Pour des raisons familiales, je n’ai pas pu suivre les compétitions des courts-métrages ni des films pour la jeunesse mais uniquement celle qui confrontait cinq longs-métrages, tous des premiers films. Ce choix intentionnel de Carline Diallo, la programmatrice du festival Paysages de cinéastes, et directrice du Rex de Chatenay-Malabry, fut une très bonne idée.
Ils étaient en effet en quelque sorte placés sur un pied d’égalité et leur qualité fut telle que le choix du jury était difficile. Pour preuve le Jury des Femmes n’a pas pu départager Inchallah un fils et Goodbye Julia tandis que le Grand Jury accorda son prix au premier et le public au second.
Ces deux films sont donc les grands gagnants de la compétition long métrage et je partage totalement ce palmarès, auquel j’ajouterais en troisième position Augure de Baloji, un film franco-belge-congolais de 2023.
Ce long métrage est empreint de magie où l’absent occupe tout l’espace, au détriment parfois des vivants comme en témoigne une terrible scène d’exorcisme :
Koffi est considéré comme un zabolo (sorcier), Koffi a été banni par sa mère. Après 15 ans d'absence, il revient à Lubumbashi pour s'acquitter de sa dot. Accompagné par sa future femme Alice, il va se confronter aux préjugés et à la suspicion des siens.
Le film commence sur une traversée onirique du désert. Il fait référence à la mythologie congolaise mais aussi aux contes que nous connaissons bien en Europe comme Hansel et Gretel.
Les colons de Felipe Gálvez Haberle avait été salué à la fin de la première projection. Ce film argentin-chilien de 2024 a reçu le Prix de la critique internationale au festival de Cannes mais la violence du sujet et l’interprétation, uniquement masculine, quoique très intéressante pour qui s’intéresse à l’histoire du Chili n’a sans doute pas fait le poids face aux propositions toutes en nuances de Amjad Al Rasheed et de Mohamed Kordofani.
Quant à Il pleut dans la maison de Paloma Sermon-Daï, venue le présenter à Châtenay, j’ai personnellement été dérangée par une prise de son rendant difficile la compréhension des dialogues et par son traitement du thème de la précarité. Je lui reconnais néanmoins de grandes qualités.
J’ai donc, moi aussi, été emportée par deux longs-métrages qui sont des plaidoyers en faveur de la condition de la femme, d’abord (dans l’ordre de projection) par Inchallah un fils remarquablement conçu par Amjad Al Rasheed :
Jordanie, de nos jours. Après la mort soudaine de son mari, Nawal, 30 ans, doit se battre pour sa part d'héritage, afin de sauver sa fille et sa maison, dans une société où avoir un fils changerait la donne.
Trois pays coproduisent ce film de 2024, la Jordanie, la France et le Qatar. C’est un vrai choc de le visionner. Je n’imaginais pas qu’une femme puisse se retrouver quasiment à la rue et dépossédée de tout après la mort de son mari (dont elle a honoré les dettes auparavant avec sa propre dot) à notre époque en Jordanie alors qu’elle vit dans un milieu plutôt favorisé, juste au motif qu’elle n’a pas de fils. J’ignorais aussi la contrainte du deuil de quatre mois et dix jours cloîtrée suivis de l’obligation de rentrer au foyer avant le coucher du soleil.
Le film est bouleversant et on a le sentiment d’assister à une course contre la montre avec moult rebondissements dignes d’un thriller. C’est très habile de l’avoir construit de cette manière car on dépasse le contexte du plaidoyer. Il y a aussi beaucoup de tendresse entre les femmes, notamment la mère et la fille et ce sentiment est mis en valeur avec humour : mange doucement, ton plat ne va pas s’enfuir …
Certaines images sont d’une grande beauté, en particulier les scènes tournées au marché.
Mais il y a aussi une extrême violence dans certaines familles comme celle où travaille la jeune veuve. La fille de la maison paiera très cher son audace au nom de la liberté individuelle. Car ce pays subit des règles qui, pour nous, sont moyennageuses, avec en premier lieu l’interdiction de l’avortement que les femmes tentent de pratiquer en absorbant de la cannelle.
A cet égard, n’oublions pas combien la condition féminine est compliquée dans beaucoup d’autres pays. Je me souviens avoir lu dans Une vie possible de Liane Papin il y a quelques mois qu’attendre une petite fille est une calamité pour les femmes afghanes et qu’au Salvador une fausse couche (naturelle) entraine la prison faute de savoir si elle ne résulte pas d’une tentative d’avortement, lequel est totalement prohibé.
On espère que la situation de Nawal va s’arranger. Être veuve et maman d’une fille est une véritable double peine car la loi permet à la famille du mari d’hériter de son patrimoine s’il n’a pas d’enfant mâle. Il faudrait un geste divin pour corriger le destin. Le premier signe est l’annonce d’une grossesse qui permet le report de l’indivision. Mais comment croire au miracle dans ce pays où tout est haram (interdit).
En contrastant avec le générique de début dont les images montrent une femme qui tente de récupérer un soutien-gorge tombé du fil à linge, la scène finale dans le pick-up est d’un humour encore une fois appréciable après l’horreur qu’on devine s’être passé dans la famille (riche) où travaille Nawal. Bref, un film plein de sens qui traite avec finesse de beaucoup de sujets graves.
Enfin, Goodbye Julia, de Mohamed Kordofani, est un superbe film soudanais de 2023 qui est un vrai plaidoyer porté par deux femmes en faveur de la réconciliation des soudanais opposés par des tensions ethniques et économiques. Le Nord et le Sud sont à couteaux tirés depuis le départ des britanniques qui a déclenché 50 ans de guerre civile et la création de deux Etats en 2012 n’a fait que renforcer le conflit.
À la veille de la division du Soudan, Mona, ex-chanteuse nord-soudanaise, cherche à se racheter d'avoir accidentellement causé la mort d'un homme sud-soudanais, en engageant sa femme comme domestique.
Comme dans le film précédent la loi n’est pas synonyme de justice et on voit bien de quel côté se trouve la police. Le spectateur est bien entendu horrifié par la situation. Un crime est camouflé par une fausse déclaration. Un inconnu a été tué par des inconnus. Point final. Ainsi disparaît au sens propre comme au figuré le mari de Julia.
Le réalisateur soulève énormément de questions. L’amitié entre une soudanaise musulmane et une soudanaise chrétienne est-elle possible ? Et par voie de conséquence la réconciliation entre les peuples est-elle envisageable ou le prix du sang est-il plus fort que tout ? Faire des excuses peut-il suffire à gommer l’offense ? A l’instar du film précédent on sent combien les différences de milieu social sont prégnantes. Il interroge aussi sur la notion de profit et de mensonge.
A signaler que le titre fait référence à la mère du réalisateur qui s’appelle Julia et que le film est dédié à la mémoire de son père. On peut donc y voir une autobiographie, ce qui est encore plus touchant.
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