L'histoire se déroule à la fin du XVII° mais Le grand feu est écrit au présent, ce qui donne de la vivacité à un récit composé de chapitres brefs qui permettent de faire progresser l'intrigue avec dynamisme, quitte, parfois, à ne pas approfondir certaines piste
Léonore de Récondo adopte le point de vue du narrateur (la troisième personne) mais apparaît de temps en temps un "je", parole échappée de la bouche d'Ilaria. Et à certains moments aussi, plus loin, la voix de Paolo, le frère de Prudenza, qui se demande, comme son grand père, si la réalité est un mirage (p. 103).
L'auteure a construit ce roman comme un opéra, et le texte devient non seulement un hymne à la puissance de la musique mais aussi comme une sorte de conte dont l'issue ne peut qu'être fatale. Certaines formules sont d'une rare beauté, comme celle-ci par exemple : La beauté, certains soirs, désarme la mélancolie (p. 52).
Le cadre est surtout celui de la Pietà, une institution publique vénitienne qui a ouvert ses portes en 1345 pour offrir une chance de survie aux enfants abandonnées en leur épargnant infanticides ou prostitution.
Ce qui étonne, c'est que bien que cet endroit soit régi par le blanc et le noir il y a malgré tout beaucoup de couleurs vives qui apparaissent au fil des pages.
Le lecteur supposera que c’est parce que Bianca, la gardienne de tout à la Pietà (dont on peut noter que son prénom incarne la blancheur), est la cousine de sa mère qu’Ilaria y sera placée en 1699, alors âgée de quelques semaines, afin d’assurer son avenir. La tractation se fera contre la fourniture de soies et de lins blancs qui lui permirent d’entrer en musique comme elle aurait pu entrer au couvent (p. 21). De temps en temps Léonore de Récondo s’appesantira sur la difficulté de cette mère à exprimer ses sentiments et sur les moqueries qu’Ilaria doit subir de ses sœurs, restées auprès de ses parents, sans qu’elle ne comprenne pourquoi son destin est différent.
A chaque fois qu’elle cousera des robes pour les pensionnaires, la marchande d’étoffes cachera un peu de bleu dans l’ourlet de la robe blanche, pour la protéger ou lui porter chance (p. 100). A cette époque, la ville a perdu de sa puissance, et la peste y a décimé une partie de la population mais lui restent ses palais, ses nombreux théâtres et son carnaval qui dure alors six mois. C’est une période faste pour l’art et la musique, le violon en particulier, qui est l’instrument qu’apprendra Ilaria. Elle excellera tant qu’elle deviendra la copiste du maestro Antonio Vivaldi.
Car on enseigne à la Pietà la musique au plus haut niveau. On se presse aux concerts organisés dans l’église attenante. Cachées derrière des grilles ouvragées, les jeunes interprètes jouent et chantent des pièces composées exclusivement pour elles. Maria, une orpheline à la voix d’alto très grave, réussira grâce à ce don à gravir tous les échelons de l’institution, accédant ainsi à une reconnaissance impossible ailleurs. Pourtant, ni les cadeaux ni les compliments n’étanchent sa soif de considération. Elle obtiendra ce qu’elle souhaite : la gloire et un mariage qui la sortira de là (p.26).
Quand Maria chante les murs s’écroulent, ça ressemble aux flammes d’un grand feu (p. 27). Ilaria l’admire et la croit sorcière. L'auteure abandonne vite ce personnage (et la piste de la sorcellerie) au profit de Prudenza, une fillette du même âge qu’Ilaria, qui se lieront d’une amitié indéfectible qui donnera à la jeune fille une ouverture vers le monde extérieur.
Quand Maria chante les murs s’écroulent, ça ressemble aux flammes d’un grand feu (p. 27). Ilaria l’admire et la croit sorcière. L'auteure abandonne vite ce personnage (et la piste de la sorcellerie) au profit de Prudenza, une fillette du même âge qu’Ilaria, qui se lieront d’une amitié indéfectible qui donnera à la jeune fille une ouverture vers le monde extérieur.
Le grand feu, ce sera autant celui de la pratique de la musique que l’amour qui foudroiera Ilaria à l’aube de ses quinze ans, abattant les murs qui l’ont à la fois protégée et enfermée. C’est celui qui mêle le désir charnel à la musique si étroitement dans son cœur qu’elle les confond et s’y perd. Il suffit de lire ce que ressent la jeune fille alors qu'elle déchiffre une partition : Elle va prendre feu. Son violon va brûler, les tentures, le palais, tout va brûler. Elle n’est plus qu’une flamme vive, elle avec le ruban, l’habit blanc, ses tresses, une couronne incandescente (p. 67).
Si Maria réussit à conquérir un destin enviable, d'autres personnages n'échappent pas à la noirceur de leur destin. Ainsi Paolo rêve de reconquérir la Crète depuis qu’Héraklion est tombée aux mains des Turcs, songeant à la parole de son père lui disant que Venise a tout perdu, la richesse et l’Orient, pour n’être plus qu’un tout petit bout de terre sur la lagune, un vestige du faste passé (p. 81). Cet épisode fait bien entendu écho au récent voyage que j'ai accompli sur cette île.
Quant à la jeune Ilaria … je vous laisse envisager quel avenir elle va conquérir.
Le grand feu de Léonore de Récondo, Grasset, août 2023
Liste des livres sélectionnés pour le Prix des Lecteurs d'Antony :Trust – Hernan Diaz
Mille Hivers – Renaud de Chamaray
Mille Hivers – Renaud de Chamaray
Le grand feu – Leonor de Recondo
Kalmann – Joachim B. Schmidt
Du thé pour les fantômes – Chris Vuklisevic
Ruby Moonlight – Ali Coby Eckerman
Demain les ombres – Noëlle Michel
Humus – Gaspard Koenig
Panorama – Lilia Hassaine
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