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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 13 janvier 2025

La Chambre d’à côté, réalisé par Pedro Almodóvar

Je suis allée voir The Room Next Door, La Chambre d’à côté, premier film réalisé en langue anglaise par Pedro Almodóvar.

J’en connaissais évidemment le sujet, l’accompagnement d’une personne qui a décidé de choisir le moment de son dernier instant et qui tient à partir dans la dignité. C’est d’ailleurs une question d’actualité en France en ce moment. Je m’étais préparée à des scènes dures mais c’était inutile.

Bien entendu, le film n’est pas à proprement parler réjouissant et il ne déborde pas d’optimisme. Il aborde d’ailleurs -comme en miroir- la question de la fin probable de l’univers terrestre, ce qui est fort intéressant, faisant dire à Damian (John Turturo) combien la survie du néolibéralisme et la montée de l’extrême-droite accélèrent la mort de la planète.

D’autres aspects sont traités comme cette interdiction de toucher le corps de son patient pour corriger une posture et encore mais moins lui faire un câlin. Quel monde absurde. Le coach devra tenter de faire aussi chaleureux en pratiquant un « câlin par les yeux ». 

Mais le scénario est d’abord une ode à l’amitié autant qu’à la nature, scénarisé comme un thriller en nous faisant douter de l’issue. D’ailleurs un rebondissement n’est pas exclu puisqu’aux USA on ne plaisante aps avec la fin de vie. L’interrogatoire du policier sera exemplaire et on se souviendra de l’injonction de Martha : Rappelle-toi, tu ne sais rien de rien.

Chaque scène est un tableau et la multiplication des gros plans, y compris sur les visages, vaut dialogue.

Les objets de décoration sont splendides, semblant surgir de l’imagination d’un architecte d’intérieur pour la prochaine édition du Salon Maison & Objet. Les bouquets de fleurs sont magnifiques eux aussi. Chaque chose est à sa place. Les décors explosent de couleurs vives. Et à peine m’étais-je formulé intérieurement qu’on se croirait dans un tableau d’Edward Hopper qu’une comédienne faisait allusion à cet artiste, réputé pour être le peintre de la solitude alors que le film traite de l’exact opposé.

Almodóvar citait un autre grand tableau américain, Christina’s World d’Andrew Wyeth, qui apparaît dans un flash-back, en inversant certains motifs comme la position de la jeune fille (à noter que la modèle originale était atteinte de la maladie de Charcot, un mal incurable), à gauche dans le tableau, à droite dans le film mais aussi l’herbe, sèche et aride dans le tableau, verte et vivifiante dans le film, ou encore la maison, calme et apaisante dans le tableau, ravagée par les flammes dans le film, faisant dire au personnage que « ces maisons de bois brûlent trop vite », ce qui malheureusement résonne tragiquement avec les incendies frappant L’os Angeles.

Les costumes vont faire des envieux. Je devine le nombre d’interrogations publiées sur les réseaux sociaux pour connaître les noms des fournisseurs des pulls, des sacs (Julianne Moore en porte un différent à chaque plan et même ses chaussures sont géniales), de chaque tenue et qui font toutes envie comme rarement à ce point. Les vestiaires des comédiennes ont été élaborés par Bina Daigeler, la costumière, en lien étroit avec Pedro Almodovar qui est très pointilleux sur cela.

Ne croyez pas pour autant que ce film est futile. Et c’est peut-être en raison de la gravité du sujet que notre œil s’est attardé sur des détails vestimentaires ou décoratifs.

Les deux comédiennes se donnent la réplique dans la retenue. Les dialogues sont serrés et loin du bavardage et/ou du pathos. Si quelque chose m’a dérangée c‘est le visage osseux de Tilda Swinton, quoiqu’il convienne parfaitement à la situation, en l’occurrence son rôle de malade. Sa voix, son phrasé, sa silhouette, la couleur de sa peau et sa coupe de cheveux, qui contrastent avec les couleurs vives de ses vêtements et de son maquillage sont tout à fait à propos pour suggérer une femme en prise avec la maladie.

J’ai aimé la relation entre les deux personnages, respectant la liberté de chacune. Son amie Ingrid reconnaît son impuissance au tout début : Je ne sais pas comment t’aider. Je suis désolée. Mais comment s’opposer à son amie Martha qui ne lui demande qu’une chose L’accompagner pour affronter cette guerre, en étant la personne qui sera dans la chambre d’à côté ?

Le spectateur remarquera-t-il que, même si elle accède à son souhait, Ingrid s’installera dans une autre chambre, à l’étage inférieur ?

