(billet mis à jour le 5 mars 2010)
Le jury dit de Mars doit choisir entre deux romans policiers, tous deux excellents, mais puisqu'il faut les départager ce sera Un pas au paradis que je vais favoriser parce qu'on tient là un livre vraiment très fort. Plus un roman qu'un roman "policier" d'ailleurs. Mon enthousiasme me vaut d'ailleurs d'être citée en page 126 du ELLE spécial mode du 5 mars.Dommage pour le Guérisseur qui avait des qualités supérieures à certains policiers des autres sélections (ce n'est pas par hasard s'il a été élu l’un des meilleurs romans policiers de l’année 2008 par le magazine Publisher ‘s Weekly, mais that's life et la compétition est rude ... ). Attardons-nous quand même un instant sur ce livre dont j'ai beaucoup apprécié l'intrigue dépaysante et constamment surprenante.
L'action se passe dans une bourgade égarée du bout du Canada où il ne se produit d'habitude rien d'extraordinaire. Un de ces endroits que l'on est certain de retrouver intact après dix ans d'exil. L'inspecteur Hazel Micallef, divorcée, la soixantaine, est revenue vivre chez sa mère avec qui elle entretient pourtant des rapports conflictuels. Elle fait fonction de commissaire d'un poste de police menacé de fermeture, à quelques mois d'une retraite qui lui permettrait enfin de soigner des maux de dos qu'elle calme en combinant médoc et alcool.
Se produit alors un meurtre incroyable de cruauté, puis un autre et bientôt une série. Hazel, l'anti-héro par excellence, se met sur le pied de guerre et entreprend vaillamment avec les moyens du bord et des méthodes peu orthodoxes de chercher l'identité du tueur en série dans ce bout du monde d'atmosphère glaciale. La première chose à faire serait de comprendre quel est le mobile des crimes puisque les victimes semblent consentantes.
Inger Ash Wolfe imagine des rebondissements multiples en réussissant à nous embarquer très vite dans une folle course poursuite. Il construit un thriller dans la plus pure tradition des romans macabres, sans nous épargner aucun détail. Les personnages secondaires sont tous très bien construits, comme cette petite Rose qui donne une jolie définition du courage : c'est quand on a peur mais qu'on ne le montre pas.
Lors de sa parution, l'an dernier, sur tout le continent américain on a salué la découverte d'un nouveau talent pour s'apercevoir très vite que le prolifique et talentueux Russel Smith s'était caché derrière un pseudonyme pour mieux surprendre le lecteur. Je recommande la lecture du Guérisseur à tous les amateurs de romans noirs.
Un pied au paradis se situe lui aussi sur le nouveau continent. C'est le (vrai) premier roman d'un auteur qui, depuis, n'a cessé d'écrire. Mais il a fallu attendre 7 ans pour qu'il soit traduit, de main de maitre, par Isabelle Reinharez dont il faut saluer la justesse de ton. J'espère que les éditions du Masque vont poursuivre la collaboration avec elle car si les autres romans sont de la même veine c'est dommage d'en priver les lecteurs français.
Les amateurs de littérature jeunesse connaissent bien Une histoire à quatre voix d'Anthony Browne. Le père, la mère, Charles (le petit garçon) et Réglisse (le chien) racontent successivement la même courte tranche de vie. C'est très éclairant pour faire comprendre aux enfants la notion de point de vue. Ron Rash exploite le même principe avec talent, non seulement sur le plan de la psychologie des personnages mais aussi sur celui de la construction de l'intrigue.
C'est d'abord le shérif du Comté qui essaie de résoudre une sombre affaire de disparition. Très vite on sent les "embrouilles" familiales s'infiltrer dans l'enquête. Son propre frère et son père luttent pour conserver des terres que la Carolina Power cherche à inonder pour faire un barrage. Nous sommes dans un comté rural des Appalaches du sud, dans un ancien territoire cherokee, au début des années cinquante, et on perçoit combien le poids des traditions a forgé le caractère des personnages. Pourtant personne ne semble être de taille pour détourner le destin. On a beau tenir à la terre et parvenir à y survivre les récoltes sont maigres malgré les efforts fournis. Un champ de choux, quelques rangs de maïs, du tabac et des haricots flétris, çà n'est pas la fortune.
Le shérif était promu à une belle carrière de footballeur et sa femme l'a épousé avec la perspective de sa réussite. Un croche-pied mit un terme brutal à sa carrière. Dans un ultime sursaut il a voulu (p.70) échapper à un boulot sans avenir dans une filature, échapper à cette fausse couche et à un mariage dont sa femme et lui savent que c'est un échec.
Quand c'est utile l'auteur n'hésite pas à user des répétitions (comme échapper dans la phrase précédente), ce qui renforce l'effet contraire : il n'y a aucun échappatoire pour personne. Et si Holland Winchester est revenu presque indemne de la guerre de Corée il n'a pas pour autant gagné la paix. Et s'il boite lui aussi c'est parce que la polio a ralenti sa croissance.
Puis c'est la femme qui prend la parole. Amy s'est désespérée de n'avoir pas d'enfant ; elle cherche à ruser avec la fatalité. Elle semble avoir plus de détermination que l'épouse du shérif sur ce point et va jusqu'à consulter la veuve Glendower, dont tout le monde est persuadé que c'est une sorcière, alors qu'elle est simplement fine observatrice et herboriste hors pair. Pendant quelques années la bonne fortune sourit à Amy jusqu'à ce qu'elle soit rattrapée par le drame qui déboule comme une inondation à la vitesse d'un cheval au galop. Pourvu que je me réveille dans mon lit et que tout çà soye que des inventions (p.121) ... Rien ne pourra chasser les mauvais esprits.
Le mari s'exprime après elle. Il a bien vu son ventre gonfler comme un cantaloup et ni l'un ni l'autre ne pouvait feindre de ne pas savoir (p.148). Mais nous sommes en territoire cherokee et l'auteur nous fait sentir le poids des anciennes superstitions. Les siffleux sont des serpents dont il ne sert à rien d'écraser le ventre blanc pour espérer attendrir les nuages. L'ombre du grand chêne blanc demeure inquiétante, surtout si l'étoile du Grand Chien se lève avec le soleil. La rudesse de la vie exacerbe les sentiments. Les récoltes sont aléatoires. Les outils rudimentaires : on travaille évidemment encore les champs à la houe. La syntaxe reste fidèlement abrupte : quand j'ai eu aiguisé ma faux ... j'ai commencé à conjecturer, l'eau ruisselait sur elle comme de l'or en fusion, (...) mes pensées me portaient souventes fois vers elle.
Je regrette de ne pas pouvoir lire le roman dans la version originale. On peut supposer que la traductrice a cherché à rester fidèle à l'auteur dont le style mixe très habilement d'anciennes formes grammaticales, quelques archaïsmes et des néologismes, quand ce ne sont pas pures inventions, avec des formules d'une grande dimension poétique.
Sam le cheval, joue un rôle capital mais la parole ne lui est pas donnée. C'est le fils qui termine l'histoire qui, on le comprend alors, se déroule sur plusieurs dizaines d'années. Un suspense digne d'Hitchcock qui aurait réalisé un film éblouissant !
Plusieurs personnalités américaines qui revendiquent leurs origines cherokee comme les chanteuses Cher et Tina Turner, les acteurs Kevin Costner, Chuck Norris et Johnny Depp, les actrices Kim Basinger et Cameron Diaz, sans oublier Elvis Presley et Jimi Hendrix et Quentin Tarantino.
Le guérisseur d'Inger Ash Wolfe, Fleuve Noir, 347 pages
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