Si La blessure appartient à la dernière sélection des 68 premières fois c'est à la présentation de la rentrée littéraire de l'Iconoclaste que j'ai rencontré cet auteur. Sa manière de présenter son ouvrage était très émouvante.
Jean Baptiste Naudet est grand reporter en politique internationale au Nouvel Observateur depuis dix-sept ans après avoir été journaliste au Service étranger du Monde pendant dix ans. Il a couvert beaucoup d’événements terribles dans le monde entier dont une bonne demi-douzaine de guerres.
Comme le dit la sagesse populaire il y a de quoi tomber fou et, sans juger le moins du monde une telle vocation, il est inconcevable pour moi de la vivre en toute sérénité. J'ai été très surprise de l'entendre affirmer qu'il aime la guerre dont il parle en affirmant que la beauté se niche (aussi) à côté de l’horreur.
Je n’ai pas ressenti la beauté en question dans le livre qu’il a écrit pour se libérer d’un stress post traumatique. Par contre j’ai mesuré une autre beauté ... qui n’est pas liée à la guerre mais à la puissance des sentiments amoureux qui animent le couple dont l’auteur nous fait partager le quotidien, celui que formait Robert, tué au combat en Algérie, avec sa mère, Danielle, que dans son enfance effarée il avait vue sombrer dans la folie. Cette femme était hantée par le chagrin et la culpabilité à l’égard du peuple algérien.
Ce livre est magnifique à l’instar du chardon qui éclôt sur une terre aride. Il n’occulte pas les atrocités vécues en ex-Yougoslavie, en Tchétchénie ou pire encore au Rwanda et il est légitime de revivre ces épisodes la nuit en cauchemars. Quel médicament serait assez puissant pour effacer de telles scènes de guerre ? Après les molécules chimiques et la psychothérapie, Jean Baptiste Naudet essaye l’écriture pour conjurer une idée fixe, celle de croire que son destin serait de mourir à la guerre, comme le premier fiancé de sa maman mort en juin 1960 en Algérie, précisément dans les montagnes de Kabylie.
On se croit libre et on découvre qu’on agit en opposition ou en miroir de nos parents. Tout va bien quand père et mère partagent le même point de vue. Mais quand un gouffre les sépare, aucun enfant ne peut se construire en maintenant longtemps le grand écart pour réconcilier l’un et l’autre. Surtout quand le poids d’un secret familial étouffe. C’est ce que comprend l'auteur après la mort de sa mère.
Il réalise alors qu’il s’était inconsciemment identifié à Robert. Commence alors une enquête qui le conduira sur sa tombe, et auprès de sa famille. Son propre père lui confiera ensuite la correspondance échangée entre les deux amoureux, et qu'il avait respectueusement conservée.
Il lui faudra du temps pour apprivoiser l’émotion qui, étonnamment, est plus forte que toutes celles qu’il a ressenties dans les scènes de conflit. Il a modelé ce matériau en érigeant un monument à la mémoire de sa mère et de son fiancé, tout en respectant son père. On devine que le traumatisme n’est pas effacé mais chacun en sort grandi.
La blessure n’est pas une leçon d’histoire mais ce livre tient à la fois du roman et du témoignage. Il lève un peu le voile sur cette guerre d’Algérie dont on parle très peu comparativement aux deux grandes guerres mondiales. Celles-là n’ont pas été glorieuses, en ce sens que la mort d’un seul homme ne sera jamais un acte dont on peut être fier, mais l’odeur du soufre n’est pas au même endroit. La mauvaise guerre, au mauvais endroit, au mauvais moment contre le mauvais ennemi, selon la formule du général américain Bradley (p. 42). Les soldats français s’y sont trouvés en position offensive et non défensive, cela change beaucoup de choses.
C’est un livre très émouvant parce qu’on mesure toute la sincérité du propos et parce qu'il est écrit dans une langue très belle et très riche. Il s'en dégage aussi une grande tendresse.