Il faut dire quelques mots de la maison dans laquelle elles vont passer quelques jours et qui est filmée comme s’il s’agissait d’un personnage. C’est une réalisation architecturale très impressionnante, conçue par le duo d’architectes Aranguren + Gallegos, et qui s’intégre harmonieusement et parfaitement dans le paysage boisé naturel de San Lorenzo de El Escorial

Le réalisateur a trouvé la Casa Szoke en Espagne, près de Madrid. Elle offre un cadre spectaculaire pour plusieurs scènes-clés. Achevée en 2020, cette structure audacieuse, composée de volumes imbriqués en cascade, s’accorde subtilement avec le relief accidenté du Monte Abantos, 

L’interprétation est magistrale et si plus haut je reconnais être mal à l’aise par le visage de l’actrice principale je la trouve totalement crédible (aussi) dans le rôle de sa propre fille. S’être glissée dans la peau de la jeune femme apporte une dimension supplémentaire et participe à la compréhension de leur difficulté à nouer une relation familiale.

Pedro Almodovar traite de sujets qui lui tiennent à coeur. Ce n’est pas un hasard si Martha répond à la question confie à son amie que sa pire guerre aura été l’extermination contre les bosniaques, quand elle était reporter.

Il célèbre l’importance des livres. Le film commence par une longue queue devant la librairie Rizzoli par des lecteurs patientant pour une dédicace. On voit un ouvrage sur Elizabeth Taylor et Richard Burton. Les livres sont présents partout, y compris d’occasion quand les deux femmes font des achats dans une enseigne Books new and old. Enfin il y a, sous-jacent, le roman de Sigrid Nunez, paru en 2020, Quel est donc ton tourment ? (What Are You Going Through).

Il multiplie les références cinématographiques, avec les films de Buster Keaton ou Gens de Dublin, le dernier long-métrage de John Huston tourné en 1987 dont il faut rappeler le titre américain, The Dead, à partir du recueil de nouvelles Dubliners de James Joyce publiées en 1914.

La musique joue aussi un rôle particulier, presque familier car on a le sentiment de la connaître déjà.

La Chambre d’à côté, réalisé par Pedro Almodóvar 
Avec Julianne Moore, Tilda Swinton, John Turturo …
En salles depuis le 8 janvier 2025

dimanche 12 janvier 2025

Dialogues de bêtes mise en scène d’Elisabeth Chailloux

Mieux vaut tard que jamais et j’espère très sincèrement que la pièce sera reprise pour ne pas avoir créé parmi vous des envies insatisfaites.

Ces dialogues de bêtes sont un bijou. Lara Suyeux a eu cette idée brillante à se risquer dans l’interprétation  des textes de la grande Colette (1873-1954) qu’elle a adaptés pour le théâtre avec Elisabeth Chailloux à qui elle a confié la mise en scène. Quel régal !

L’œil de la comédienne fait d’incessants aller et retour entre la salle et la table du dessinateur auquel elle mime quelque confidence qui restera secrète. L’homme est très affairé.

Cyrille Meyer restera plusieurs scènes attablé, dessinant en direct et, comme il est gaucher, ce que le spectateur voit n’est pas caché par sa main ni son épaule. Le bénéfice est intéressant (ce qui me rappelle le martyre d’une de mes camarades de classe, gauchère elle aussi, envoyée su systématiquement au tableau pour y tracer les démonstrations de mathématiques sans provoquer d’agacement chez les élèves puisqu’ils assistaient en direct à la découverte de l’agencement des formules).
C’est lui qui nous annonce le premier chapitre 1. Sentimentalités qui se trouve être exactement celui de l’auteure. On est tout de suite nous aussi sur le perron inondé d’un soleil de plomb. Les noms des personnages sont d’une drôlerie insensée, qu’on les connaisse ou pas. On entend le bourdonnement en arrière-plan.

Cent vingt ans après leur publication, ces dialogues n’ont rien perdu de leur saveur. Très vite, Lara est le chien, puis la chatte. Le premier est ridicule, la seconde est féline. D’emblée elle est phénoménale.

Je me sépare du monde minaude Kiki-La-Doucette. Tu parles compliqué lui répond le dogue Toby-Chien. Il faut comprendre que les deux animaux vont souvent commenter les actions et pensées de leurs maîtres, désignés sous le terme des Deux-Pattes, ou encore Lui et Elle, c’est-à-dire Willy et Colette.

Comment résister quand on la voit faire la bayadère après avoir miaulé à l’oreille de lui (et elle désigne le dessinateur) alors que retentissent les premières notes de la Pavane de Gabriel Fauré ?

