Le public robinsonnais n’allait pas manquer la pièce écrite par un enfant du pays et interprétée par les deux frères Cherer. La mention "complet" barre l’affiche des Noeuds au mouchoir depuis plusieurs jours. Et c'est une chance pour moi d'être parvenue à avoir une place au Théâtre de l'Allegria sans aller sur Paris où le spectacle se joue au Palais des Glaces depuis le 4 octobre.
Deux frères fâchés que tout oppose s'évitent soigneusement depuis longtemps. Daniel est banquier, pressé, marié et infidèle ; Jean est artiste, rêveur, divorcé et fauché. Une erreur d'emploi du temps les fait se retrouver face à face, le même soir, chez leur mère Augustine, qui commence sérieusement à perdre la boule. Jean est aux petits soins pour elle. Daniel, lui, veut la placer en maison de retraite. Chacun vide son sac, mais l'inquiétude qu'ils nourrissent l'un et l'autre pour leur maman les conduit à reléguer au second plan leur dérisoire règlement de comptes
Anémone a à peine le temps d'entrer en scène, et de s’asseoir dans son fauteuil, qu’elle est déjà bruyamment applaudie. La popularité de l'actrice est immense. Elle décroche le téléphone, prononce un allo tremblotant qui donne envie de rire. Pourtant on sait que le sujet n’est pas drôle.
Le décor est typique de l'intérieur d'une maison où vit une personne âgée, encombré d'objets et hors du temps, où le temps s'est arrêté. Le sapin de Noël y trône du 1er janvier au 31 décembre. La vieille femme n’est pas que Alzheimer, elle est également sourde, ce qui double le handicap. Elle joue au professeur Tournesol sans qu'on perçoive si elle ne le fait pas un peu exprès. Elle devrait tout de même savoir que le petit gâteau qu'elle force son fils à manger est dur comme du chien : une Madeleine en béton dit-il, qu’est-ce qui est embêtant ? demande-t-elle.
En tout cas, les deux frères n'ont pas la même vision des choses. L'un d'eux (Pierre-Jean Cherer, photographié en haut de l'article) n’ose reconnaître l’importance de la maladie alors que le second (Denis Cherer) n'y va pas par quatre chemins, ce qui fait ressurgir les querelles d'enfance et les jalousies jusque là contenues.
Les dialogues sonnent justes. Quiconque a dans sa famille un(e) aïeule atteint de démence ou de la maladie d’Alzheimer a entendu ces plaintes : Je ne comprends plus rien, ça ne va pas du tout, c’était pas comme ça avant. (...) Pourquoi c’est plus comme avant ?
On reconnait cette façon de dire "si tu veux" par quelqu'un à qui la réalité n'a plus le même sens. Ou encore ce reproche face à des évidences : J'aimerais bien être mise au courant de temps en temps !
Ça aurait pu être triste. C'est furieusement drôle. Parce qu'il n’y a pas que les malades qui ont du mal avec les applications téléphoniques et on s'amuse de voir Danny s'énerver contre la musique d'attente de Vivaldi et taper 1, 2 ou # sans parvenir à obtenir le correspondant souhaité.
Son frère fait le clown et danse sur la musique de Let's groove Tonight du groupe Darty Wind and Fire, ce qui nous ramène nous aussi quelques années en arrière.
On est habitué à la vieillesse du corps. Elle se voit, elle est palpable. Mais la dégénérescence du cerveau est plus insidieuse et elle est douloureuse pour celui qui la subit comme pour l'entourage, surtout quand le malade a des moments de lucidité.
C’est plus du tout pareil là-dedans (elle désigne sa tête). Je crois que je me prépare des lendemains qui déchantent. Quand on sait qu'on a perdu un quart de notre capacité à nous concentrer en raison du piratage de nos cerveaux par l'emploi des objets connectés on peut se demander avec effroi comment nous vieillirons ... et si nous aussi nous serons autant effrayés à l'idée d'aller en maison (de retraite).
A quoi ferons-nous des noeuds pour nous rappeler les fondamentaux puisque nous n'employons plus que du papier ? On sait mais on veut pas savoir. L'émotion est à son comble à la fin du spectacle quand la mère murmure Y a trop de noeuds à mon mouchoir. Comme Augustine on dira sans doute : Je sais plus, alors je pleure.
Il y a dans la pièce des moments joyeux, intenses, des disputes, et des instants de bonheur car la mère n'est pas tant que ça à côté de la plaque. Elle n'a de cesse que ses deux enfants se réconcilient. D’ailleurs elle y parvient. Et quelle joie de les voir se rappeler ce qu'ils chantaient quand ils étaient petits garçons.
Le public est conquis. Denis Cherer estime nécessaire au moment des saluts de remercier le public pour sa qualité d'écoute. Il cherche ses mots pour expliquer qu'Augustine s'appelait Rose-Marie, que beaucoup de personnes dans la salle ont bien connue. Anémone est venue à son secours en disant avec simplicité qu'il s'agissait de sa maman, alors que Pierre-Jean ajoutait en écho, c'est la mienne aussi, et la comédienne de conclure bref cette histoire c’est la leur.
Il n'y a rien à ajouter à propos de cette pièce, drôle et poignante, bel équilibre d'humour et d'émotion, qui place les trois comédiens sur un pied d'égalité.
