Gilles Paris a accéléré le rythme car il nous offre désormais un roman par an. Après la Sicile où se déroulait Le bal des cendres qui avait également été publié chez Plon, voici son onzième ouvrage, dans lequel il réussit à se renouveler encore, comme s’il avait, à l’instar de sa nouvelle héroïne, lui aussi plusieurs vies. D’ailleurs, même si c’est une femme qui en est le personnage principal on reconnaît dans Les 7 vies de Mlle Belle Kaplan beaucoup des traits de caractère de l’auteur.
Elle s’appelle Grace, Paradis, Thalia, Jade, Belle et pour sa septième vie Roxane. Cela ne fait que six prénoms. Soit un d’entre eux m’aura échappé. Soit on se trouve face à un problème d’intervalle semblable à ceux qui ont empoisonné les cours de maths de nos années de collège. Soit enfin le premier est occulté car personne, pas même l’auteur, ne sait comment la mère biologique appela son enfant.
Belle Kaplan est une star de cinéma aussi vénérée qu'insaisissable. Tous ses films sont des succès planétaires, mais elle se préserve autant des médias que des réseaux sociaux, et reste extrêmement discrète sur son parcours.
C'est elle qui se raconte et nous dévoile peu à peu des années sulfureuses, tandis que des lettres anonymes lui parviennent faisant allusion à sa trajectoire d'autrefois.
Du présent à hier, nous suivons son histoire, à Paris, en Floride, à San Francisco, tandis qu'elle est sur le point de réaliser son plus grand rêve : tourner un film à Hollywood parmi un casting des plus prestigieux. Juste au moment où son grand amour réapparait, risquant de bouleverser encore une fois son destin.
L’éditeur nous la présente comme insaisissable mais elle n’aura pas grand secret pour le lecteur qui finira -évidemment- par savoir l’essentiel. Mais il lui faudra faire preuve de patience et accepter que les informations lui soient distillées au fil des pages jusqu’à la révélation finale d’un personnage qui avance masqué tout au long de l’histoire. Sans être un roman choral il s’approche de ce style en raison des diverses identités de Belle.
Comme je l’ai mentionné plus haut l’héroïne achèvera sa vie sous le prénom de Roxane mais son rôle préféré étant celui de Belle il justifie son emploi dans le titre. Et c’est, avec l’illustration de la couverture, un clin d’œil supplémentaire au cinéma des années 50 qui a largement sa place dans l’enchaînement des évènements.
On supporte le rythme qui nous est imposé parce qu’il est dynamique, offrant de multiples rebondissements et parce que l’écriture est des plus agréables. Gilles a le sens de la formule. Je n’en donnerai qu’un exemple à propos de morts qu’on ne guette pas : ils ne sont pleurés que par la pluie.
Gilles a aussi l’âme d’un jardinier. Après l’odeur de café des bignognes dans un précédent livre il nous fait cette fois sentir le parfum de la rose Stanwell Perpetual qui a la capacité de changer de parfum à chaque heure du jour (p. 98). C’est un rosier pimprenelle originaire d’Ecosse et combinant la grâce d’un Damas. Il fleurit inlassablement de mai à novembre, est insensible au gel et résistant à la sécheresse, semblant renaître sans cesse et à l’instar de Belle.
Les changements d’identité sont toujours justifiés par un évènement. Ainsi Thalia devient Jade pour éloigner les mauvais esprits. Mais c’est le frère, Ben, qui donne au lecteur la clé de l’énigme de ces métamorphoses : sous prétexte que nous avons été abandonnés par nos mères, il nous faut plusieurs existences pour expier la seule qui nous a été refusée (p. 184).
Belle n’est pas sans défaut. Quoi que vous fassiez, il y a toujours un prix à payer (p. 16) reconnaît-elle avec philosophie, ce qui explique qu’elle soit constamment sur ses gardes. On pense d’abord que c’est pour se protéger du monde en raison de sa méfiance : Ma vie m’a appris à ne faire confiance à personne (p. 24). On apprendra qu’elle a des choses à se reprocher, façon de parler, car elle ne semble jamais avoir de regret pour quoi que ce soit.
Cette battante apprend de chaque expérience. Elle a ainsi retenu les leçons du Dim Mak, appelé aussi Touché Mortel, qui est un ancien art martial originaire de Chine enseignant la façon de frapper les points vitaux de son adversaire pour lui infliger KO, mort ou autres effets secondaires et qui sont utilisés également de façon positive pour soigner en l’acupuncture (p. 102).
Evidemment, elle est crainte : Une femme qui change autant d’identité n’inspire pas confiance (p. 171) préviendra Louise pour mettre son mari en garde, par sagesse ou par jalousie car il se pourrait que Belle soit amoureuse … et d’autant plus dangereuse. La réponse passe par une confrontation avec ce couple qui a beaucoup compté pour elle dans le passé. Ses pensées sont comme aimantées par le souvenir de Pierre Lepage qui revient sans cesse et de manière assez énigmatique. Il faudra pour le comprendre se plier au tempo imposé par Gilles qui ressemble en cela à son héroïne et qui doit lui aussi penser que L’amour affranchit des pires tracas (p. 180).
Quant à sa source de l’inspiration on sait que l’idée a germé dans son esprit pendant le confinement qui, d’une manière générale, fut propice à laisser remonter des souvenirs enfouis, comme celui de conversations avec une certaine Madame Claude.
Gilles Paris est l'auteur de onze livres. Autobiographie d'une Courgette est ce qu’on appelle un best-seller et a fait l'objet d'un film d'animation césarisé et multirécompensé en 2016. Il a ensuite été adapté au théâtre par Pamela Ravassard et a remporté un beau succès au festival d’Avignon 2022 puis 2023 avant d’être présenté à Paris au théâtre Tristan Bernard depuis le 25 août, jusqu'en janvier 2024 et sera en tournée jusqu'en 2025.
Et soyons rassurés, Gilles a déjà posé le point final au prochain dans lequel il sera question d’art et de psychologie. Le cru 2024 est donc assuré.
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