Le dessinateur fait bien davantage qu’illustrer les scènettes. Sa présence évoque celle de Willy aux cotés de l’écrivaine. Il est aussi un vrai partenaire pour la comédienne qui passe en un clignement de paupière d’un corps à un autre. Leur complicité fait mouche.

Elle excelle dans la tragédie : Adieu, mon fatal destin m’emporte. Elle nous ravit dans la complicité, cachant elle-même sa pelote de laine pour se faire une surprise. Un trait de plus et la tête devient sur la feuille blanche tout à fait différente.

Le spectateur adopte le point de vue de l’une, de l’autre, cherchant la vérité sur les maître-et-maîtresse dont il parait qu’ils nous cachent tant de choses. La grande scène de jalousie fait rire aux éclats les enfants sur les gradins.
Lara Suyeux est surprenante de naturel et de capacité à se faufiler d’une peau à une autre sans le recours à un masque ou à un accessoire. Tout est dans l’expression, la voix, l’intonation, le phrasé, la posture, la mimique. Elle ose se déployer en usant de ses membres avec une facilité totalement déconcertante.

Elle nous offre, comme elle le promet dans sa déclaration d’intention, le portrait en creux d’un couple, de leur rupture, l’histoire d’un affranchissement, d’une femme, d’une artiste portée par l’amour fou et vital de ses animaux, qui y puisera l’incommensurable force pour saisir sa liberté et qui apparaîtra au terme de la traversée.

Lara Suyeux a été formée au Cours Simon, à l’École supérieure d’Art Dramatique Pierre Debauche, au Studio d’Asnières, en stage avec Joël Pommerat, Philippe Adrien, Galin Stoev. Elle a joué dans une trentaine de pièces du répertoire classique et contemporain, notamment dans Le Roi se meurt avec Michel Bouquet. Elle avait déjà travaillé avec Élisabeth Chailloux et c’est sous la direction de Thierry Harcourt que je l’avais déjà appréciée au Poche Montparnasse dans le rôle de Beverly, dans Abigail's Party de Mike Leigh. Elle lit régulièrement au Festival de la Correspondance de Grignan et enregistre assidûment des livres audios pour Gallimard-Écoutez lire, Acte Sud audio, Audible, Audiolib...

Cyrille Meyer est un dessinateur, auteur, llustrateur et bédéiste qui a l’habitude des performances dessinées en direct. Son deuxième album BD devrait paraître en 2025.

Élisabeth Chailloux a fondé en 1984 le Théâtre de la Balance avec Adel Hakim, avec qui elle dirigera leThéâtre des Quartiers d’Ivry de 1992 à 2019. Je retiens particulièrement un de ses dernières mises en scène à Ivry, Les Reines de Normand Chaurette et plus récemment au festival d’Avignon Camus-Casarès, une géographie amoureuse d’après la correspondance entre Albert Camus et Maria Casarès.
Dialogues de bêtes de Colette
Mise en scène Élisabeth Chailloux
Adaptation Élisabeth Chailloux et Lara Suyeux
Dessiné par Cyrille Meyer
D’après une idée originale de Lara Suyeux
Avec Lara Suyeux (jeu) et Cyrille Meyer (dessin)
Du 13 novembre au 12 janvier 2025 dans la salle Paradis du Lucernaire
Du mardi au samedi à 19 h, le dimanche à 15 h 30
A partir de 12 ans
A signaler que le spectacle est disponible en tournée la saison 2025/2026. Contact de la compagnie : Élisabeth Chailloux- Théâtre de la Balance - 06 81 09 55 15  elisabeth.chailloux@gmail.com

samedi 11 janvier 2025

Faire soi-même des pâtes fraiches

Je croyais le rêve inaccessible et je dois au fait qu’on m’ait prêté une machine (toute simple, aucunement électrique) d’avoir essayé … et réussi.

Ce n’était pas parfait la première fois mais le résultat dans l’assiette, donc après cuisson, était tout de même satisfaisant.

Depuis je récidive régulièrement car la recette est simple, non coûteuse, et finalement rapide dès lors qu’on a le coup de main.

J’ajouterai un petit film ultérieurement pour montrer comment « laminer » mais pour le moment il suffit de dire que la proportion idéales pour deux personnes est : 100 grammes de farine, une pincée de sel et un un œuf.

Je tamise la farine sur un set de table. Je fais un puits au centre, y casse l’œuf, ajoute le sel et commence à mélanger de l’extérieur vers le centre avec une fourchette.

