Les feuilles mortes a remporté le Prix du Jury au dernier Festival de Cannes. Si vous êtes déjà un inconditionnel du cinéma d'Aki Kaurismäki vous n’aurez besoin d’aucun argument pour aller le voir … et l’apprécier. Dans le cas contraire c’est l’occasion de découvrir ce cinéaste finlandais original avec un film qui se laisse regarder au second degré.
Il est économe de dialogues si bien qu’il n’est pas du tout fatigant de le suivre en VO, et même au contraire car on vit complètement à l’unisson des personnages. Le cinéaste exprime sa passion pour les relations humaines en les traduisant en images. Tout fait sens dans ses films et il n’est pas étonnant que les festivals le plébiscitent. Comme pour Au loin s'en vont les nuages en 1996, L'Homme sans passé, Grand Prix et Prix d'interprétation féminine pour Kati Outinen en 2002, Ours d'argent à Berlin avec L'Autre côté de l'espoir en 2017 après lequel le cinéaste avait annoncé sa retraite.
Les années ont donc passé. Les feuilles sont tombées. Le cinéma d’Aki Kaurismäki s’est adouci. Il nou revient et nous propose cette année le portrait poétique et touchant de deux solitaires accablés par la vie, qui voudraient croire que l'amour est la voie pour vivre un avenir enfin supportable.
Une femme et un homme solitaires se rencontrent par hasard dans un karaoké à Helsinki. Chacun croit trouver chez l’autre son unique et dernier amour. Mais Ansa et Holappa surmonteront-ils les obstacles ? En premier l’alcoolisme de l’homme qui perd le numéro de téléphone de la femme dont il ignore l’adresse, et réciproquement…
Le film est un message sur ce que peuvent apporter de positif le désir d’amour, la solidarité, le respect et l’espoir en l’autre. Il prend pour cela tous les clichés à rebours. A commencer par la chanson d’Yves Montand qui donne son titre au film. On pourrait dire que si les feuilles sont mortes elles ont encore la capacité à fertiliser la terre dans une action très positive. Il faut juste être sensible à la dimension poétique du propos et apprécier la dérision.
A partir de là, tout fait sens. Le chien que la quadragénaire adopte, à défaut d’avoir un compagnon humain. L’alcoolisme de l’homme en clin d’œil à l’addiction bien connue de Kaurismäki. Les nouvelles catastrophiques que la radio annonce sur l’Ukraine qui, ne l’oublions pas, a un millier de kilomètres de frontière commune avec la Finlande. Le réalisateur filme un monde qui s’éteint.
Les quartiers où vivent les protagonistes sont filmés sans concession. On a le sentiment d’être en Allemagne de l’Est juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale et les couleurs contrastent au moment où le couple va dîner ensemble. Mais les choses ne se passent comme l’autre l’a anticipé. Rien ne coule de source.
Chaque affiche de film servant de toile de fond fait référence à une oeuvre majeure des cinéastes que Aki Kaurismäki admire : Bresson, Ozu, et surtout Chaplin dont on retrouve l’humour désespéré. C’est une petite salle mais on y origramme Le Mépris de Godard, Rocco et ses frères de Visconti...
On pourrait aussi dire que le film traite de la précarité, tout autant économique que sentimentale. Et on appréciera la sobriété des décors qui sert la thématique. Ansa et Holappa sont comme des feuilles mortes baladées par le vent. Il faut saluer leur courage malgré les déboires. Ansa travaille souvent pour rien, par suite d’enchaînements de problèmes. Les plans tournés en usine paraissent dater du siècle dernier. Les couleurs semblent s’être effacées. L’ouvrière passe beaucoup de temps dans les transports et travaille comme un homme, dans des conditions extrêmes, sans vraiment gagner sa vie. Ce n’est guère mieux pour lui et les situations relèvent souvent du tragi-comique, notamment au cabaret ou au cinéma qui sont les seuls endroits où le rêve est possible, même si les personnages ne se le permettent pas systématiquement. Il suffit de noter certains plans les montrant immobiles et pensifs.
Et pourtant il arrive qu’un jour les feuilles atterrissent sur un terrain favorable. La vie peut alors de nouveau germer. Petit à petit l’espoir chassera le désespoir. Les couleurs reviendront et l’amour pourra triompher.
Les feuilles mortes d'Aki Kaurismäki, avec Alma Pöysti et Jussi Vatanen
Au cinéma depuis le 20 septembre.2023 - Photos Diaphana
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