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lundi 7 mai 2012

Janine Boissard, écrivain populaire, publie Une vie en plus


J'ai eu la chance de rencontrer Janine Boissard alors que je venais de terminer Une vie en plus. Ce livre, paru en février 2012, chez Fayard, remporte déjà un beau succès. Rien d'étonnant, d'une part parce qu'il a tous les ingrédients pour captiver les lecteurs, et aussi parce que le lectorat de l'auteur est d'une grande fidélité.

Une volumineuse correspondance lui est adressée qui témoigne de la particularité de son écriture. Ses lecteurs se reconnaissent dans les personnages de ses romans, ce qui fait d'elle une sorte d'écrivain porte-voix. Elle est considérée comme un membre de la famille, au sens large, et ne s'étonne plus de recevoir un faire-part, de naissnce ou de décès.

Il n'y a pas de secret à son succès. Elle va dans les endroits dont elle parle, à la recherche de la couleur et de l'odeur qui fera sens. Elle décrit les paysages par l'émotion qu'elle ressent. Elle se mêle aux gens, partage quasiment leur vie, et quand elle écrit, avec compassion et empathie, elle suit tour à tour le mari, la femme, les enfants. Rien d'étonnant à ce que ses personnages semblent vrais. D'ailleurs elle leur compose une biographie avant de commencer à construire la trame du livre. Elle consigne sur une fiche leurs goûts, leurs habitudes, tout ce qui met de la chair autour de ce qui n'est d'abord qu'un prénom. Il est capital que chacun soit en permanence en cohérence avec lui-même. L'histoire par contre pourra prendre un tournant inattendu.

Dans une Vie en plus Janine Boissard n'avait pas prémédité l'importance de la musique qui a surgi brusquement. Elle-même retrouvait son rêve d'enfant de jouer du piano et de chanter de l'opéra. Surprise du cours que son histoire allait prendre elle a couru chez son éditeur avant de poursuivre dans cette voie qui s'écartait du scénario qui avait été validé. Adeline était si crédible qu'il a encouragé Janine. Et tant pis, ou tant mieux, si le livre allait s'étoffer du fait que l'histoire prenait de l'ampleur.

Une vie en plus est ainsi devenu un livre très personnel où l'auteur a mis beaucoup d'elle-même. A commencer par la couverture, d'une belle couleur rouge, faisant ressortir cette jeune femme aux ailes ... de papillon. Etre entrainée par un personnage dans un ailleurs qui n'a pas été prévu initialement n'était pas pour lui déplaire, parce que c'est un signe annonciateur de réussite.

Ce dernier livre s'inscrit avec modernité dans la continuité de l'Esprit de famille qui est son best-seller. Adeline est une "happy housewife", qui désire profiter de sa maison et mieux connaitre ses enfants avant qu'il ne soit trop tard. Loin d'être "abrutie",  elle ne renonce pas définitivement au monde du travail et Janine parle avec tendresse de cette presque quarantenaire qui souhaite s'accorder une parenthèse.

La question du hasard revient souvent entre les pages. On comprend qu'elle n'y croit pas davantage qu'aux coincidences. Si les rats quittent le navire, explique-t-elle, c'est parce qu'ils ont senti des vibrations. Elle ajoute que les humains reçoivent parfois des avertissements qu'ils acceptent ou pas d'entendre.

On sent Janine Boissard affectée par la passivité des gens qui souffrent. Elle n'a pas eu la vie facile qu'on serait tenté de lui prêter mais elle a toujours avancé. Elle est porteuse d'un message qui se veut énergique à l'égard de ceux qui ont connu un malheur : bougez, sortez, tournez-vous le plus possible vers votre rêve.
Elle vit sur l'émotion, évoquant avec pudeur une enfance douloureuse. Surnommée la "papareille" par ses camarades de pension elle a souvent serré les dents. Son besoin de reconnaissance était forcément très vif et son caractère rebelle ne faisait que le renforcer. 

On n'est pas responsable de sa naissance, fait-elle remarquer, en sous-entendant qu'on l'est de la manière dont on va poursuivre sa vie. Avoir eu un père grand commis de l'Etat qui martelait : ne juge pas, comprends (il était inspecteur des finances) l'a formatée. L'enfant blessée surgit au détour des lignes. Il s'incarne dans Manon et Agathe, les héroïnes de Loup, y es-tu ? un roman paru chez Robert Laffont en 2009, réédité en Pocket l'an dernier, qu'on a du mal à lâcher dès qu'on en a lu le premier chapitre.

Janine Boissard croit avoir été une bonne mère et une bonne grand-mère ("suffisamment" bonne dirait Donald Winnicott, c'est-à-dire répondant de façon équilibrée aux besoins de ses enfants) présente à la maison, avec une belle capacité d'écoute.

