En lisant Trancher, je pensais qu'au-delà de prendre une décision, ce titre signifiait la nécessité à couper le lien qui attache la narratrice à Aurélien, sorte de cordon ombilical nourricier (c'est l'amour de sa vie) et destructeur (il va l'étouffer, cela ne fait plus de doute).i
Son habitude des listes fait penser à un roman sélectionné l'an dernier par les 68 premières fois, Eparse, où Lisa Balavoine faisait, elle aussi, état de violences conjugales.
Mais la particularité d'Amélie Cordonnier est de glisser des hommages dans son texte, paroles de chanson (souvent de Barbara mais pas que d'elle) ou de poème, sans astérisque, italiques ou notes de bas de page pour les signaler. Ce sont autant de touches d'épices pour rehausser le sens, et installer la connivence avec le lecteur, et c'est très agréable.
C'est comme si elle disait à son personnage -puisqu'elle lui parle à la seconde personne du singulier, en la tutoyant- tu vois tu n'es pas toute seule à vivre ce que tu vis. D'autres avant toi ont suivi le chemin, et il n'est pas sans issue.
Même la première phrase du roman (p.13) "C'est arrivé sans prévenir" ... est une citation masquéee. On pense au Mal de vivre de Barbara mais c'est plus exactement encore la superbe chanson de Grand Corps Malade Midi 20 qui s'achève sur des paroles d'espoir : je vais faire ce qu'il faut pour que mes espoirs ne restent pas vains.
C'est presque sur des vers de Baudelaire que s'achèvera le roman (p. 134) : Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères, des divans profonds comme des tombeaux, et d’étranges fleurs sur des étagères (extrait de La mort des amants).
Il faut avoir (malheureusement) vécu un enfer comparable pour mesurer ce qu'il faut de courage pour prendre son élan, comme pour sauter de l'autre coté d'un gouffre, en espérant n'y pas tomber, pour "juste" interroger (p. 18) tu te rends compte de ce que tu m'as dit ? ... sans même avoir un quelconque espoir de réponse, juste poser la question, comme on poserait un petit caillou sur une tombe.
Et puis décider de les noter, ces insanités, pour ne rien oublier, et surtout déplacer la honte de soi sur le papier. Ecrire comme une bataille, dis-tu. Voilà que moi aussi, lectrice, je te tutoie.
Ta mère t'a toujours interdit de geindre (p. 58). Elle est incapable de recevoir un cadeau (p. 91). Je n'avais pas pensé au rôle de la mère dans l'acceptation de la violence conjugale. Cela m'ouvre des perspectives.
Tu vis sur le qui-vive, mais tu as appris à apprivoiser la peur. Alors avoir le courage de recoller les morceaux ... ça ne peut pas te manquer.
On dit (p. 102) que la honte ne tue pas mais elle reste tue (...) des mots comme des rasoirs (...) que tu vas endormir en récitant comme un mantra un texte, lui aussi écrit à la seconde personne, Un homme qui dort de Perec.
Avec quelle jolie stratégie de détournement tu transformes en insultes les noms des stations de métro (p. 133). Quelle jouissance de lecture !
Et ça surgit encore en regardant les amoureux (...) qui se bécotent (...) et qui n'ont pas une p'tite gueule particulièrement sympathique. Vas-y donc, fais ce clin d'oeil au poète qui n'a jamais voulu demander son amoureuse en mariage, parce qu'il la respectait trop pour l'aliéner. Sais-tu qu'ils sont ensemble pour éternité là où sont gravés leurs noms, en bas ... de la pierre tombale ? Dix-huit ans après Georges, Joha Heiman, la Püppchen, est désormais blottie pour l'éternité à coté de son éternel fiancé, Dans ce cimetière de Sète qui n'est pas marin mais qui est celui du Ly.
C'est beau tout ça mais tu te l'es promis, il faut trancher au plus tard le jour de ton anniversaire, et c'est demain, le 3 janvier.
Cela fait des années que tu le croyais guéri de sa violence, Mais depuis que ce matin de septembre, devant vos enfants ahuris, il t'a de nouveau insultée, rien n'est redevenu "comme avant". Malgré lui, plaide-t-il. Pourras-tu encore supporter tout ça ? Tu es plus que jamais dans la tourmente et tu nous livres le roman d’un amour ravagé par les mots.
