Il nous la décrit "terriblement tête en l’air à tel point qu’elle est capable d’oublier qu’elle est en colère". L'épisode de l'oubli des bagues sur le toit de la voiture (p. 100) est désopilante.Elle est née à Paris de parents russes blancs émigrés de la révolutions de 1917. Elle croit que les Russes de Russie sont presque normaux, en tout cas juste assez normaux pour ne pas avoir envie de détruire le monde même s’ils ont beaucoup souffert après 70 ans de communisme (p. 27).
Nicolas Delesalle voudrait bien avoir les mêmes illusions mais en voyant un chauffeur russe dégeler le réservoir de son camion au chalumeau il a compris que les Russes avaient non seulement une autre manière de réfléchir que les Français mais aussi des notions de sécurité très relatives (p. 58).
En fait le Russe ignore les risques. Il nous le démontre à plusieurs reprises et c'est en partie ce qui rend "acceptable" l’équipement dérisoire des recrues Wagner parmi les prisonniers (p. 76) et qui alimente son dégoût : Ces soldats russes mal, si mal préparés, si mal commandés, et qui se font massacrer dans un terrible tir aux pigeons au nord de Kiev (p. 90) (…) dorénavant il me sera difficile d’être fier de mes origines.
A le lire on comprend que l'écriture de cet ouvrage était indispensable pour tenter de gagner une forme de paix, une fois acceptés le désenchantement et le renoncement. Cet ouvrage apporte un regard légèrement décalé sur ce conflit qui fait chaque soir la une des journaux télévisés et dont l'issue est incertaine.
A titre plus dérisoire, j'ai été amusée de lire l'anecdote de la confusion entre scotch et whisky (p. 124) qui me montre qu'il n'y a pas qu'à mon père que c'est arrivé, comme je le racontais dans cette nouvelle.
Valse russe de Nicolas Delesalle, Jean Claude Lattès, août 2023
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