Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 7 janvier 2024

Allegoria, les clés de la symbolique baroque, dans les Anciennes Ecuries du Domaine de Sceaux (92)

La gratuité du premier dimanche du mois ne s'applique pas qu'aux musées parisiens. Le domaine de Sceaux (92) est ainsi accessible aussi bien pour les salles qui se trouvent adans le musée installé dans le château que pour l'exposition temporaire "Allegoria, les clés de la symbolique baroque" (à condition toutefois de ne pas prendre l'option visite guidée qui, il faut le dire, est assez nécessaire et dont j'ai eu la chance de bénéficier. Elle permet de ne pas passer à côté d’œuvres majeures et surtout de comprendre le procédé).

Je parlerai du château dans un autre article de même que du Pavillon de l'Aurore dont le plafond mérite qu'on y passe une bonne heure tant il fourmille de détails. Quant à l'exposition qui occupe le Petit château (voire même "les" expositions car je crois qu'il y en a au moins deux, la préfiguration du Musée du Grand Siècle, et une temporaire intitulée Fantaisies animales, les verres de Murano de la donation Pierre Rosenberg, jusqu'au 31 mars) au 9 rue du Docteur-Berger, je n'ai tout simplement pas eu le temps d'y jeter un oeil avant la fin de la fermeture de ce domaine qui mérite plus d'une journée !

Le présent article est donc consacré à Allegoria qui se déploie dans les Anciennes Écuries parce que c’est elle qui se terminera la première, même si les organisateurs ont décidé de la prolonger jusqu’au 17 mars.

L’exposition propose un parcours didactique qui captivera petits et grands : que signifiaient l’éléphant, l’obélisque, l’abeille, la tulipe, le rameau de chêne ou le chameau, l’œuf d’autruche, le tournesol ou le coquillage ? Les réponses sont données à travers des objets, des livres anciens, et surtout un exceptionnel florilège de tableaux du XVII° siècle qui proviennent de collections privées, de plusieurs musées des Beaux-Arts (Rennes, Quimper, Tours et Orléans), du musée du Grand Siècle, du musée du Domaine départemental de Sceaux, ainsi que des Archives des Hauts-de-Seine.

Pour pouvoir s'imprégner des œuvres présentées, nous avons besoin d'en capter le sens. La première partie de l’exposition, très pédagogique, porte sur l’émergence du langage symbolique. Ensuite, une galerie de peintures allégoriques s’ouvre au visiteur.

Il faut savoir qu’allégorie est un mot latin et italien, de allegorei, signifiant parler autrement. On comprend alors que ce mot désigne la personnification des idées. Un des meilleurs exemples est l’emploi de Marianne pour représenter la République française. Au sens plus large, une allégorie peut être un symbole qui n’est pas forcément un personnage, par exemple un animal, un objet … comme l’exposition en témoigne aussi.

Si les allégories sont très présentes dans la peinture de l’époque baroque pour transmettre des messages religieux et politiques, leur origine remonte plus loin dans le temps, à l’Antiquité.

On les désignera pendant l’époque Renaissance comme des hiéroglyphes, sans doute parce que leur signification était souvent opaque. Elles demandent d’être expliquées, ce à quoi s’est employé le rédacteur du Vert galant pour raconter la centaine d’allégories qui ornent la galerie des Glaces de Versailles.

Le langage symbolique se retrouve dès l'Égypte ancienne, à travers les écritures figuratives ou hiéroglyphes. Du signe à l'emblème, il utilise des thèmes tels que la nature morte, le langage des fleurs, les insectes, les proverbes et fables… Ce langage a été codifié par des textes, et en particulier par l’Iconologia de Cesare Ripa, publiée en 1593.

Il y présente par ordre alphabétique les sentiments humains, vertus, vices et passions, à travers des symboles antiques et ésotériques. Une fois illustrée de gravures, l’Iconologia, devient une véritable encyclopédie d’emblèmes et se diffuse dans toute l’Europe. Elle pénètre en France grâce à la traduction de Jean Baudoin entre 1636 et 1644. Sous le règne de Louis XIV, la plupart des artistes s’en inspirent, et notamment les grands décorateurs.

