Si Caroline Bouffault est lauréate de la Mention du public 2023 avec Thelma, c'est Soufiane Khaloua qui est lauréat du Prix Hors Concours 2023 pour son roman La Vallée des Lazhars, paru aux éditions Agullo, succédant ainsi à Noël-Nétonon N’Djékéry.
Ainsi la huitième édition du prix couronne deux premiers romans. Je m'en réjouis d'autant plus que ces choix correspondent aux miens.
Je ne spolie rien en recopiant les derniers mots du roman (p. 272) : La vision qui survit toujours, éclatante, et sans cesse renouvelée par mon imagination, est celle de la R 12 verte qui parcourt les routes étroites des déserts, sa tôle déformée par la chaleur et se mêlant à l'asphalte accablé de soleil, point indistinct à l'horizon en exil pour l'éternité.
Cette phrase seule aurait suffit à justifier la photographie de cette voiture sur la couverture qui est presque un des personnages (comme une autre Renault, la R 18 de Messi à l'égard de laquelle le narrateur exprime sa jalousie, regrettant de ne pouvoir la faire parler). Je signale pour les puristes que la R 18 était censée remplacer la R 12 à partir de 1978 et que leur design est très semblable. On pourrait les confondre sur une simple photo.
Le dos du livre résume la situation :
A la frontière Est du Maroc il existe une vallée reculée, la vallée des Lazhars. Sur ses deux versants, deux clans se font face qui se vouent une haine immémoriale : les Adami et les Hokbanis. Pourtant, cet été-là, l’amour et le deuil vont bouleverser les rapports entre les deux familles.Amir Adami est né en France, mais son père a grandi dans la vallée où ils reviennent après six ans d’absence pour assister au mariage de la belle Farah. Le jeune homme a tout l’été pour retrouver une identité qui lui est un droit de naissance et dont il a pourtant du mal à s’emparer. Pour l’aider, il compte sur son "cousin préféré", Haroun, exilé depuis trois ans et de retour pour les noces de sa soeur Farah. Haroun apporte avec lui les histoires haletantes de ses aventures dans tout le Maghreb. Mais, petit à petit, derrière ses récits luxuriants, Amir découvre une réalité différente, intimement liée à la vallée et à ses secrets.La vallée des Lazhars est l’histoire d’une jeunesse qui se heurte à des frontières de toutes sortes et tente de s’en affranchir par la verve, le panache, la désobéissance, -par une solution qui lui est une seconde nature, l’exil.
Peut-on parler, à propos de ce récit, de secrets de famille ou plutôt de non-dits ? Les deux cousins discutent de femmes, d'amour, de nourriture, de Dieu et on sent combien Amir est fasciné par Haroun. Ce qui rend une personne brillante, ça n'est pas sa capacité à parler de sujets profonds, mais celle de rendre profondes les choses les plus futiles (p. 87).
Le mariage réconciliera-t-il les deux familles Ayami et Hokbani, ou resteront-elles ennemies comme les Capulet et les Montaigu de Roméo et Juliette alors qu'elles s'échinent à faire oeuvre d'hospitalité malgré la haine ancestrale ? A moins que l'enterrement de l'aïeule ne le fasse plus encore. Beaucoup d'événements vont se précipiter cet été là. Les émotions sont complexes. Amir est mis en garde contre son cousin mais en vain. Jusqu'à ce qu'Haroun se révèle par son comportement égoïste et monstrueux (p. 142).
Haroun pourra-il revenir après un exil comme si rien ne s'était produit ? Amir, parviendra-t-il à s'emparer d'une identité qui lui est un droit de naissance ? Tant il est vrai que Les terres d'origine s'oublient, les dynasties s'exilent et si l'on n'y prend pas garde, très vite, rien ne subsiste de nous ni de nos parents (p. 12). Lequel des deux choisira la belle Fayrouz ?
Le récit est parfois difficile à suivre. J'aurais apprécié de disposer d'une liste de personnages comme on en trouve au début d'une pièce de théâtre. Les balades en voiture s'enchaînent à l'instar des chevauchées sauvages d'un western.
L'auteur nous transmet sa fascination pour cette région : On peut étendre ses yeux sur un paysage comme on étend ses jambes à la fin d'une journée de travail, a-t-il confié le soir de la remise du prix.
C'est une jolie idée que d'avoir intitulé les différentes parties en les tirant de chansons de Nass et Ghiwan, Cheb Khaleb, Cheb Hasni, Cheikh Mohamed Younsi, Cheikha Rimitti, Souad Massi et Saïd Fikri.
Le ton est très masculin même si on remarquera que ce sont les femmes, les mères en l'occurrence, qui exercent le pouvoir. Ce qui m'inspire à relever sous forme de question à l'auteur un conseil qu'Amir reçoit de son père au début du roman : l'histoire d'une famille ne peut se contenter d'un seul récit, alors je te charge de questionner ta mère (p. 12). Cela donnerait-il sujet à un second roman ?
Soufiane Khaloua est né en 1992 dans l’Aisne. Après des études de lettres à Paris et un master de recherche en littérature, il se dirige vers l’enseignement et est aujourd’hui professeur de français en région parisienne.
Fondées en 2016 par Nadège Agullo et spécialisées en littérature étrangère, les éditions Agullo cherchent à "abolir les frontières". Elles se positionnent comme le porte-voix d’auteurs et d’autrices d’ici et d’ailleurs qui partagent leurs histoires, leurs cultures, leurs joies, leurs espoirs et par-dessus tout leur humanité.
La Vallée des Lazhars de Soufiane Khaloua, éditions Agullo, en librairie depuis le 9 février 2023
Article illustré d'une photo de Soufiane Khaloua, interviewé par Isabelle Motrot sur la scène de la Maison de la poésie, quelques minutes avant l’annonce du lauréat, le soir de la remise des prix.
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