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samedi 9 septembre 2023

La bibliothèque des rêves secrets de Michiko Aoyama

Une nouvelle maison d'édition a vu le jour en ce mois de mai 2022, Nami, créée au sein du groupe Leduc, en faisant le pari que la littérature de l’intime pouvait avoir sa place en France, avec un premier titre écrit par une japonaise, Michiko Aoyama, La bibliothèque des rêves secrets.

Ce choix est tout à fait pertinent. Le roman a été finaliste du Prix des Libraires au Japon en 2020-2021 et a vite grimpé en tête des ventes japonaises à sa sortie, en novembre 2020, avant d’obtenir son propre succès à l’international.

Bien sûr, on pourrait penser qu’il est audacieux de s’appuyer sur des résultats qui ont été obtenus auprès d’un lectorat qui a sans doute peu de points communs avec le public français. Mais il suffit de se rappeler le plébiscite obtenu parTant que le café est encore chaudde Toshikazu Kawaguchi(trad. Miyako Slocombe, chez Albin Michel,d’ailleurs propriétaire de Leduc) pour comprendre que la littérature japonaise feel-good a de quoi séduire la France. Les auteurs y cultivent l’art des légendes urbaines et je dois dire que dès les premières pages deLa bibliothèque des rêves secrets j’ai cru que les deux romans émanaient de la même plume.

Ils ont chacun quelque chose de typiquement oriental dans la manière de concevoir l’importance du détour pour aborder les sujets existentiels comme -dans celui-ci- le sens à donner à sa vie et la notion de « seconde chance » pourvu qu’on ait le déclic pour la saisir.

Ici c’est par le biais d’un conseil de lecture, apparemment incongru, que chacun des personnages parvient à mobiliser des ressources pour changer de métier et trouver sa voie. Les chapitres sont presque indépendants comme le seraient des nouvelles même si les protagonistes se croisent parfois. La lecture est donc très fluide et toujours surprenante.

Bien entendu, le fait qu’un livre puisse changer une vie n’est pas un thème original. On le sait depuis longtemps, en littérature générale comme en littérature jeunesse. Mais cette fois le sujet est traité de manière détournée puisque les conseils de lecture sont prodigués quasi par hasard à l’initiative d’une bibliothécaire (donc de quelqu’un qui n’a rien à vendre) hors normes qui, sur son lieu de travail, s’adonne à un hobby assez original.

Chacun des douze ouvrages recommandés est mentionné à la fin dans une bibliographie très détaillée. Le premier d’entre eux est un épisode des aventures de Guri et Gura - la galette géante, de Yuriko Yamakayi et Rieko Nakagawa, édité par Autrement Junior en avril 2008.

Les principes philosophiques sont simples mais pertinents.Michiko Aoyama a sa propre version du verre à moitié vide ou plein : elle suggère de changer de pays ou de saison pour percevoir un même élément de manière opposée (p. 214). Et quand elle écrit qu’il est formidable de savoir ce que nous voulons faire, nous sommes proches du principe de Sénèque : il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va … et réciproquement.
Le ton est très japonais. J’ai retrouvé la dévotion de ce peuple à l’égard des cerisiers en fleur qui les fête en avril. Même le Parc de Sceaux (92) est envahi pour l’Hanami (photo ci-dessus). J’ai reconnu leur manière particulière d’organiser le foyer, quelques particularités régissant les rapports familiaux, la faculté de certains plats typiques à procurer des effets bien spécifiques. Plusieurs autres éléments de cette culture m’ont probablement échappé mais il se dégage dans ce livre une douceur indéniable qui le place dans la grande catégorie des feel-good.

Et surtout beaucoup de bonté et de bienveillance derrière des situations de prime abord étranges et décalées.

Après avoir été diplômée de l’université, Michiko Aoyama a travaillé pendant deux ans comme journaliste en Australie. A son retour au Japon, elle a été un moment rédacteur en chef d’un magazine tokyoïte puis s’est lancée comme écrivain indépendant. Ce n’est qu’à quarante-sept ans qu’elle a enfin réalisé son rêve de devenir romancière, un peu comme l’un des personnages de ce livre qui est son premier roman publié. Sa propre expérience de libraire a été courte mais elle lui a permis de parler de cette profession avec crédibilité et chacun des cinq chapitres est inspiré de son vécu. Voilà sans doute pourquoi les mots sonnent si juste.

Depuis, elle a écrit un second ouvrage qui est lui aussi publié en juin dernier chez Nami, Un jeudi couleur chocolat. Il se déroule dans un café et nous embarque aussi à Sidney, une ville que l’auteure connait bien.

Si vous aimez ce genre de livre, dans la lignée des réel-Good et de l’intime, vous apprécierez sans doute aussi Le restaurant des recettes oubliées, d’Hisahi Kashiwai, traduit lui aussi par Alice Hureau et publié bien entendu également chez le même éditeur.

La bibliothèque des rêves secretsde Michiko Aoyama, traduit du japonais par Alice Hureau, éditions Nami, en librairie depuis le 17 mai 2022, publié chez J’ai lu le 24 mai 2023

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