Bien sûr je connais le scandale. Bien sûr je savais les liens entre Caroline Laurent et Evelyne Pisier dont elle fut l’éditrice puis la co-autrice du livre que la maladie l’a empêchée d’achever, Et soudain la liberté.
Je crois me souvenir de tout le bien qu’elle avait pensé et dit alors du second mari. De l’ami. Et pourtant j’écrivais à la fin de ma chronique : Et je vois le fantôme d’Olivier (Duhamel) apparaître en filigrane. Comme les coïncidences sont étonnantes !
Mais lorsqu’éclata l’affaire Kouchner, je n’avais pas fait le lien. Camille racontait dans La familia grande l’histoire de son frère, au demeurant bouleversante. Je l’ai chroniqué sans songer à Caroline, puisque ce n’était pas son histoire. De mon point de vue, elle n’avait rien à voir là-dedans. Je comprends aujourd’hui ce que ce fut d’avoir été une victime collatérale par « omission « ( sans intention de l’être).
Et si c’était tout le contraire ? Si l’honneur et la gloire dont elle fut forgeronne avait décidé Camille, par réaction, à ne plus se taire ?
Quoiqu’il en soit, il existe des tsunamis dont on ne mesure pas toute l’étendue. Mais qui peuvent aussi laisser place à un rivage plus beau. Qui sait si, sans cette catastrophe, Caroline Laurent aurait autant affirmé son intention de demeurer écrivaine ?
Ce livre a quelque chose de la dégustation. Cela peut sembler étonnant d’employer ce terme mais la précision des mots et des idées est telle que Ce que nous désirons le plus se découvre avec lenteur, pour mieux en savourer le propos.
Même lorsque les lignes font écho à la souffrance. Je crois que je n’avais jamais entendu un cri pareil, aussi poignant que ce que j’ai lu (p. 150), et qui aurait pu conduire à la folie.
Si cet ouvrage a la vertu de nous toucher tous, c’est par la capacité de l’auteure à partager non seulement ce qu’elle a éprouvé mais aussi comment elle a traversé l’épreuve. Il y a une universalité évidente dans le processus. Il est vrai que personne ne marche à reculons (p.165). Et que donc la marche fait avancer. Chacun a sa façon de progresser dans sa reconstruction. Ce peut être la marche au sens littéral. C’est ce qu’elle fera en se rendant aux îles Féroé. C’est ce qu’ont choisi beaucoup d’écrivains, et d’hommes politiques également.
Ce peut être aussi de manière plus modeste en accomplissant des tâches qui requièrent attention et patience. Je l’ai constaté il y a quelques années quand j’avais entrepris une recherche sur les freins et motivations à tricoter. La lenteur avec laquelle les mailles s’enchaînent et « montent » malgré tout s’accorde avec le temps de la réflexion, et de la décision.
Il est intéressant de pointer qu’accepter que la fiction ne soit plus pour elle, du moins momentanément (p.162) provoquait le passage au « je » (pour ne plus jouer), tout en comprenant que suspendre n’est pas arrêter (p. 196).
De reconnaître que « si c’était à refaire » rien ne changerait fondamentalement, parce que tout est lié à la fidélité, qui est une de ses qualités. Pour preuve, elle n’a pas changé de maison d’édition, et réciproquement d’ailleurs.
L’essentiel n’est pas de regretter ce qu’on a fait, ou ce qu’on aurait dû faire, mais de comprendre, et de ne pas étouffer d’anciennes douleurs, non résolues. Pour ce faire, il faut accepter de descendre aux enfers, en suivre le chemin pour retrouver l'écriture et la lumière. La dimension mythologique est puissante et on trouvera un joli poème à la mémoire d’Orphée et d’Eurydice (p. 84).
Tout est lié à la littérature dans ce livre. Ce qu’elle appelle ses amitiés littéraires figure à la fin, p. 219. Essentiellement des femmes qui écrivent et qui en fait nous consolent. On y puisera des recommandations précieuses. De brefs extraits d’œuvres ponctuent le récit. Tous apportent une note nouvelle. Je retiens particulièrement ce conseil d’Emily Dickinson (p. 80) : Si le courage te fait défaut, va au-delà de ton courage.
Cet après-midi, Caroline Laurent présentait son livre dans la librairie qui porte le joli nom d'Arabesque, à l'intérieur du Centre culturel, le Centquatre, et dont le responsable a mené un entretien avec une pertinence rare.
Comme à son habitude, elle a parlé en toute franchise et simplicité, reconnaissante au destin de lui avoir accordé la chance d'avoir accompagné six mois une femme et d'être devenue écrivaine.
Caroline fut une jeune fille qui vivait les cheveux prisonniers d’un chignon dont rien ne devait dépasser. Elle conserve des années de danse un maintien qui la fera tenir debout toute sa vie. Mais elle vit aujourd’hui les cheveux lâchés, en liberté. Et la symbolique est forte.
Elle a lu quelques extraits et nous avons pu constater combien la paix et la lumière auréolait son visage.
Elle a expliqué le choix de la couverture, qu’elle voulait lumineuse, rouge du désir dans le noir du tunnel du chagrin, pour signifier la vie qui continue à battre. L’image retenue évoque l’univers abstrait de Mark Rothko.
Ce que nous désirons le plus de Caroline Laurent, aux Escales, en libraire le 18 aout 2022
En Pocket le 7 septembre 2023
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