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mercredi 11 avril 2012

Rencontre avec Frédéric Videau, le réalisateur de A moi seule

Le film est directement inspiré des huit années de séquestration de Natascha Kampusch jeune autrichienne enlevée à l'âge de 10 ans par Wolfgang Priklopil, ingénieur électricien, et séquestrée jusqu'en août 2006, date à laquelle elle s'est échappée. Mais ce n'est pas cette histoire qui nous est racontée.

Ce que Frédéric Videau réussit à filmer, c'est une force de vie qui dépasse l'entendement sans être pour autant plus facile à vivre une fois dehors. Il a rejoint tout à l'heure les spectateurs du Rex de Chatenay-Malabry (92) après la projection pour répondre à leurs questions ... ou leur en renvoyer d'autres car l'homme a du caractère.

L'histoire est bouleversante, les acteurs sont tous excellents et la tension était palpable dans la salle, parce que nous étions en plein dedans. Nos interrogations n'avaient donc aucun recul. Si  nous n'avions pas été "cueillis" à chaud il est probable que nous aurions décodé nous-mêmes les réponses qui sont claires dans le film.

Très loin d'une démonstration comme celle de Faites entrer l'accusé, Frédéric Videau parvient à montrer la contradiction des sentiments à l'intérieur du "salaud," selon le propre terme dont il désigne le ravisseur car il ne fait aucun doute que son acte est criminel, d'un point de légal.

Vincent (dont le prénom et phonétiquement proche de Wolfgang) est à la fois bourreau et victime. Reda Kateb rend les contradictions du personnage, effrayant et détestable dans une des premières scènes où on le voit péter les plombs. "Encore un samedi de tiré", la petite phrase du collègue semble banale. Dite sur un ton qui se veut sympathique elle déclenche une fureur inouïe dont on comprendra la cause plus tard ... encore un samedi loin d'elle, donc un jour de perdu, définitivement.

Cette scène du début du film est essentielle pour qu'il n'y ait pas de doute sur la violence dont l'homme est capable. Il n'y aura plus besoin de la montrer par la suite. On sait qu'elle existe. 

Vincent est étonnamment touchant à d'autres moments quand il subit, il n'y a pas d'autres mots, la mauvaise humeur de Gaëlle (Tu me vouvoie pas, tu m'appelles Vincent !), quand on le sent vide loin d'elle, quand il quémande de l'empathie (On a été heureux ensemble, tu peux pas le nier) et plus encore quand on réalise que c'est sa décision à lui de l'avoir laissée partir. La complexité de la situation est parfaitement rendue sans que le film n'excuse jamais l'acte.
Frédéric Videau a écrit le scénario en pensant à Agathe Bonitzer, qui est une Gaëlle idéale, rousse, aux yeux noirs, insolente, très désobéissante. Là encore pour nous spectateur qui sommes "tombés" dans le panneau du cinéma on craint pour la santé mentale de l'actrice. Elle est tellement dans la peau du personnage qu'on oublie qu'elle joue un jeu et que donc elle ne sera pas "démolie" par le rôle qu'elle aura malgré tout habité. Le réalisateur nous rassure totalement. Elle en est sortie aussi facilement qu'elle y est entrée.

Ceux qui sont allés ou qui iront la voir dans Une bouteille à la mer le comprendront. C'est une grande actrice que l'on découvre en ce moment sur les écrans.

Les parents sont brisés. Leur couple a éclaté. Ni le père, ni la mère ne reconnaisse leur fille, malgré toute l'affection qu'ils voudraient lui témoigner. Le père est devenu alcoolique, au grand désespoir de Gaëlle :

- Tu peux pas arrêter de souffrir Papa ? 
- Toi tu peux ?
- Je suis vivante, Papa !

La culpabilité de la mère n'est pas moins lourde : j'ai rien pu empêcher ...

Et le spectateur s'imagine que la victime, elle aussi, a sa part de responsabilité dans l'affaire : Je me suis pas échappée.

La violence est sous-jacente souvent. L'angoisse de l'abandon est terrible. On a l'impression que cela finit mal alors que non, si on écoute bien les derniers mots : je suis neuve, toute neuve. Je commence par çà.

Ce n'est sans doute pas un hasard si une guitare est accrochée au-dessus de la trappe d'accès au sous-sol. L'instrument est très présent dans la musique du film qui n'est pas un "nappage" placé sur les images pour faire joli. Elle occupe des endroits bien particuliers pour ajouter autre chose que ce qui est alors montré ou dit. Les titres des morceaux correspondent aux séquences en question.

La corde à linge accompagne la joie de Vincent, heureux à l'idée de passer un week-end à deux ... Dans le parc donne une dimension dramatique à la sortie nocturne de Gaëlle. Le CD de Florent Marchet comprend 9 titres, dont Vincent la nuit qui a été retiré de la version finale, mais qui est si beau qu'il a été conservé dans le CD.

La littérature a également une place particulière en raison de l'enfermement de Gaëlle. A part lire, écrire, écouter de la musique et se teindre les cheveux, elle n'a pas grand chose à faire. Frédéric Videau se reconnait comme étant grand dévoreur de livres. Sans doute prendra-t-il le temps de lire le tout aussi intéressant travail que Delphine Bertholon a fait sur le sujet avec Twist ... et qui devait être adapté il y a trois ans pour France 2.

A moi seule est un film sensible, touchant, envers lequel j'avais néanmoins une petite appréhension, croyant connaitre cette histoire par coeur. Et, me croirez-vous j'ai déjà envie de retourner le voir.

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