J’aurais pu ne pas songer à voir Ama gloria, le second long-métrage de Marie Amachoukeli, s’il n’avait pas été programmé pendant le festival Paysages de cinéastes.
Il ne figurait pas parmi les films en compétition mais il y aurait eu sa place, s’il n’était pas déjà sorti en salles.
Cléo a tout juste six ans. Elle aime follement Gloria, sa nounou qui l’élève depuis sa naissance. Mais Gloria doit retourner d'urgence au Cap-Vert, auprès de ses enfants. Avant son départ, Cléo lui demande de tenir une promesse: la revoir au plus vite. Gloria l’invite à venir dans sa famille et sur son île, passer un dernier été ensemble...
C’est un film délicat qui aborde le déchirement d’un enfant brutalement séparée de sa mère de substitution. Ce qui est très réussi, c’est que la réalisatrice a exorcisé son propre drame quand à six ans, donc au même âge que Cléo, la concierge de l'immeuble où elle vivait est retournée au Portugal s'occuper de sa famille.
Bien sûr elle l’a transformé en inventant une fiction mais sans trahir les émotions d’une petite fille qui avait grandi dans le regard et dans les bras d’une femme et qui soudain la perd. Il n’y a rien de pathologique dans la relation entre l’adulte et l’enfant. La nounou ne cherche d’ailleurs jamais à s’approprier la gamine. C’est de l’amour pur et vrai. Voilà sans doute pourquoi le père n’hésite pas à autoriser sa fille à la retrouver un été.
Chacune sait que ce sera temporaire mais elles vont le vivre pleinement et permettre l’installation du processus de deuil qui n’avait pas pu se mettre en place du fait de la brutalité de la rupture.
Même si la caméra ne se focalise pas constamment sur Cléo, la focale employée place le spectateur en situation de regarder chaque scène en gros plan, ce qui est métaphoriquement annoncé par la première scène, quand Cléo répond aux sollicitations d’un ophtalmologiste chargé de vérifier sa vue.
Pour accentuer encore cet aspect, la réalisatrice a inséré des plans réalisés en images d’animation (de Pierre-Emmanuel Lyet) qui apportent une dimension poétique et qui soulagent la tension narrative. Chaque peinture a été faite à la main, image par image, sur une table lumineuse. Le résultat est très beau, un peu long peut-être puisqu’il occupe 12 minutes du film.
Les deux actrices principales, Louise Mauroy-Panzani (Cléo) et Ilça Moreno Zego (Gloria) sont méconnues et exceptionnelles. On adhère totalement à leur histoire, un peu moins cependant à toutes les facettes de la vie de Gloria qui rencontre bien des soucis, que ce soit dans sa reconversion professionnelle comme patronne d’un hôtel touristique, qu’avec ses deux enfants, une fille bientôt mère (peu désireuse de le devenir, peut-être parce qu’elle est célibataire) et un fils en pleine crise d’adolescence, exprimant une jalousie maladive à l’égard de Cléo.
Mais là n’est pas l’essentiel et il est agréable de découvrir l’île du Cap-Vert, si peu filmée, et son créole particulier dans lequel ont été écrit les dialogues. Cet aspect est loin d’être anecdotique car il va servir à Cléo de tremplin pour comprendre qu’il existe un autre monde que le sien et pour grandir.
Le récit aurait pu être donneur de leçon ou plaintif. Tout est pudeur et retenue, ce qui rend très intenses les moments de bonheur entre l’adulte et l’enfant comme la transmission du pendentif avec la tortue porte-bonheur ou les diverses cérémonies capverdiennes qui sont plus ou moins effleurées. Et si Gloria a elle aussi des bleus à l’âme la caméra ne nous le montre pas directement, comme ce plan où elle apparaît floue derrière des roseaux. Le message final sera sans ambiguïté : il va falloir se quitter et être heureuses (j’ignore si l’adjectif est au pluriel dans le script mais il me semble que l’injonction vaut pour l’une comme pour l’autre).
Le scénario s’appuie sur l’obligation de Gloria de revenir au pays sans trancher sur la moralité de l’histoire. Car si la période de travail en France a éloigné Gloria de ses propres enfants (dont on voit bien qu’elle a eu de lourdes conséquences) elle lui aura permis de mettre de côté la somme nécessaire à l’ouverture de l’hôtel qui lui permettra de faire vivre sa famille. Cependant tel n’est pas le sujet principal du film.
Enfin comment ne pas signaler l’emploi de la si touchante chanson de l’artiste franco-espagnol Nilda Fernandez, Mes yeux dans ton regard qui lui vaudra le trophée de Meilleur espoir masculin en 1992 aux Victoires de la musique.
Ama gloria, premier film de Marie Amachoukeli
Avec Louise Mauroy-Panzani, Ilça Moreno Zego … en salles depuis le 30 août 2023
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