Comme je suis heureuse d'avoir pu assister à la Première de Là personne de Geoffrey Rouge-Cassarat au théâtre de l'Etoile du Nord, à Paris.
Seulement deux représentations sont programmées ce soir et demain, suite à l'annulation de dernière minute d'un autre spectacle si j'ai bien compris. Alors, forcément, il n'y a pas eu une communication de grande ampleur ni de longue durée sur l'événement et c'est regrettable. mais ce n'est que partie remise et je le défendrai autant demain, dans un mois, dans un an, dans dix ans …
Si vous avez lu un peu vite, un peu distrait, le titre de cette dernière création, vous n’aurez pas remarqué cet accent grave qui change tout. L'artiste a une sensibilité à fleur de peau qui se manifeste par de tous petits détails d’une précision chirurgicale.
Croyez-moi, passer plus d’une heure les yeux dans les yeux avec lui modifie votre perception. Les codes du théâtre sont inversés dans la première partie du spectacle : l’homme arrive sur la scène, avec son légendaire pull-over rouge, dans une totale décontraction et nous parle comme si nous étions ses bons copains. On pourrait presque jurer qu’on discute avec lui tant il encourage nos haussements de sourcils, nos rires. On est sur la même longueur d’ondes. On est d’accord pour reconnaître que vivre sa vie et ses rêves … Meryl Streep n’a pas osé le faire (dans le film Sur la route de Madison). Elle est restée dans sa maison à plier du linge. Et on attend de lui qu’il nous explique pourquoi on ne choisit pas ce qui nous rend heureux.
La conversation amicale est suspendue sur cette question. Les différentes réponses possible vont alors nous être non pas données mais offertes et nous les comprendrons parce que, à l’instar d’un mentaliste, Geoffrey a réussi à mettre notre cerveau en condition de les entendre et de les voir.
Au début, nous aurons la certitude d’être face à un mur. C’est oublier le pouvoir de l’imagination et nous passerons un long moment dans le jardin de la maison qu’il a construite lui-même de ses mains. Et quand nous serons invités à entrer ce sera pour partager le plus profond de ses pensées.
Certains repéreront des accents de délire paranoïaque, typiques d’une schizophrénie, les signes d’une douloureuse dépression, des preuves de bouffées maniaques, une escalade dans les hypothèses surréalistes alors que la logique échappe à toute logique.
Le travail sur les lumières est précis, élégant et de toute beauté. Le soin apporté à la sonorisation de la voix du comédien et aux bruits d’ambiance est absolument remarquable (et vous savez combien j’exècre les micros HF qui d’ailleurs ne sont pas utilisés ici).
Le tableau final est époustouflant. Je ne vais rien dévoiler évidemment si ce n’est qu’il peut faire référence à l’univers de Stephen King.
Après les saluts, on ne quitte pas tout de suite le théâtre. On a besoin de féliciter l’artiste (qui conjure son émotion en multipliant les grimaces parce que le sérieux n’est que dans son travail) et son équipe. De les remercier de nous avoir ouvert les yeux et affûté les oreilles sur ce qu’il y a de plus essentiel … rêver !
Ça tombe bien, le bar est ouvert et on reste longtemps à discuter les uns avec les autres. L'Étoile du Nord est une scène pour la jeune création danse-théâtre-littérature et Geoffrey Rouge-Cassarat y est en résidence.
D'abord formé au Conservatoire de Lyon, il est entré à 17 ans au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris, dans les classes de Daniel Mesguich, Xavier Gallais et Stuart Seide. Son premier texte, Y’a pire, faut pas s’plaindre !, a été primé par Artcena. En 2017, il fonde la Compagnie La Gueule Ouverte. Entre 2018 et 2021, il écrit, met en scène et interprète trois spectacles seul-en-scène : Conseil de classe, Roi du silence et Dépôt de bilan que j'ai tous vus au festival d'Avignon et qui m'ont bluffée tant il parvient à être lui-même et pourtant différent de l'un à l'autre en les enchainant dans un triptyque dont j'avais salué la performance en me jurant de ne jamais plus manquer une seule de ses créations. En 2022, il est auteur en résidence à La Chartreuse.
Titulaire du Diplôme d’État de professeur de théâtre et d’un Master de création littéraire, il est actuellement doctorant du programme SACRe (Sciences Arts Création Recherche) au CNSAD et travaille sur des dispositifs théâtraux ludiques qui offrent à l'acteur.trice une certaine jouabilité : Terrain Vague (2021), Gilgamesh Variations (2022) et Grand-Chose (2022).
Avec Là personne il a voulu travailler sur une expérience de suspense et comme c'est réussi !
Là personne de et avec Geoffrey Rouge-Cassarat
A 20 heures les Mercredi 29 et jeudi 30 novembre 2023
Théâtre de l'Etoile du Nord
16 rue Georgette Agutte 75018 - Paris 01 42 26 47 47
contact@etoiledunord-theatre.com
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