Chaque artiste utilise la syntaxe allégorique, soit dans le strict respect du code, soit en l’adaptant. Cette syntaxe influence toutes les écoles européennes : ainsi, des peintres aussi différents que Rubens, Vermeer ou Vélasquez avaient une parfaite connaissance de l’Iconologia de Ripa.

L’exposition commence avec les cabinets de curiosités qui témoignent du goût pour le langage allégorique. Dans cette vitrine, le poisson éponge rend hommage au créateur de l’univers. Mais on aurait pu y placer une autre créature de l’ordre animal.
 Integrae Naturae speculum Artisque imago (1617) de Jean Théodore de Bry

Cette gravure anglaise de 1617 d’Elisabeth Ière représente la vison du monde juste après Galilée. Elle est encore géocentrée avec, sur la terre, ce singe enchainé à l’allégorie de la nature, elle-même enchainée à un nuage, censé représenter Dieu. Le cercle rose est rempli de bataillons des anges appartenant au monde céleste, qui est le monde de l’esprit.

Dans une des vitrines on peut remarquer une figue à côté d'une grenade. Cette dernière ayant une forme de pomme et contenant des graines d'un rouge intense, serrées les unes contre les autres, évoque une société composée de membres réunis en ordre pour la défense d'une même cause. Selon Pierio Valeriano (1556) le principal hiéroglyphe et symbole de cette pomme est de signifier l'assemblée de diverses nations et peuples en un. Pour cette raison la grenade est un attributs des allégories de l'Académie, de la Concorde, de la Démocratie, de l'Eglise et de la Victoire.
La douceur, la forme de sac et la mollesse de la figue à maturité ont donné à ce fruit une connotation essentiellement sexuelle. Selon qu'elle est fermée ou fendue, elle peut ainsi évoquer les organes génitaux masculins ou féminins. C'est un symbole de sensualité.

On pourrait aussi noter que la base carrée et le sommet pointu de l'obélisque et de la pyramide ont en commun d'évoquer le passage de la matière à l'esprit. Leur base quadrangulaire symbolise les Quatre Eléments dont la quantité va en se réduisant à mesure qu'ils s'élèvent. La pyramide est associée à la longévité et l'obélisque évoque les mystères les plus sacrés. 

De façon générale, la fleur symbolise la vie brève et est pour cela couramment associée au genre de la vanité. La variété de ses formes, de ses couleurs, voire de ses comportements (l'idée par exemple que le Tournesol suive le soleil dans sa course) la rendait particulièrement accessible à la codification, sans pour autant rendre facile l'interprétation. Surtout lorsqu'elles sont réunies en bouquets foisonnants, sauf alors à évoquer la générosité du Créateur.

Néanmoins il existe des significations partagées par tous comme la rose, associée à Vénus, qui symbolise la beauté, la brièveté de la vie, l'amour et l'odorat ; le pavot évoque le sommeil en raisons de ses propriétés ; la narcisse, l'amour de soi-même ; le lys, la pureté, la pudeur et la sincérité ; l'iris, l'éloquence ; l'oeillet, les fiançailles ; la fleur d'oranger, le mariage ; la tulipe, l'aveuglement d'esprit en raison de la spéculation sur cette fleur ayant conduit au premier krach boursier de l'histoire.

Parmi les fleurs peintes en bouquets apparaissent souvent des insectes ou au pied des vases de petits reptiles, afin d'étendre le discours au monde animal. On rencontre l'abeille (diligence, industrie), la mouche (vie brève, génération spontanée), l'araignée (réussite), la cigale (musique), la fourmi (infatigable), le scarabée (la génération), la chenille (le cycle de la vie).