Les noeuds au mouchoir de Denis Cherer
Deux frères fâchés que tout oppose s'évitent soigneusement depuis longtemps. Daniel est banquier, pressé, marié et infidèle ; Jean est artiste, rêveur, divorcé et fauché. Une erreur d'emploi du temps les fait se retrouver face à face, le même soir, chez leur mère Augustine, qui commence sérieusement à perdre la boule. Jean est aux petits soins pour elle. Daniel, lui, veut la placer en maison de retraite. Chacun vide son sac, mais l'inquiétude qu'ils nourrissent l'un et l'autre pour leur maman les conduit à reléguer au second plan leur dérisoire règlement de comptes
Anémone a à peine le temps d'entrer en scène, et de s’asseoir dans son fauteuil, qu’elle est déjà bruyamment applaudie. La popularité de l'actrice est immense. Elle décroche le téléphone, prononce un allo tremblotant qui donne envie de rire. Pourtant on sait que le sujet n’est pas drôle.
Le décor est typique de l'intérieur d'une maison où vit une personne âgée, encombré d'objets et hors du temps, où le temps s'est arrêté. Le sapin de Noël y trône du 1er janvier au 31 décembre. La vieille femme n’est pas que Alzheimer, elle est également sourde, ce qui double le handicap. Elle joue au professeur Tournesol sans qu'on perçoive si elle ne le fait pas un peu exprès. Elle devrait tout de même savoir que le petit gâteau qu'elle force son fils à manger est dur comme du chien : une Madeleine en béton dit-il, qu’est-ce qui est embêtant ? demande-t-elle.
En tout cas, les deux frères n'ont pas la même vision des choses. L'un d'eux (Pierre-Jean Cherer, photographié en haut de l'article) n’ose reconnaître l’importance de la maladie alors que le second (Denis Cherer) n'y va pas par quatre chemins, ce qui fait ressurgir les querelles d'enfance et les jalousies jusque là contenues.
Les dialogues sonnent justes. Quiconque a dans sa famille un(e) aïeule atteint de démence ou de la maladie d’Alzheimer a entendu ces plaintes : Je ne comprends plus rien, ça ne va pas du tout, c’était pas comme ça avant. (...) Pourquoi c’est plus comme avant ?
On reconnait cette façon de dire "si tu veux" par quelqu'un à qui la réalité n'a plus le même sens. Ou encore ce reproche face à des évidences : J'aimerais bien être mise au courant de temps en temps !
Ça aurait pu être triste. C'est furieusement drôle. Parce qu'il n’y a pas que les malades qui ont du mal avec les applications téléphoniques et on s'amuse de voir Danny s'énerver contre la musique d'attente de Vivaldi et taper 1, 2 ou # sans parvenir à obtenir le correspondant souhaité.
Son frère fait le clown et danse sur la musique de Let's groove Tonight du groupe Darty Wind and Fire, ce qui nous ramène nous aussi quelques années en arrière.
On est habitué à la vieillesse du corps. Elle se voit, elle est palpable. Mais la dégénérescence du cerveau est plus insidieuse et elle est douloureuse pour celui qui la subit comme pour l'entourage, surtout quand le malade a des moments de lucidité.
C’est plus du tout pareil là-dedans (elle désigne sa tête). Je crois que je me prépare des lendemains qui déchantent. Quand on sait qu'on a perdu un quart de notre capacité à nous concentrer en raison du piratage de nos cerveaux par l'emploi des objets connectés on peut se demander avec effroi comment nous vieillirons ... et si nous aussi nous serons autant effrayés à l'idée d'aller en maison (de retraite).
A quoi ferons-nous des noeuds pour nous rappeler les fondamentaux puisque nous n'employons plus que du papier ? On sait mais on veut pas savoir. L'émotion est à son comble à la fin du spectacle quand la mère murmure Y a trop de noeuds à mon mouchoir. Comme Augustine on dira sans doute : Je sais plus, alors je pleure.
Il y a dans la pièce des moments joyeux, intenses, des disputes, et des instants de bonheur car la mère n'est pas tant que ça à côté de la plaque. Elle n'a de cesse que ses deux enfants se réconcilient. D’ailleurs elle y parvient. Et quelle joie de les voir se rappeler ce qu'ils chantaient quand ils étaient petits garçons.
Le public est conquis. Denis Cherer estime nécessaire au moment des saluts de remercier le public pour sa qualité d'écoute. Il cherche ses mots pour expliquer qu'Augustine s'appelait Rose-Marie, que beaucoup de personnes dans la salle ont bien connue. Anémone est venue à son secours en disant avec simplicité qu'il s'agissait de sa maman, alors que Pierre-Jean ajoutait en écho, c'est la mienne aussi, et la comédienne de conclure bref cette histoire c’est la leur.
Il n'y a rien à ajouter à propos de cette pièce, drôle et poignante, bel équilibre d'humour et d'émotion, qui place les trois comédiens sur un pied d'égalité.
Les noeuds au mouchoir de Denis Cherer
Mise en scène de Anne Bourgeois
Avec Anémone, Denis Cherer, Pierre-Jean Cherer
Du 4 octobre au 31 décembre 2017 (sauf les 14 et 22 octobre)
Tous les mercredis, jeudis, vendredis et samedis à 19h15.
Matinée les dimanches à 15h30 à partir du 29/10
Palais des Glaces
37 rue du Faubourg du Temple 75010 Paris
01 42 02 27 17
PS : Je vous invite à jeter plus qu'un oeil sur les court-métrages conçus par Pierre-Jean Cherer, alias Mr Piji sur YouTube qui sont des petits bijoux d'humour.
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Claire Ratzki
PS : Je vous invite à jeter plus qu'un oeil sur les court-métrages conçus par Pierre-Jean Cherer, alias Mr Piji sur YouTube qui sont des petits bijoux d'humour.
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Claire Ratzki
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