Une terrible délicatesse est présenté comme un roman bouleversant et plein d’espoir sur la résilience, le pardon et la fragilité du bonheur.
Octobre 1966. William Lavery, dix-neuf ans, vient de recevoir son diplôme. Il va rejoindre, comme son père et son grand-père avant lui, l’entreprise de pompes funèbres familiale. Mais alors que la soirée de remise des diplômes bat son plein, un télégramme annonce une terrible nouvelle : un glissement de terrain dans la petite ville minière d’Aberfan a enseveli une école. William se porte immédiatement volontaire pour prêter main-forte aux autres embaumeurs.Sa vie sera irrémédiablement bouleversée par cette tragédie qui jette une lumière aveuglante sur les secrets enfouis de son passé. Pourquoi William a-t-il arrêté de chanter, lui qui est doué d’une voix exceptionnelle ? Pourquoi ne parle-t-il plus à sa mère, ni à son meilleur ami ? Le jeune homme, à l’aube de sa vie d’adulte, apprendra que la compassion peut avoir des conséquences surprenantes et que porter secours aux autres est peut-être une autre manière de guérir soi-même.
Il est rare pour moi de lire un premier roman étranger et qui plus est annoncé comme l’événement littéraire de 2022 au Royaume-Uni, avant même que je ne l’ai ouvert.
Il est vrai qu’il est exceptionnel et je comprends l’enthousiasme qu’il a pu soulever, et qu’il va continuer de provoquer. Il y a fort à parier qu’un film sera prochainement tiré de cet ouvrage qui a toutes les qualités, à commencer par une forte authenticité, il n’y a aucun doute là-dessus.
Chaque pays a son martyr. Je veux dire par là que, en dehors des guerres qui touchent toute une nation, la mémoire collective se fédère autour d’un évènement tragique, dont la commémoration semble éternelle. Pour les Etats-Unis c’est le 11 septembre, pour la France c’est le 15 novembre, pour Haïti le séisme du 12 janvier 2010 et pour la Grande-Bretagne c’est la catastrophe d'Aberfan, le glissement d'un pan d'un terril dans ce petit village du sud du Pays de Galles, le 21 octobre 1966, provoquant la mort de 144 personnes dont 116 enfants.
Ces drames dépassent le périmètre de leur zone mais, une fois éteintes les caméras de télévision, la vie reprend son cours et seuls les habitants du pays concerné en conservent le traumatisme. Voilà sans doute pourquoi le nom d’Aberfan ne m’était pas familier. Il faut dire aussi que les évènements remontent à presque 60 ans…
Une terrible délicatesse a donc pour premier mérite de rappeler les faits à notre mémoire. Le second est d’attirer l’attention sur un métier peu connu, celui d’embaumeur que je connais davantage sous le nom de thanatopracteur. Et dont il était question dans un autre premier roman, français celui-là, Le parfum des cendres.
C’est sans doute parce qu’elle l’a exercé que Jo Browning Wroe en parle avec autant de détails, jamais morbides d’ailleurs. Suscitera-t-elle des vocations ? Son roman sort au moment où son pays connaît l’enterrement de la plus grande des célébrités, à savoir la Reine d’Angleterre.
Outre l'univers des pompes funèbres en général, le roman ouvre la porte sur la manière d'exercer au Royaume-Uni, apparemment très familiale, qui peut se résumer à cette phrase mnémotechnique pour se rappeler l’ordre des procédures : Il Faut Comprendre Comment Va Néanmoins s’Organiser le Lendemain (qui sans doute résonne mieux en anglais). L'explication comporte malgré tou une part de mystère (p. 239). Faut pour fermer les orifices. Comprendre désigne la coiffure. Comment, les cosmétiques, si nécessaire. Va pour vêtements, selon les instructions de la famille. Néanmoins pour nettoyer les équipements. Organiser pour ordre et vérification des stocks. Lendemain pour se laver soi-même.
Rien ne nous est épargné et pourtant ce roman n'est pas glauque du tout, et ne comporte pas de descriptions insoutenables, y compris quand il s'agit d'une autopsie. C'est l'aspect humain qui prime toujours : Cet homme a été aimé, et même s’il n’y a plus personne pour le pleurer, c’est toujours quelqu’un, et les embaumeurs doivent croire que les gens comptent. Sinon pourquoi viendraient-ils tous les jours travailler ? (p. 237)
On pourrait même convenir qu'ils exercent avec joie. Peut-être parce qu'ils sont capables d'humour, un humour tout ce qu'il y a d'anglais bien entendu. Les embaumeurs en ont besoin pour ne pas perdre l’esprit (p. 239).
On ignore ce qui se passe réellement entre le moment du décès et la mise en bière. C’est tout juste si on a l’image des chambres froides. Et pour ceux qui comme moi se sont recueillis devant des corps avant le scellé du cercueil les "contacts" restent limités. J’ai compris à la lecture du roman pourquoi je n’avais pas reconnu ma mère. Elle avait été maquillée, du coup dans mes dernières volontés je préciserai que je ne veux pas ce genre de traitement.
L’auteure, qui parle parfaitement français, et qui a grandi dans un crématorium, s’est inspiré des confidences de deux embaumeurs septuagénaires qui s’étaient portés volontaires dans cet accident. Tout en étant un roman, le texte est presque un récit de vie authentique comme l'avait fait Catherine Bardon avec Les Déracinés (même éditeur).
Le sujet est complexe car il y a, comme le souligne la mère du narrateur, il y a une part de folie dans le deuil (p. 409). Chacun vit (et survit au) traumatisme à sa manière. Quand il est stressé, William se calme en s’occupant d’un corps, ce qui lui permet de s’oublier un moment (p. 391). Ce qui est "fou"pour nous lecteurs, c’est de réaliser que la catastrophe n’a pas provoqué en lui le rejet de son métier, loin de là, mais celui de la vie. En cela il a peut-être été plus secoué que ceux qui ont bruyamment manifesté leur peine, d'autant qu'il refuse toute aide psychologique. Jusqu'à comprendre que ce n’est pas facile de se laisser aimer par des gens à qui on ne cesse de faire du mal (p. 340).
Et puis admettre que la vie reprend ses droits alors qu'on imagine qu'une zone de catastrophe demeure en l'état ad vitam aeternam. Sauf qu'elle ne s'embaume pas, si je puis faire cette comparaison. William sera donc désemparé quand il reviendra sur les lieux du drame. Tout lui paraitra si ordinaire (le mot est en italiques dans le livre). Tu ne crois pas, lui dira alors Gloria, que les choses ne restent pas telles quelles, pour le bien de toutes les personnes qui doivent continuer à vivre ici ? (p. 422)
Un autre intérêt du livre est d'aborder les préjugés de classe, le mode de formation. Et puis les habitudes de petit-déjeuner et du thé, et des pubs, les codes de bienséance, l’heure des repas, les modes de vie selon les classes sociales, sans oublier la musique qui conserve une place prépondérante.
C'est un livre qu'il est important de méditer …
Une terrible délicatesse de Jo Browning Wroe, traduit de l’anglais par Carine Chichereau, les Escales, en librairie depuis le 25 août 2022
Sélection Prix du roman FNAC 2022
En édition Pocket à partir de septembre 2023
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