Nous poursuivons avec un tableau flamand intitulé Les cinq Sens qui est une des allégories les plus faciles à décrypter, même si elle semble à première vue en être éloignée :
La Collation dans un parc ou Les cinq Sens, huile sur panneau de chêne, 
réalisé dans le premier quart du XVII° siècle, attribué à l'Ecole flamande,
appartenant au musée du Domaine départemental de Sceaux
L'âge baroque aimait à jouer des contraires. Ainsi, à l'occasion de la représentation d'une scène paisible de collation dans un parc, l'auteur de ce tableau introduit de façon subliminale une menace, une mise en garde contre nos sens facilement abusables : du Toucher (le couple se donnant la main, à gauche), du Goût (la scène de collation), de l'Ouïe (le joueur de luth et la musique), de l'Odorat (le couple dont les souffles se croisent, en présence d'un chien symbole de la Fidélité et de l'Odorat), de la Vue (le couple assis regardant le paysage). Sur la droite, un seigneur médite à ce spectacle faussement anodin.
Viennent ensuite les Vanités, au XVII° pour apprendre à bien vivre et par voie de conséquence à bien mourir (mettre Philippe Pasqua). Les objets choisis évoquent la vie et le temps qui passe. Quand le crâne est disposé à l’envers, comme le faisait Bosch sur ses  tableaux, c'était pour signifier la folie.
Vanité de Simon Renard de Saint-André (1614-1677), huile sur toile datant d'environ 1670

Portraitiste oublié, ce peintre est aujourd'hui mieux connu pour ses "vanités". Celle-ci réunit quasiment tous les symboles connus pour ces Memento Mori. Elle présente un crâne retournée (désordre du monde, confusion et folie des hommes), environné de symboles évoquant les plaisirs sensuels (les étoffes précieuses, les instruments de musique, les coquillages), le Mal (l'aspic), la fuite du Temps (le sablier), la Mort (la chandelle qui s'éteint) et la Résurrection (le papillon). Le grand livre ouvert présente deux estampes : la Résurrection des morts et la Séparation des bons et des méchants, pour rappeler la part que chacun doit prendre le propre salut de son âme.
La Vérité et l'Ignorance, huile sur toile vers 1630-35 de Jacques Blanchard (1600-1638)

A droite se trouve la Vérité qui est une femme nue, car elle n'a rien à cacher. Elle tient un miroir qui renvoie une image parfaite puisque al Vérité est toujours exacte. De l'autre main s'élève un balance qui symbolise l'égalité qu'elle permet. A gauche, l'enfant qui chevauche un âne est l'allégorie de l'Ignorance. l'enfant symbolise la simplicité de celui qui n'a aucune connaissance et l'âne était vu comme un animal sans intelligence et qui n'en fait qu'à sa tête. L'enfant a souvent les yeux bandés pour signifier que l'ignorant est aveugle aux choses importantes.
Le Temps dévoilant la Vérité, huile sur toile vers 16328-30 de Jacques Blanchard (1600-1638)

Cette combinaison allégorique est traitée par de nombreux artistes à la fin de la Renaissance. La Vérité attend, dissimulée sous un voile sombre, nonchalamment accoudée à un rocher, que le Temps fasse son oeuvre. celui-ci lève le voile sur l'innocente nudité de celle qui jamais n'aurait dû être cachée. Pour attributs, la Vérité trouve à ses pieds un miroir et un globe sur lequel elle pose le talon pour exprimer qu’elle domine le monde.
Le Temps couplant les ailes de l'Amour, huile sur toile de 1694 de Pierre Mignard (1612-1695)

Le Temps intervient aussi dans l'usure des sentiments passionnels : il altère la beauté, la Gloire, l'Espérance, et quantité de qualités et vertus. L'Amour est parmi les puissances créant le plus de désordre. C'est pourquoi il arrive qu'il faille calmer les ardeurs de Cupidon. Ici le Temps n'attend pas que les sentiments s'émoussent d'eux-mêmes : muni d'une force à tondre les moutons, il coupe les ailes de l'Amour et ainsi le neutralise.
Hercule entre le Vice et la Vertu, huile sur toile vers 1700-1710
attribuée à Henri-Antoine de Favanne (1668-1752)