La pâte prend corps assez vite.
On peut alors poursuivre en pétrissant à la main, pendant quelques minutes.
On place la boule au repos sous un film alimentaire pendant au moins une heure. Ensuite c’est là que les choses deviennent amusantes. On coupe le pâton en grosses tranches que l’on va passer chacune trois fois de suite au laminoir à écartement maximum, puis un peu moins (toujours trois fois), encore moins, jusqu’à l’épaisseur minimale.

Est venu le moment de décider si on va faire des tagliatelles ou des spaghettis car l’appareil permet les deux options. Voici celles de mon premier essai, des tagliatelles, crues dans l’assiette de gauche (si on regarde attentivement on verra les imperfections des rubans), après cuisson dans celle de droite (on ne discerne plus d’imperfection, c’est magique).
Quelques jours plus tard le résultat était plus élégant parce que je maîtrisais mieux le laminage, ce qui se remarque à la longueur des rubans, et grâce à une technique plus élaborée de séchage sur torchon. Cette opération doit durer environ une vingtaine de minutes dans une atmosphère propice comme la chaleur d’une salle de bains.
Pour ce qui est de la cuisson on compte 2 à 3 minutes à l’eau bouillante salée. Si on s’organise c’est donc peu dire qu’on peut vite passer à table.
Et voilà une version spaghetti.

Bien entendu, le résultat variera en fonction du type de farine (et c’est ce qui est gratifiant) et de ce qu’on a pu y incorporer, de la poudre de cèpes par exemple …

vendredi 10 janvier 2025

Les 70 ans du Groupe Artistique de Châtenay-Malabry

Fondé en 1955, le Groupe Artistique de Châtenay-Malabry a passé le cap du soixante-dixième anniversaire.

Un des piliers de cette aventure fut longtemps Philippe Chambault, un sculpteur chatenaisien qui expose encore aujourd'hui. C’est son Buste féminin que j’ai choisi comme première illustration de cet article.

L’actuelle présidente, depuis déjà 2017, Freia Sicre, pointe avec humour que l’association a connu moins de présidents que la France pendant la V° République. C’est dire la constance du travail qui a pu être conduit.

Comptant actuellement environ 150 adhérents, tous artistes, parmi lesquels les professionnels œuvrent en bonne entente avec les amateurs. C’est un des objectifs principaux que tous puissent, au fil des rencontres, mieux se connaître, échanger et partager leur passion, en veillant à maintenir une dynamique autour de projets qui vont se concrétiser dans l'avenir.

C’est dans cet esprit que le Conseil d’Administration organise des expositions, et propose différentes activités comme des visites d’expositions, des conférences autour du monde de l’art, des voyages et bien entendu un espace de création installé dans les locaux du Pavillon des Arts et du Patrimoine - 98, rue Jean Longuet.

L’exposition qui y est présentée en ce moment est une invitation à suspendre le temps et poser un regard attentif sur cet univers qui nous entoure.
Deux invités d’honneur ont été sollicités pour célébrer cet anniversaire. D’abord la céramiste Christine Ladeveze qui compose des allégories de la Nature où chaque élément prend vie : la montagne et ses reliefs majestueux, les volcans aux contrastes saisissants, dont on trouve un exemple avec Erébus (ci-dessous), les forêts profondes où mousses et lichens s’entremêlent, et enfin la mer et sa blanche écume et tout ce qui touche à l’eau comme le célèbre Trigone de l’eau, photographié ci-dessus au milieu de la grande salle du rez-de-chaussée.
Les paysages imaginaires de l’artiste sont autant de symboles qui évoquent la beauté et la diversité du monde qu’elle ne se lasse pas d’arpenter car c’est une randonneuse aguerrie. Elle recherche aussi des formes douces et rondes, comme Fusion qui a été retenue pour l’affiche très organiques, inspirées par son admiration pour les sculptures de Jean Arp, dont les oeuvres (et celles de sa première épouse, Sophie Taeuber) sont exposées dans leur maison-atelier classée Musée de France, située 21 rue des Châtaigners, à Clamart, à l'orée de la forêt de Meudon. Le couple y a accueilli les plus grands créateurs de l’époque : Max Ernst, Joan Miro, James Joyce, Paul Eluard, André Breton... 

Christine Ladevèze est connue pour avoir réussi à maîtriser le « Grand feu » (à 1300 °C) et créé des recettes d’émaillage. J’espère un jour prochain en savoir davantage en lui rendant visite dans son atelier d’Igny (91).

