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jeudi 31 janvier 2013

Correspondances à l'Espace culturel Vuitton


La nouvelle exposition de l'Espace culturel Vuitton est encore une célébration du voyage. Elle est consacrée au Mail Art mais son intitulé, Correspondances, est un mot plus riche encore parce qu'il invite à faire des liens entre les artistes et leurs oeuvres. Elle ouvre demain au public et vous aurez jusqu'au 5 mai pour la découvrir.

S'il ne fallait retenir qu'une phrase ce serait "Please add and return" ... une invitation de l'émetteur à l'adresse du destinataire. Car le Mail Art suppose un aller-retour.

Ray Johnson est considéré comme l'inventeur du concept, dans les années 50 avec le tout premier collage associant un billet de banque et une étiquette Lucky Strike.

Il y avait eu jusque là des échanges de correspondances magnifiques mais pas avec l'esprit d'en faire une oeuvre d'art. C'est le premier qui eut l'idée de bâtir un réseau. Il commença par des personnes "ordinaires" dont il aurait, légende ou fantasme ... sélectionné les noms au hasard, en piochant dans le bottin.
Sur la feuille ci-dessous son correspondant a obéi au principe en ajoutant ... des cheveux sur le dessin qu'il avait reçu.
Le mouvement prendra de l'ampleur grâce à une révolution technologique avec l'apparition de la première photocopieuse en 1958 qui permettra à Ray Johnson de communiquer à plus grande échelle. Si l'homme était assez narcissique il était malgré tout assez réservé, vivant retiré, ne se déplaçant jamais à un vernissage.

Il fut l'ami d'Andy Warhol et un fervent admirateur du Pop Art. Certaines de ses oeuvres font penser à ce que faisant cet artiste. d'ailleurs il dessinait des lapins de manière récurrente comme on peut le voir sur les feuilles qui sont exposées.

Mais contrairement à ceux qui vendaient très cher il tenait à ce que l'oeuvre ne coute que le prix d'un timbre. Il disait avec dérision avoir inventé le Flop Art.
Il a écrit à Jackson Pollock ou Willem de Kooning, en jouant avec le nom de ce dernier. Toutes les fortes personnalités l'interpelaient comme ici James Dean.
Une très longue table lumineuse évoquant le déroulement d'une torah présente 165 de ses oeuvres, provenant toutes des archives de New-York, dans un ordre chronologique, depuis la première jusqu'à la dernière qui le représente assis devant la porte de sa maison.
Sa disparition est énigmatique. A partir des années 80 il cessa brusquement d'exposer et conserva tout chez lui. Il mourut un vendredi 13, vêtu d'un costume noir, noyé dans un lac après avoir envoyé un ultime message : Qui suis-je ? Pour le savoir allez voir dans ma maison.

On ne peut s'empêcher de penser à Virginia Woolf s'enfonçant dans l'eau les poches lestées de cailloux.
Alighiero Boetti a réalisé en 1975 un collage d'enveloppes timbrées d'Ethiopie, d'un format de 52 x 71,5 cm, appartenant à la collection Anne-Marie Sauzeau Boetti. Ces lettres adressées à sa femme et à sa fille, Agatha, alors âgée de 4 ans, n'ont jamais été ouvertes. personne n'en connait le contenu.

Il n'empêche que l'ensemble délivre un message, que nous nous sommes amusés à trouver presque tout seuls, alors que le titre de l'oeuvre nous l'aurait donné immédiatement. Au moins avons-nous eu le plaisir de déjouer la censure comme Boetti l'avait pressenti pour comprendre qu'il célébrait la liberté pour l'Ethiopie.
Il faut suivre l'alignement des timbres et s'arrêter lorsque l'homme est collé tête en bas. En attribuant une lettre de l'alphabet à chacun, et dans l'ordre on comprend que le cinquième timbre signifie E. On poursuit en reprenant à la lettre A et on trouve un R puis un I etc... jusqu'à obtenir Eritrea Libera.

L'artiste avait ouvert un hôtel à Kaboul dans les années 70, en plein mouvement hippie qui faisait de cette région une destination à la mode. Il en est parti en 1979 au moment de l'invasion soviétique.
Danh Vo nous fait découvrir la figure de Théophane Vénard, prêtre envoyé par les Missions étrangères de Paris en 1852 au Tonkin,  où il entre clandestinement, et où il sera condamné à mort et exécuté  en 1861. Il avait appris le vietnamien pour se mettre au service de son évêque. La situation était alors difficile pour les chrétiens et les persécutions furent intenses contre eux. Il se réfugia dans des grottes ou des cachettes, protégé par des villageois chrétiens. Il y traduisit des épîtres en vietnamien et fut nommé supérieur du séminaire. En 1860, il est dénoncé par un villageois et capturé, puis exécuté l'année suivante par décapitation.

Les nombreuses lettres qu'il a écrites tout au long de sa vie, et notamment pendant sa période missionnaire, sont recueillies et publiées par son frère Eusèbe après sa mort. Elles font grande impression en France, notamment auprès de Thérèse de Lisieux.

Phung Vo, le père de l'artiste,  a recopié à la main la dernière dont voici un extrait : Un léger coup de sabre séparera ma tête comme une fleur printanière que le Maitre du jardin cieulle pour son plaisir. nous sommes tous des fleurs plantés sur cette terre que Dieu cueille en son temps, un peu plus tôt, un peu plus tard. (...) Je vous souhaite, cher Père, une longue, paisible, et vertueuse vieillesse. Portez doucement la croix de cette vie, à la suite de Jésus, jusqu'au calvaire d'un heureux trépas. Père et fils se reverront au paradis. Moi, petit éphémère, je m'en vais le premier. Adieu.
L’Espace culturel Louis Vuitton a souhaité également confier une carte blanche à deux artistes, une vidéaste, Clarisse Hahn, et un sculpteur, Guillaume Leblon, qui répondent à leur manière aux multiples facettes et possibilités d’un art qui, n’en déplaise aux partisans d’un tournant numérique, n’a rien perdu de son actualité.
Guillaume Leblon a conçu une installation autour de 5 fragments de portes, importées spécialement de Grande-Bretagne pour l'exposition, et dans lesquelles figurent des fentes permettant de glisser des lettres.

