Alors que la salle du Lucernaire est en train de se remplir sans laisser une seule place inoccupée, quelques diapositives enrichissent nos connaissances sur l'univers.
J’ignorais ce qu’était un obélius, tout simplement le signe désignant l’opération de la division ÷ (et qui ne figure même pas sur mon clavier. Il faut, pour l'obtenir taper alt0247 mais ça ne fonctionne pas sur Mac).
J’avais oublié que 2 était le seul nombre premier qui soit également pair. Manifestement, mes voisins de rang n’ignorent rien de tout cela. Je sens que le public de ce soir comprend pléthore de vrais passionnés.
On se doute d'où vient son titre, Very Math Trip, évoquant Very Bad Trip, le film réalisé par Todd Phillips en 2009. Pas de décor et pour tout accessoires un énorme dé (qui ne servira que de pouf) … et une cape … de super matheux.
Manu Houdart arrive sur scène et sa tenue est immédiatement signifiante d’un esprit peu ordinaire. Ses bretelles assurent la bonne tenue de son pantalon, révélant un esprit soucieux d’ordre. Par contre la disparité de ses chaussettes trahit une manière de pensée qui sort systématiquement des sentiers battus. Il affiche un sourire qui nous promet d’associer plaisir et mathématiques.
Tout à l'heure il nous fera cadeau d'une citation d'Oscar Wilde L'art est le résultat mathématique d'un désir sentimental de beauté.
L’homme est professeur de mathématiques, agrégé de mathématiques, donc légitime dans le domaine. Il affirme autant sa belgitude, ce qui laisse entendre que la fantaisie sera au programme. Il insiste d’emblée sur la chute des résultats scolaires, particulièrement en maths, selon le bilan PISA dont la presse s’est récemment fait l’écho, ce qui, soit dit en passant, ne signifie pas réellement une baisse de niveau car depuis la création du collège unique et la constitution de classes hétérogènes avec de multiples nationalités, la moyenne des résultats est tirée vers le bas. Autrefois on ne mesurait que les meilleurs élèves, ce qui introduisait un biais statistique. Néanmoins ce mauvais tableau lui permet de nous proposer d’entreprendre une thérapie, qu’il promet mille fois plus efficace qu’une "gigapie", ce qui provoque peu de rires de connivence dans le public.
Il aurait fallu nous l’écrire pour qu’on fasse le rapprochement entre Téra (symbole T) est le préfixe du Système international d'unités qui représente 10 puissance 12, soit mille milliards tandis que Giga n’est "que" 109.
Quand à π (pi), appelé parfois constante d’Archimèdea, c'est un nombre représenté par la lettre grecque du même nom en minuscule (π). C’est le rapport constant de la circonférence d’un cercle à son diamètre dans un plan euclidien. On peut également le définir comme le rapport de l'aire d'un disque au carré de son rayon. Sa valeur approchée par défaut à moins de 0,5×10–15 près est 3,141592653589793 en écriture décimale 1,2. Nous aurons l’occasion d’en entendre parler à plusieurs reprises.
Je ne vais pas entreprendre de vous raconter TOUT le spectacle parce que ce serait vous priver de pas mal de surprises et d’éclats de rire. Mais je vous en dirai suffisamment pour vous mettre l’eau à la bouche.
On peut dire que la performance de Manu Houdart se situe à mi chemin entre stand-up et mentalisme (en toute logique puisque les mentalistes sont d’excellents mathématiciens). Il a d’ailleurs en commun avec Catoch de s’agacer de recevoir 25 cl de bière quand il commande un demi. Nous saurons que ce n’est pas par erreur mais par déformation d’un mot normand, demiard, intervenu au Moyen-Age.
Il prétend que ceci expliquerait l’appétence des Belges pour la multiplication. Toujours-est-il que depuis 1992 il a endossé la cape de Maths Man alors que le thème musical de Superman résonne dans nos oreilles.
Il se lance dans un cours d’algèbre puis de géométrie en invoquant Pythagore, sans grande surprise, si ce n’est qu’on a un peu effacé de nos mémoires en quoi il est utile de connaître son fameux théorème.
Une chose est sûre, l’origine grecque du mot mathématique (de mathéma, connaissances) est justifiée et on va augmenter les nôtres de manière exponentielle ce soir. C’est ce qui s’appelle un effet waouh.
Ce seront plusieurs figures majeures comme Carl Friedrich Gauss, génie surdoué dont la mère illettrée n’enregistra pas la date de naissance et dont Einstein reconnaissait que sans lui il n’aurait pas réussi à élaborer sa théorie de la relativité.
On apprend pourquoi il n’existe pas de Nobel de mathématiques dont l’équivalent est néanmoins le Prix John Charles Fields que reçut notamment Cédric Vilani avant de s’engager dans la bataille électorale pour la présidence de la république en omettant de calculer ses chances.
Moins amusant, on apprend (hélas sans grande surprise) que seulement deux femmes ont reçu cette distinction. Le spectacle rend aussi hommage à Sophie Germain qui dû se faire passer pour un homme afin de pouvoir suivre un enseignement. L'artiste sait-il que la jeune femme entretint une correspondance avec Gauss comme nous l’apprend Sophie Dodeller dans son livre, Sophie Germain, la femme cachée des mathématiques, collection Médium, Ecole des loisirs, février 2020.
Il a raison en tout cas d’insister sur l'absence de son nom sur la Tour Eiffel parmi les 72 savants les plus marquants depuis la Révolution Française, comme aucune autre femme d'ailleurs, pas même Marie Curie. Si vous lisez le livre de Sophie Dodeller, vous apprendrez qu’on désigne sous le terme de effet Matilda (p. 133) cette amnésie dans l'importance de la contribution féminine au développement scientifique. Pourquoi l’histoire a-t-elle retenu Alan Turing et pas Ada Lovelace dont la courte vie 1815-1852 ui a tout de même permis d'être pionnière en science informatique ?
Vous repartirez plus savant et pourrez épater vos amis en leur expliquant pourquoi Google a pris cette dénomination et pourquoi on dit quatre-vingt en France et pas nonante. Et quelle forme spéciale les filets des buts ont adopté afin d’économiser du fil.
Il se termine avec un numéro époustouflant qui pourrait nous faire croire que les maths relèvent de la magie. En fait c’est beaucoup de travail, mais jamais ingrat.
Bref, un spectacle, créé il y a quelques années mais heureusement nous revient. Il cumule intelligence et humour . On ne perd jamais le fil et il est tout bonnement … formidable. La mise en scène est signée de Thomas Le Douarec, un homme de théâtre qu’on n’attendait pas forcément dans ce registre et qui y témoigne d’une belle efficacité.
Manifestement, le public va pouvoir se réconcilier avec l'univers mathématique. Il y a quelques semaines, le film Le théorème de Marguerite de de Anna Novion préparait le terrain.
Very Math Trip de et avec Manu Houdart
Mise en scène par Thomas Le Douarec
Au Lucernaire - 53 rue Notre-Dame-des-Champs - 75006 Paris
Du 14 janvier au 2 juin 2024
Le Dimanche à 19 heures
Relâches le 24 mars et le 21 avril 2024.
Rencontre avec l’équipe artistique le dimanche 3 mars 2024 à l’issue de la représentation.
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