Henryk Bukowski est le second invité d’honneur. Cet artiste peintre expressionniste abstrait est né en Lorraine de parents polonais en 1932. Après une dizaine d’années passées en Pologne il s’installe à Paris en 1962 où il expérimente les formes et les couleurs.
Il oscille à la limite de l’abstraction dans les années 70. Un exemple marquant, Lyrique 2, a été choisi pour l’affiche. En voici un autre, ci-dessus, intitulé Lyrique 1 où l’espace blanc domine dans une toile traversée, voire violentée par des fulgurances rouges et noires, faisant vibrer l’espace encore immaculé. Son geste est réfléchi et subtil. On remarque parfois des formes humaines, dans une expression souffrante et dramatique comme on peut le constater avec cet autoportrait.
Une autre période d’une dizaine d’années fut ponctuée de séjours au Zaïre, à L’os Angeles, en Normandie avant de poser ses pinceaux dans son atelier Chemin de la justice, à Châtenay-Malabry en 1990. Je signale que l’on peut louer une de ses œuvres pour la somme modique de 5€ par le biais de l’Artothèque. Il est décédé en février 2024.

Il fut difficile de sélectionner seulement 9 tableaux parmi les 300 composant le fonds. C’est son fils, cuisinier à New-York qui avait écrit et envoyé un discours très sensible et émouvant.

La majorité des oeuvres sont des peintures et, très dictatiquement, la technique utilisée est précisée et commentée. Mais il y a aussi des sculptures. Parmi elles j’ai sélectionné, car il faut bien faire des choix et je ne peux pas donner l’entièreté du palmarès :
Isabelle Chapuis-Lherm, Transformation, Prix de sculpture (sur la gauche) et Jean-Christophe Dupertuis Dryade I, Mémoire des Arbres, grès et feuilles d’or, sur la droite.
Les artistes primés ont posé pour la photo-souvenir avec les élus avant de répondre aux questions des visiteurs.

70 ème Salon artistique du Groupe Artistique
Peinture/Sculpture/Objets d’arts
Du 7 janvier au 1er février 2025
Pavillon des Arts et du Patrimoine
Entrée libre, du mardi au samedi
98 rue Jean Longuet - 92290 Châtenay-Malabry

jeudi 9 janvier 2025

Hiver à Sokcho de Elisa Shua Dusapin

L’éditeur d’Hiver à Sokcho promettait au lecteur d’être transporté dans un univers d'une richesse et d'une originalité rares, à l'atmosphère puissante.

Il présentait le premier ouvrage d’Elisa Shua Dusapin comme étant un roman délicat comme la neige sur l'écume :
A Sokcho, petite ville portuaire proche de la Corée du Nord, une jeune Franco-coréenne qui n'est jamais allée en Europe rencontre un auteur de bande dessinée venu chercher l'inspiration loin de sa Normandie natale. C'est l'hiver, le froid ralentit tout, les poissons peuvent être venimeux, les corps douloureux, les malentendus suspendus, et l'encre coule sur le papier, implacable. Un lien fragile se noue entre ces deux êtres aux cultures si différentes.
J’emploie le passé parce que le livre a été publié en 2016. Il m’avait échappé mais je suis certaine que la récente sortie du film éponyme va susciter un regain d’intérêt. Sa promesse est très forte et je me suis demandé si j’aimerais ce petit opus à la couverture banale autant que l’excellent film de Koya Kamura que je chroniquais il y a quelques jours. La réponse est oui, sans aucune réserve.

Je parie que tout le monde va avoir envie de se plonger dans le roman, d’autant qu’il est modeste en terme de nombre de pages, ce qui va à l’encontre de la tendance actuelle. On y prend beaucoup de plaisir.

Très franchement je ne saurais dire s’il est préférable de le lire avant ou après avoir vu le film. Personnellement, je l’ai lu après. Peut-être cela a-t-il facilité la projection dans ce pays que je ne connais pas du tout, la Corée.

Il est vrai que les pensées de la jeune fille sont davantage exprimées avec des mots même si le réalisateur a habilement eu recours aux animatics d’Agnès Patron pour les suggérer. J’ai apprécié la forte cohérence qui se dégage entre les deux œuvres, malgré d’infimes différences, par exemple à propos du déroulement des faits et de leur chronologie, de la santé de la mère, de la révélation du secret sur la naissance de Soon Ha.

Les décors sont évidemment parfaitement cohérents. La pension est telle que je l’avais découverte dans le film et l’échoppe de la mère Kim, cette vieille dame vendant la nourriture dans la rue m’était déjà familière. Les caractères des protagonistes sont respectés et pouvoir mettre un visage sur les noms des personnages aide beaucoup.