Vittorio Santoro applique le principe au pied de la lettre comme le prouve la presque centaine de lettres qu'il a affichées sur trois murs de l'Espace, punaisées selon un ordre qui n'appartient qu'à lui, et toujours à la droite de l'enveloppe. L'effet est saisissant. La vue d'ensemble est puissante. Très vite le regard est attiré par un graphisme, une disposition des phrases, une signature, une couleur d'encre ou de papier, un format d'enveloppe.

Il a envoyé, entre mars 2010 et novembre 2011, des "invitations" à des gens issus ou non du milieu de l'art, leur demandant sans lus d'explication de lui renvoyer par courrier, dans un premier temps, une lettre comportant l'énigmatique phrase "Silence destroys consequences".

Sommes-nous indiscrets si nous lisons  les réponses... entre les lignes ?
Rares sont ceux qui n'ont pas joué le jeu. Deux personnes ou organismes n'ont pas répondu. Le musée d'art contemporain de Chicago (ci-dessus) ne fait pas ce qu'on lui demande. Le conservateur se dit très honoré mais voudrait comprendre pourquoi il a été choisi.
Nicholas Paul Kovaleski se plie à l'injonction mais c'est plus fort que lui, il disserte sur le sujet.
Cet autre correspondant noie presque la phrase dans la page, au centre d'un texte qui est totalement barré.
Par contre le Centre Pompidou-Metz et Sandra Mulliez font rigoureusement ce qui leur est demandé. Même si cette dernière laisse libre cours à sa fantaisie sur l'enveloppe.
Bob Wilson, dont le spectacle Le regard du sourd, présenté en 1971 au festival de Nancy apporta la consécration internationale transforme la phrase en une véritable oeuvre d'art.

Eugenio Dittborn tentait de ne pas perdre un mot des explications qui étaient données à propos de son History of the Human Face, composée de 5 palimpsestes qu'il adressa sous enveloppes à l'Espace culturel. Chaque morceau fut déplié, surtout pas repassé puisque les plis attestent du voyage.

Chacun sera d'ailleurs réexpédié dans une nouvelle enveloppe après avoir été replié.

En faisant ainsi voyager son oeuvre l'artiste contourne les frontières de la dictature mais il court aussi le risque de la perte. Les enveloppes sont des fabrications spéciales imaginées par l'artiste qui m'a dit avoir constitué un stock énorme, lequel semble s'épuiser de façon préoccupante.


Il importe en effet que les Postes considèrent toujours ses peintures comme des lettres et les acheminent immanquablement à n'importe quel endroit de la Terre.

Il nous explique que le voyage est la politique de ses peintures et les plis, le dépliage de cette politique.

On peut voir les enveloppes sur le mur de gauche et les toiles juste en face sur le mur de droite. Une évocation de Brueghel marque la toile centrale, la numéro 3, alors que la première et la dernière évoquent la consommation de l'art.

Il combine plusieurs techniques (mentionnées sur chaque enveloppe) et combine avec des croquis prélevés dans les livres donnés aux enfants pour apprendre à dessiner.

Il faut les regarder de loin puis de près, s'attacher aux détails, observe l'invisible :
Distributeur de vins autrichiens en Belgique et en France (on les sert notamment au Crillon), Kurt Ryslavy a toujours considéré son négoce comme une partie intégrante d'un Gesamtkunstwerk, une oeuvre d'art totale. Les factures, discrètement entachées, envoyées à ses clients, sont représentatives d'un Mail Art coïncidant avec une activité économique. Erik Verhagen, le commissaire de l'exposition, estime que les exposer n'aurait pas de sens.
Kurt était pourtant bien présent le soir du vernissage ... dans la cuisine où quelques happy few ont eu le privilège de gouter quelques bouteilles. Si le rouge est un peu tannique, avec de puissantes fragrances de fruits rouges, le blanc fut une vraie surprise et une très belle découverte. J'ignorais que le vin autrichien pouvait être aussi aromatique.
Cette rencontre était particulière mais vous pourrez par contre profiter de la nouvelle décoration de l'atrium dans son entièreté alors que ce soir là l'essentiel avait été décroché pour gagner de la place. N'oubliez pas de demander au liftier de vous y arrêter en redescendant du 7ème étage.

Une autre surprise m'attendait dans le hall avec une performance dansée très réussie.
Une dernière oeuvre est à regarder, dans la vitrine de la rue Bassano. Il s'agit du Package Project de Stephen Antonakos, initié en septembre 1971. Il est constitué de paquets reçus par l'artiste à la suite d'une invitation lancée à des connaissances : Would you please send me something in a package for a project I am doing ? Bien entendu ceux-ci n'ont jamais été ouverts, ce qui donne lieu à beaucoup de conjectures, en fonction de la forme.
Cherchez donc à reconnaitre les envois de Sol Lewitt, Ray Johnson et de Christo pour n'en citer que quelques-uns.

Correspondances, à l'Espace culturel Louis Vuitton, 60, rue de Bassano, 101, avenue des Champs-Élysées 75008 Paris
Ouvert du lundi au samedi de 12h00 à 19h00, le dimanche de 11h00 à 19h00.
Tel 01 53 57 52 03

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