J'écrivais en 2022 qu'il fallait retenir le nom de cette compagnie L'air du temps, et mon intuition s’est confirmée avec leur nouveau spectacle, que je recommandais dans cet article à propos des derniers festivals d'Avignon.Je n'ai pas pu le voir sur scène mais je viens de lire le texte de la pièce. Çà s'appelle Pourquoi les gens qui sèment et ce fut un spectacle qui a été très remarqué pendant les trois semaines du festival.
Si vous l'avez manqué dans le Sud peut-être trouverez-vous un créneau à la rentrée car il sera à l'affiche à 19 heures du 16 au 20 septembre, au Théâtre de la Concorde, 1 Av. Gabriel, 75008 Paris.
Chloé est militante. Antoine est préfet. Ils s’aiment, mais ce qu’ils défendent les oppose. Elle prépare une action écolo, lui doit l’empêcher au nom de l’ordre public. Comment tenir ensemble quand la loi et la justice ne disent plus la même chose ?
Des journalistes ont évoqué la figure d’Antigone à propos des convictions de la jeune femme et il est signifiant de s’apercevoir que cette image intervient après celle d’Electre dont Sébastien Bizeau s’était emparée dans Heureux les orphelins pour démontrer ce paradoxe que les mots ne sont pas toujours les voies les plus parlantes pour atteindre la vérité.
En présentant ces deux figures mythiques de la mythologie grecque, animées par la justice, l’artiste creuse manifestement le même sillon et cette image fait davantage écho avec le titre de sa nouvelle pièce.
J’avais tout de suite pensé à la chanson iconique de William Sheller et trouvé le jeu de mots intéressant entre les gens qui s'aiment et ceux qui sèment. Ne parle-t-on pas d’ailleurs en amour, comme en rhétorique, de "semer la petite graine" ?
J’avais tout autant décrypté l’affiche que j’avais reliée à la Semeuse qui a illustré de nombreuses séries de timbres-poste et qui fut gravée par Louis-Oscar Roty (ainsi que le revers de cette pièce : un flambeau de branches d’olivier) et qui se trouvait sur les pièces en argent dites "Semeuses" de 50 centimes, 1 franc et 2 francs, émises sous la III° République, plus précisément entre 1898 et 1920. Je suis trop jeune pour l’avoir connue mais je me souviens très bien de la pièce de 1 franc Semeuse version 1960 de valeur d'un (nouveau) franc, qui aura été frappée de 1960 à 2001 jusqu’à l’emploi des euros.C'est une allégorie de Marianne, ou de la République française, illustrant le rayonnement des idées républicaines diffusées par la France dans le monde et l'esprit de liberté. Cette image de la République deviendra l'une des figures emblématiques de notre mythologie nationale, à l’instar du buste de Marianne et de l’arbre de la liberté et que l’on retrouve toutes les trois sur les faces nationales de l’euro frappé en France.
L’avers de la pièce représente une femme marchant pieds nus dans une plaine, habillée d'une robe vaporeuse et d'un tablier, coiffée d'un bonnet phrygien, portant d'une main un gros sac et semant de l'autre, alors que le soleil se lève sur la ligne d'horizon et que le vent souffle dans ses cheveux et fait flotter sa robe. Son regard tourné vers la gauche, indique qu'elle sème à contre-vent.
Mais revenons au théâtre puisqu’il s’agit de cela dans cette rubrique. Donc la Compagnie s’empare d’un sujet de société extrêmement sensible pour en faire un objet théâtral et un manifeste. Un peu dans la veine des spectacles créés par Pauline Bureau, notamment Mon coeur et Hors-la-loi.
Le texte de Sébastien Bizeau est d’une très grande intelligence, démontant les éléments de langage qui masquent le vrai enjeu. Il réussit en 75 pages à condenser l’essentiel du débat (je pourrais écrire "combat") entre écologie et économie tout en posant sur la table les enjeux et les moyens de lutte possible de cette véritable confrontation entre pot de terre et pot de fer.
L’opposition suscitée récemment par la loi Duplomb en fait une autre démonstration. Certes la voie démocratique est parvenue à faire reculer la loi mais rien ne changera fondamentalement tant que les agriculteurs ne seront pas massivement convaincus qu’il en va (aussi) de leurs intérêts à cultiver avec des moyens biologiques plutôt que chimiques. Invoquer la concurrence déloyale encouragée par les pays voisins ne fait pas avancer les choses, bien au contraire. Pourtant on sait qu’il faudrait renverser l’ordre prioritaire. Ce que le DVD retraçant les actions de Liberterres démontrait parfaitement et que je recommande de visionner.
J’ai beaucoup apprécié l’écriture de Sébastien Bizeau et je trouve que le texte mérite vraiment d’être lu attentivement. Chaque personnage est criant de vérité.


