Ce qui permet d’aller plus loin grâce au livre c’est de saisir la banalité avec laquelle on a recours à la chirurgie esthétique en Corée, l’importance sociale des établissements de bain, les jjimjilbangs, des bains d'eau soufrée où il est commun de boire une bouillie d'orge et de grignoter des œufs durs, les références ironiques à l’occupation japonaise avec par exemple ce « chat japonais qui lève la patte » en signe de chance (p. 5 et 63). On mesure aussi la rudesse de l’hiver en lisant la température de moins 27 degrés (p. 56).

On y mesure davantage le sens de Seollal, cette fête du nouvel an pour laquelle la coutume exige qu’on porte le vêtement traditionnel (fort bien représenté d’ailleurs dans le film).

J’ai appris au fil des pages plusieurs termes coréens et le nom de la montagne où Kerrand et Soon Ha vont se promener en empruntant le téléphérique, la réserve de Seoraksan (p. 66). Le dessinateur y croque des bambous dans lesquels elle voit des libellules. Effectivement, c'est raté, reconnaitra-t-il (p. 68). Le lecteur, croyant entendre la voix de Roschdy, y percevra une note d’humour.

On comprend aussi avec davantage d’acuité la problématique de la séparation entre les deux Corées. Il n’est sans doute pas anodin que Soon Ha cherche à cacher la cicatrice qui court sur sa jambe (dont on ne parle pas dans le film) et qui peut être reliée à la frontière qui marque la DMZ.

Il y a (p. 79) une conversation émouvante entre eux à propos des plages de Normandie et de celles de Sokcho. Les plages ici attendent la fin d’une guerre qui dure depuis tellement longtemps qu’on finit par croie qu’elle n’est plus là, alors on construit des hôtels, on met des guirlandes, mais tout est faux, c’est comme une corde qui s’enfile entre deux falaises, on y marche en funambules sans jamais savoir quand elle se brisera, on vit dans un entre-deux, et cet hiver qui n’en finit pas !

Hormis quelques passages les phrases sont courtes mais denses. J’ai apprécié les descriptions de plats dont les noms nous sont donnés, en particulier le tteokguk. Le restaurant où la jeune fille conduit Kerrand le long de la côte est une maison de poisson. Ils hésitent entre ici une maison de pieuvre, là de crabe ou poisson cru. On nous donne deux verres d'eau chaude (p. 53) …

En effet il est courant, en Asie, de commander un verre d’eau chaude, sans rien dedans. Ils boiront aussi du soju, mangeront du kimchi, mais encore de la mayonnaise (qui vient de France). A un autre moment, elle se régale de miyeokguk (soupe d’algues avec du riz, des gousses d'ail marinées au vinaigre, et de la gelée de glands, p. 71). Évidemment c’est le fugu, ce poisson venimeux si spécial, qu’elle prépare avec attention pour lui (p. 131) et non un bœuf bourguignon, mais on peut accepter cette modification.

Soon Ha utilise Internet pour se renseigner sur Kerrand (p. 39), mais, bien entendu, elle ne tombe pas sur un extrait de l’émission de Canal +, En Aparté, tourné spécialement pour le film.

On apprend une référence supplémentaire, et typiquement coréenne, avec la mention des décors du tournage de My First First Love de Jeong Hyeon-jeong avec notamment une scène culte tournée depuis un pont (p. 75) mais après coup j'ai reconnu aussi les terrasses de la ville d'où Soon Ha et Kerrand contemple le panorama. Littéralement "Parce que c’est mon premier amour", cette série télévisée sud-coréenne de seize épisodes a été diffusée depuis le 18 avril 2019 sur la plateforme télévisée Netflix.

Elisa Shua Dusapin est née en 1992 en Dordogne, de père français et acupuncteur et de mère sud-coréenne, interprète et journaliste. Ses grands-parents étaient responsables de la maison coréenne d’un village d'enfants en Suisse. Elle a grandi entre Paris et Zurich avant que sa famille s'installe, en 1999, dans le Jura Suisse. Elle obtient la nationalité suisse en 2005.

Elle a publié son premier roman, Hiver à Sokcho, en 2016, qui obtint de nombreux prix littéraires suisses et français (dont le prix Robert-Walser, prix Alpha, et le prix Régine-Deforges). Son quatrième roman, Le vieil incendie, est paru en août 2023 toujours aux éditions ZOE, qui est une maison d’édition genevoise.

Violoniste, elle a aussi écrit des spectacles musicaux pour enfants. Elle est également actrice (on la voit sortir de la pension dans une des premières scènes du film) et fait de l’assistanat à la mise en scène.

