Il est un peu stupide de parler d'un livre qui appartient à la rentrée littéraire de l’année précédente, en l’occurrence 2021 quand on sait qu’un roman qui n’a pas percé dans les deux mois qui suivent est malheureusement condamné. Ce sont les règles de circulation des premiers romans des 68 premières fois qui sont seules en cause.
J'ai vérifié la disponibilité du livre, publié chez le même éditeur que Avant le jour (qui figurait dans la sélection de l‘an dernier) et vous pouvez encore le commander. Il n'est donc pas aberrant d'en parler. Surtout alors que le président de la république informe d'une grande convention citoyenne sur la fin de vie.
Car Ubasute est le nom d'une pratique mythique au Japon, consistant à porter un infirme ou un parent âgé sur une montagne, ou dans un autre endroit éloigné et désolé, pour le laisser mourir.
Si le thème ne m'a pas choquée, c'est parce que j'ai vu, il y a très longtemps (le film est sorti en 1983, et il avait obtenu la Palme d'or au festival de Cannes), La Ballade de Narayama du réalisateur japonais Shōhei Imamura, adapté de la nouvelle de Shichirō Fukazawa dont l'action se déroulait au Japon, dans un village pauvre et isolé vers 1860 dans les hauteurs du Shinshū et que, en toute logique, Isabel Gutierrez connait puisqu’elle le cite p. 91.
Cette coutume ubasute veut que les habitants arrivant à l'âge de 70 ans, aidés par leur fils aîné, s'en aillent mourir volontairement au sommet de Narayama, "la montagne aux chênes", là que se rassemblent les âmes des morts.
Isabel Gutierrez a écrit un court roman sur cette coutume de l’ubasute. Marie va mourir. Elle demande à son fils de la porter dans la montagne pour la déposer sous le grand rocher. Ce sera aussi pour Marie sa dernière chance de parler à son fils.
Le sujet n'est pas joyeux mais le traitement poétique est très réussi de mon point de vue. Bien qu'il soit sorti il y a déjà un an il est cruellement d'actualité. Alors que Jean-Luc Godard a souhaité mettre fin à ses jours. Un départ qu’il a lui-même choisi, puisque le cinéaste a eu recours à l’assistance légale au suicide en Suisse où le départ volontaire est autorisé suite à de lourdes pathologies.
L’auteure ne se précipite pas pour raconter ce dernier voyage. Il est mûrement réfléchi au cours de trois saisons à se souvenir que chacune serait la dernière (p.10). Une année de trêve à vivre, sans la lumière du jardin et des montagnes. Une année à préparer la fin (p. 13) en invoquant pour raison la maladie.
Le lecteur n’ignorera rien de sa préparation. Il apprendra qu’elle emportera un bol (p. 19) et on saura plus tard quels objets elle laisse sous son matelas, à l’intention de son fils. Elle va nous livrer des secrets : la mort de son frère ou de sa soeur dans le ventre de sa mère, l'accident de son mari, la guerre d'Espagne de l'arrière grand-père, … "toutes ces mémoires qu'ils vont traverser ensemble," au cours de cette ultime balade. Et puis "le goût du travail de vivre" (p. 63 avec la légende de la construction du Taj Mahal).
Ce livre est doux, très beau mais rien ne vient empêcher l’effondrement du fils (p. 104). Il poursuivra malgré tout le récit.
Ubasute de Isabel Gutierrez, La Fosse Aux Ours, en librairie depuis le 19 août 2021
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