C'est une sportive. Longtemps très bien classée au tennis, elle joue en double avec ses filles et ses petits-enfants, surtout l'été. Elle adore le ski, faisant trembler ses éditeurs qui préfèrent la savoir marcher dans les bois.
Elle se lève à 5 heures, écrit à la plume avant de taper ses lignes sur une ancienne machine électrique qui occupe la place centrale de son bureau comme un piano où elle ferait ses arpèges. Elle corrige au moins dix fois jusqu'à ce que la musique des mots soit là, reconnaissable à haute voix.

Elle avoue deux péchés, par essence féminins, la coquetterie et la gourmandise. Si le potage préféré d'Adeline (page 382) est un Saint-germain : pois, poireaux, salade, jaune d'oeuf, elle a un faible pour une soupe à l'oseille qu'elle fait avec les feuilles coupées dans le jardin de sa maison normande.

Elle fait revenir l'oseille dans du beurre, ajoute des pommes de terre, mouille d'un bouillon de poule ou de boeuf, et sert avec de la crème épaisse (AOC, d'Isigny peut-être ...) et des croutons.

On devine que les petits-enfants viennent fêter leurs anniversaires dans cette maison qui ne désemplit pas. Les règles y sont peu nombreuses mais sans appel. Les repas doivent être pris en commun, portables éteints. Les jeunes auront ensuite tout le loisir de voir les films qu'ils veulent "sur les trucs qu'ils transportent".

N'allons pas l'imaginer en mamie-gâteaux, elle dit ne pas savoir faire la pâtisserie. Contrairement à ce qu'on pourrait croire Janine Boissard n'est pas formaliste. Elle adore mêler les niveaux de langage, glisser des mots un peu "hards" dans un beau style qui lui est naturel. Elle ne craind pas d'être relou, et aime inventer des mots.

L'enfant rebelle n'est jamais loin. Elle supporte mal les interdits. Elle apprécie que les trains soient devenus "non-fumeur" mais s'énerverait qu'on l'empêche de fumer dans son appartement. Elle pourrait au contraire brandir une grosse pancarte "permis de fumer" en songeant à tous ceux qui sont morts, dépressifs, parce qu'on les avait privé de la cigarette. Aucune odeur de tabac pourtant dans le salon où nous conversons.

Elle revendique un féminisme intelligent. Celui qui approuve le droit à la contraception qui a libéré les femmes de l'effrayante peur d'une grossesse non désirée. celui-là encore qui leur a permis d'ouvrir un compte en banque sans pleurer la signature de leur mari. Par contre ce n'est pas elle qui revendiquera le féminin à auteur ou écrivain, ni qui contraindrait la gente masculine à exécuter des travaux ménagers.

Les hommes ont, selon elle, besoin de notre tendresse et elle est prête à les défendre. A condition toutefois que les rôles soient clairement définis. C'est le thème central de Sois un homme, papa. que j'avais chroniqué en septembre 2010. Elle nous rappelle avec des mots simples qu'une vie réussie est un rêve d'enfant réalisé. Qu'il n'est pas une denrée estampillée par une date de péremption et qu'il n'est (presque) jamais trop tard pour devenir un homme !

Le quotidien l'inspire. Le bon docteur Tardieu qui est le mécène de Mathis, est un hommage à son dentiste qui fait écouter de la musique classique ou moderne pour apaiser ses patients. Malek Chebel, l'anthropologue des religions et philosophe algérien qui a récemment publié sa propre traduction du Coran, et qui prône un islam libéral est le personnage central du livre éponyme édité par Fayard en octobre 2008. Son enfance a ému Janine Boissard qui a bataillé pour la raconter.

A l'inverse, la foudre s'abattra sur quiconque tenterait de la trahir, inspirant alors un personnage dont le destin sera radicalement douloureux. Elle écrit avec ses tripes, adore le suspense, s'amuse avec les nerfs de ses lecteurs, comme avec cette affaire de kits de recherche en paternité (p. 318 et suivantes).

Le prochain ouvrage, qui paraitra chez Robert Laffont, tourne autour d'un très lourd secret de famille et nous emportera dans les grandes propriétés de la région de Cognac. Il ne faut pas oublier que Janine fut la première femme à entrer dans l'univers (très masculin) du roman noir avec B comme Baptiste même si elle se dit incapable de ne pas porter ses romans vers une fin paisible. Cette amoureuse de la littérature américaine n'écrit pas pour plaire mais elle revendique le label d'écrivain populaire qui permet à son lectorat de rêver ... sans perdre sa capacité d'action, bien au contraire.

Passer une heure en la compagnie d'une telle femme vous dope pour longtemps. Nul doute qu'elle incarne la pensée de Georges Braque : L'art est une blessure devenue lumière.

Une vie en plus, Janine Boissard, chez Fayard, février 2012

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