La blessure de Jean-Baptiste Naudet, L'Iconoclaste, en librairie depuis le 29 août 2018
Jean Baptiste Naudet est grand reporter en politique internationale au Nouvel Observateur depuis dix-sept ans après avoir été journaliste au Service étranger du Monde pendant dix ans. Il a couvert beaucoup d’événements terribles dans le monde entier dont une bonne demi-douzaine de guerres.
Comme le dit la sagesse populaire il y a de quoi tomber fou et, sans juger le moins du monde une telle vocation, il est inconcevable pour moi de la vivre en toute sérénité. J'ai été très surprise de l'entendre affirmer qu'il aime la guerre dont il parle en affirmant que la beauté se niche (aussi) à côté de l’horreur.
Je n’ai pas ressenti la beauté en question dans le livre qu’il a écrit pour se libérer d’un stress post traumatique. Par contre j’ai mesuré une autre beauté ... qui n’est pas liée à la guerre mais à la puissance des sentiments amoureux qui animent le couple dont l’auteur nous fait partager le quotidien, celui que formait Robert, tué au combat en Algérie, avec sa mère, Danielle, que dans son enfance effarée il avait vue sombrer dans la folie. Cette femme était hantée par le chagrin et la culpabilité à l’égard du peuple algérien.
Ce livre est magnifique à l’instar du chardon qui éclôt sur une terre aride. Il n’occulte pas les atrocités vécues en ex-Yougoslavie, en Tchétchénie ou pire encore au Rwanda et il est légitime de revivre ces épisodes la nuit en cauchemars. Quel médicament serait assez puissant pour effacer de telles scènes de guerre ? Après les molécules chimiques et la psychothérapie, Jean Baptiste Naudet essaye l’écriture pour conjurer une idée fixe, celle de croire que son destin serait de mourir à la guerre, comme le premier fiancé de sa maman mort en juin 1960 en Algérie, précisément dans les montagnes de Kabylie.
On se croit libre et on découvre qu’on agit en opposition ou en miroir de nos parents. Tout va bien quand père et mère partagent le même point de vue. Mais quand un gouffre les sépare, aucun enfant ne peut se construire en maintenant longtemps le grand écart pour réconcilier l’un et l’autre. Surtout quand le poids d’un secret familial étouffe. C’est ce que comprend l'auteur après la mort de sa mère.
Il réalise alors qu’il s’était inconsciemment identifié à Robert. Commence alors une enquête qui le conduira sur sa tombe, et auprès de sa famille. Son propre père lui confiera ensuite la correspondance échangée entre les deux amoureux, et qu'il avait respectueusement conservée.
Il lui faudra du temps pour apprivoiser l’émotion qui, étonnamment, est plus forte que toutes celles qu’il a ressenties dans les scènes de conflit. Il a modelé ce matériau en érigeant un monument à la mémoire de sa mère et de son fiancé, tout en respectant son père. On devine que le traumatisme n’est pas effacé mais chacun en sort grandi.
La blessure n’est pas une leçon d’histoire mais ce livre tient à la fois du roman et du témoignage. Il lève un peu le voile sur cette guerre d’Algérie dont on parle très peu comparativement aux deux grandes guerres mondiales. Celles-là n’ont pas été glorieuses, en ce sens que la mort d’un seul homme ne sera jamais un acte dont on peut être fier, mais l’odeur du soufre n’est pas au même endroit. La mauvaise guerre, au mauvais endroit, au mauvais moment contre le mauvais ennemi, selon la formule du général américain Bradley (p. 42). Les soldats français s’y sont trouvés en position offensive et non défensive, cela change beaucoup de choses.
C’est un livre très émouvant parce qu’on mesure toute la sincérité du propos et parce qu'il est écrit dans une langue très belle et très riche. Il s'en dégage aussi une grande tendresse.
La blessure de Jean-Baptiste Naudet, L'Iconoclaste, en librairie depuis le 29 août 2018
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