T'es qu'une conne, ma fille, dirait-tu à la fin. C'est toi qui le dis en te parlant comme une mère ...
Trancher d'Amélie Cordonnier, chez Flammarion, en librairie depuis le 29 août 2018Son habitude des listes fait penser à un roman sélectionné l'an dernier par les 68 premières fois, Eparse, où Lisa Balavoine faisait, elle aussi, état de violences conjugales.
Mais la particularité d'Amélie Cordonnier est de glisser des hommages dans son texte, paroles de chanson (souvent de Barbara mais pas que d'elle) ou de poème, sans astérisque, italiques ou notes de bas de page pour les signaler. Ce sont autant de touches d'épices pour rehausser le sens, et installer la connivence avec le lecteur, et c'est très agréable.
C'est comme si elle disait à son personnage -puisqu'elle lui parle à la seconde personne du singulier, en la tutoyant- tu vois tu n'es pas toute seule à vivre ce que tu vis. D'autres avant toi ont suivi le chemin, et il n'est pas sans issue.
Même la première phrase du roman (p.13) "C'est arrivé sans prévenir" ... est une citation masquéee. On pense au Mal de vivre de Barbara mais c'est plus exactement encore la superbe chanson de Grand Corps Malade Midi 20 qui s'achève sur des paroles d'espoir : je vais faire ce qu'il faut pour que mes espoirs ne restent pas vains.
C'est presque sur des vers de Baudelaire que s'achèvera le roman (p. 134) : Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères, des divans profonds comme des tombeaux, et d’étranges fleurs sur des étagères (extrait de La mort des amants).
Il faut avoir (malheureusement) vécu un enfer comparable pour mesurer ce qu'il faut de courage pour prendre son élan, comme pour sauter de l'autre coté d'un gouffre, en espérant n'y pas tomber, pour "juste" interroger (p. 18) tu te rends compte de ce que tu m'as dit ? ... sans même avoir un quelconque espoir de réponse, juste poser la question, comme on poserait un petit caillou sur une tombe.
Et puis décider de les noter, ces insanités, pour ne rien oublier, et surtout déplacer la honte de soi sur le papier. Ecrire comme une bataille, dis-tu. Voilà que moi aussi, lectrice, je te tutoie.
Ta mère t'a toujours interdit de geindre (p. 58). Elle est incapable de recevoir un cadeau (p. 91). Je n'avais pas pensé au rôle de la mère dans l'acceptation de la violence conjugale. Cela m'ouvre des perspectives.
Tu vis sur le qui-vive, mais tu as appris à apprivoiser la peur. Alors avoir le courage de recoller les morceaux ... ça ne peut pas te manquer.
On dit (p. 102) que la honte ne tue pas mais elle reste tue (...) des mots comme des rasoirs (...) que tu vas endormir en récitant comme un mantra un texte, lui aussi écrit à la seconde personne, Un homme qui dort de Perec.
Avec quelle jolie stratégie de détournement tu transformes en insultes les noms des stations de métro (p. 133). Quelle jouissance de lecture !
Et ça surgit encore en regardant les amoureux (...) qui se bécotent (...) et qui n'ont pas une p'tite gueule particulièrement sympathique. Vas-y donc, fais ce clin d'oeil au poète qui n'a jamais voulu demander son amoureuse en mariage, parce qu'il la respectait trop pour l'aliéner. Sais-tu qu'ils sont ensemble pour éternité là où sont gravés leurs noms, en bas ... de la pierre tombale ? Dix-huit ans après Georges, Joha Heiman, la Püppchen, est désormais blottie pour l'éternité à coté de son éternel fiancé, Dans ce cimetière de Sète qui n'est pas marin mais qui est celui du Ly.
C'est beau tout ça mais tu te l'es promis, il faut trancher au plus tard le jour de ton anniversaire, et c'est demain, le 3 janvier.
Cela fait des années que tu le croyais guéri de sa violence, Mais depuis que ce matin de septembre, devant vos enfants ahuris, il t'a de nouveau insultée, rien n'est redevenu "comme avant". Malgré lui, plaide-t-il. Pourras-tu encore supporter tout ça ? Tu es plus que jamais dans la tourmente et tu nous livres le roman d’un amour ravagé par les mots.
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