Hiver à Sokcho de Elisa Shua Dusapin, chez ZOE, en librairie depuis le 12 septembre 2016

mercredi 8 janvier 2025

Quels plats associer au Chemin Partagé Blanc du Domaine St Georges d'Ibry

J’avais découvert à l’occasion de Vinexpo l’an dernier, et beaucoup aimé le Chemin Partagé Blanc du Domaine St Georges d'Ibry qui est un IGP Côtes de Thongue.

Sa naissance est touchante car il a été élaboré, main dans la main, par un père et son fils. C'est la première cuvée conçue conjointement par Michel Cros et Jean-Philippe, se destinant à devenir pharmacien, mais ayant finalement préféré s’orienter vers l'oenologie dans laquelle il a suivi une formation diplomante. 

C’est une très belle cuvée obtenue à partir d'un assemblage de Chardonnay pour 60% et de Viognier pour 40 %, provenant de vignes poussant sur des sols de marnes calcaires faiblement sableuses avec présence d'huitres fossilisées. Il est partiellement élevé en barrique, pendant plus de six mois (30% seulement est élevé en fut de chêne neuf). Son potentiel de garde est de cinq ans.

Je l’imaginais idéalement sur des coquilles Saint-Jacques mais il a été parfait avec un haddock poché. La recette est facile et rapide. Le poisson cuit 12 minutes dans un mélange frémissant d’eau (majoritaire) et de lait en compagnie d’un oignon, d’ail, d’une feuille de laurier et une demi carotte.

On a bien entendu déssalé le haddock auparavant, au mieux une nuit dans une eau froide au réfrigérateur, mais très franchement deux rinçages de quelques minutes peuvent suffire. Evidemment il ne faut surtout pas saler l’eau de cuisson.

Parallèlement je mets à cuire à l’eau des pommes de terre épluchées (en ajoutant ail et laurier à l’eau de cuisson). Mon astuce gain de temps consister à couper les légumes en deux pour qu’ils soient prêts plus vite. Je ne jette pas ce jus de cuisson qui devient, après refroidissement, une boisson détox.

Je sers chaud en disposant le poisson (dont j’ai retiré la peau) dans une assiette sans oublier l’oignon et la carotte qui sont tout à fait consommables, mais j’avoue les rincer pour les débarrasser de leur peau de lait. La carotte apporte de la fantaisie et une touche de couleur.

Je lustre les pommes de terre au beurre frais (et donc cru, ce qui le rend tout à fait inoffensif). Avec, pour terminer, une pluche de persil et une rondelle de citron.

Pour les puristes, je précise que le haddock est le nom que prend l’églefin quand il a été fumé (alors que le cabillaud devient de la morue une fois salé et séché).

J’aime la robe dorée de ce Chemin partagé, son nez intense avec ses notes florales, de fruits jaunes et d'agrumes et de fruits à coque. Le vin est gourmand. Les caractéristiques de l'association Chardonnay/Viognier lui donnent son caractère gastronomique.
Voilà pourquoi il est tout à fait en accord avec une terrine de chevreuil aux noisettes. Mais ses notes abricotées prédisposent aussi ce vin à accompagner un plat de veau, par exemple aux morilles, ou comme celui -plus simple- que j’ai préparé ce week-end.
Les tendrons de veau ont été revenus sans matière grasse avec deux oignons émincés. J’ai déglacé avec un reste de thé noir, ajouté ail, laurier, sel, carottes et un morceau de chou rouge (pour donner surtout une jolie couleur sombre au jus de cuisson) et quelques pommes de terre.
Voilà un plat réconfortant et malgré tout simple, typique d’une cuisine dite bourgeoise, comme on l’apprécie en hiver.

Depuis plusieurs générations la famille Cros gère un vignoble de 40 hectares et élève son vin dans le plus grand respect des traditions viticoles. Qui plus est, le domaine abrite un gîte indépendant et entièrement rénové qui s’appelle « Petit grain » pouvant accueillir des familles ou amis de 4 personnes dans une ambiance provençale mais aussi dans la verdure. Les réservations se font directement avec les Gites de France.

Par contre on s’adresse directement aux propriétaires pour une balade dans le vignoble, une visite de la cave, la découverte d’un petit musée qui vous replongera au XIX° siècle, ou une initiation à la dégustation… Leur caveau est accessible toute l’année sauf dimanches et jours fériés. Il est ouvert de 9h à 12h et de 14h à 18h.

Domaine Saint-Georges d’Ibry34290 Abeilhan - tel : 04 67 39 19 18

mardi 7 janvier 2025

Jean-Michel, le septième album de Tom Poisson

Tom Poisson avait sorti il y a quelques mois son septième album Jean-Michel, qui ponctuait une nouvelle étape sur un cheminement poétique passionnant qu'il avait enregistré avec le multi-instrumentiste, compositeur et arrangeur Denis Piednoir.