Popularisé dans l'art italien, sous le titre d'Ercole al bivio (Hercule à la croisée des chemins), Hercule doit, au sortir de l'enfance, choisir entre une vie facile -mais courte et peu honorable- faite de plaisirs, et une vie assurant gloire et respectabilité -mais longue et difficile- vouée à la défense du bien. le Vice lui souffle les avantages futiles de la première ; la Vertu lui rappelle les mérites bien réels de la seconde.
Ce grand tableau qui a été prêté au Domaine par les anglais pour cinq ans, peut-être plus, était présenté dans la salle Colbert du château. On remarquera le portrait de Colbert inséré dans le quart supérieur gauche du tableau. Les arts rendent hommage au ministre. Apollon évoque Louis XIV. Les arts figurent symboliquement sur la toile en respectant la hiérarchie des genres de peinture.

Au sommet, la peinture d’histoire par une femme tenant un appuie-main pour s’appuyer sur un tableau de l’histoire, allégorie avec palette. Une femme en jupe bleu représente la peinture de portrait. La Nature morte est présente avec un tableau de fleurs. Il y a aussi la peinture de Paysage. Ne manque que la scène de genre. Mais les outils du sculpteur sont posés en bas, à gauche et la plaque noircie au-dessus fait référence à la gravure. L’architecture est au centre, le dessin à droite.

Les oreilles pointues d’âne de l'artiste couché à la renverse signifient l’ignorance dans laquelle se trouve l’artiste incompétent qui sera puni par le génie de l’art. On termine avec la Renommée triomphante. On pourrait avoir envie de poursuivre en s'exerçant à décoder la galerie de la reine Médicis au Louvre.
Le Repentir du Grand Condé, huile sur otite de 1691 de Michel II Corneille (1642-1708)

En 1691, Henry Jules de Bourbon Condé (1643-1709) commanda à Michel Corneille un grand tableau destiné à la galerie des batailles du château de Chantilly. Cette oeuvre -unique en son genre- devait évoquer le repentir de Louis II de Bourbon Condé (1621-1686) -le Grand Condé- qui, durant la minorité de Louis XIV, était passé du côté de la Fronde et de l'Espagne, avant de revenir au service du roi de France, son cousin. le tableau représente le stratège empêchant une Renommée (la Réputation), à droite, de chanter ses anciennes victoires, remportées au nom de l'Espagne, tandis qu'il demande à une autre Renommée, à gauche, de sonner les succès qu'il connut sous l'étendard français. Dans le coin inférieur gauche, l'Histoire, assise sur le  dos du Temps, arrache les pages de son livre relatant les souvenirs coupables de prince de Condé.

De multiples visites guidées et ateliers sont proposés en lien avec cette exposition pour tous les âges. Le jeune public notamment, pourra observer des objets sous cloche, dont la valeur symbolique est expliquée : miroir, obélisque, éléphant en porcelaine, chandelier, sablier, etc. Ils aident à comprendre, de façon ludique, les messages cachés dans les œuvres picturales.

Le joyau allégorique du Domaine est la coupole du Pavillon de l’Aurore (1672), chef-d'œuvre peint par Charles Le Brun, à la demande du ministre Jean-Baptiste Colbert et dont la visite fera l'objet d'un prochain article.

Allegoria, les clés de la symbolique baroque
Anciennes Écuries du Domaine de Sceaux (92)
Du 15 septembre 2023 au 17 mars 2024
Réservation conseillée pour la visite guidée à resa.museedomainesceaux@hauts-de-seine.fr
ou  par téléphone au 01 41 87 29 71
*
*      *
En cliquant sur les images ci-dessous vous aboutirez à l'article concernant les autres expositions visitantes dans le Domaine de Sceaux. Les liens seront ajoutés au fur et à mesure de la rédaction des articles.

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)