Cet album ressortira le 17 janvier 2025 dans une version augmentée de trois nouveaux titres dont le nouvel extrait Elisabeth Martin_2024 (qui ne figurent que dans la version digitale).

Il suffit de savoir que l'artiste s'appelle Jean-Michel Couegnas pour deviner combien cet album est autobiographique. Il aura fallu des orages, des disparitions, des joies immenses et des naissances. Il aura fallu écrire, composer, chanter, produire et mettre en scène. Il aura fallu des concerts, des expériences pluri-artistiques et d'autres spectacles musicaux. Essayer, insister, varier les formes, recommencer … pour que cet auteur-compositeur-interprète français se rapproche de lui-même.

Nous sommes prévenus d'emblée par Tanguer (piste 1) ça va secouer. Mais doucement, sans nous heurter, Tom Poisson va nous faire réfléchir autant qu'il va nous détendre et nous préparer à affronter … le pire.

Avec lui, la vie serait comparable à un voyage en train (Locomotive - piste 2) dont on oubliera quasiment tout.

Piste 3 très nostalgique, renforcé par le recours à la voix parlée, et qui se clôt avec un hommage à sa mère, récemment décédée.

Comment interpréter le conseil de respirer dans Les Nouveaux Dinosaures (piste 4) ? Prenons exemple sur l'insouciance apparente des oiseaux. Il nous reste un peu de temps encore …  mais n'oublions pas que la fin du monde est proche. La nature est très importante. On retrouve les références animales dans Mon homme (piste 8) et l'importance de respirer dans Sous les doigts (piste 10).

L'homme, précisément, n'est pas pour autant désespéré. Il veut encore aimer les châteaux de sable au Sahara (piste 6). L'accompagnement est sautillant, rehaussé d'accents orientalistes. Pourtant il interroge, hésitant entre deux options : Rester dans tes bras ou partir à la guerre (piste 7).

Il nous livre dans chacune de ses 14 chansons son intimité d'artiste, capable de faire pousser des ailes en confiant je sais tes peurs, j'ai eu les mêmes soucis que nous (piste 8) tout en nous insufflant une formidable énergie : tu ne sais rien de l'étincelle que tu donnes.

L'émotion est au rendez-vous régulièrement, et avec intensité dans Tu viendrais ? (piste 9). C'est lui, papa. Lui, artiste. Lui, désormais orphelin, citoyen du monde intranquille mais optimiste, qui danse quand la vie penche, qui doute quand les autres savent, qui court juste avant que la peur ne le paralyse. 

Il ose parler du droit de douter, de se tromper, on récolte ce que l'on sème (piste 11). J'entends plutôt "ce que l'on s'aime" parce que je me suis laissée gagner par l'univers de cet artiste. Un doute qui revient dans Je cours (piste 13) mais qui n'empêche pas de poursuivre la route, en multipliant les envolées qui justifient son surnom de poisson-volant. L'artiste avance calmement dans un monde qui se doit d’aller vite, l’intuition en bandoulière et la sincérité comme boussole.

Alice Chiaverini joint avec Marine André sa voix féminine au jeu de mots phonétique de cet "erratum Tom" dans Le trop grand imaginaire (piste 12) nous ramenant à l'humour qui apparait régulièrement et dès le premier titre. Également avec la silhouette du squelette du poisson (jaune) comme une arête sur images en dernière de couverture du livret.

Après 20 ans de carrière le temps était venue de se libérer et de se livrer comme jamais, avec des chansons mêlant l’acoustique, l’organique, l’électro et la chanson française.

Denis Piednoir s’est rendu indispensable à Tom Poisson, d’abord sur scène lors de la dernière tournée ( Se passer des visages – 2020 / 2022 ) puis sur l’enregistrement de Jean-Michel dont ils signent à quatre mains la réalisation. Emiliano Turi, alias Don Turi (batteur émérite, DJ et directeur musical de Jeanne Added) est intervenu sur certaines programmations Rythmiques.

Alex Léauthaud, collaborateur de Francis Cabrel et compagnon de route de Poisson au sein des Fouteurs de Joie est venu collaborer à l’édifice et finaliser les arrangements de cordes. Alice Chiaverini (chant, piano acoustique), Marine André (chant) et Fabio Milone (alto, Violon) ont rejoint l’équipe pour donner davantage de relief à l’ensemble.

Jean-Michel, le septième album de Tom Poisson
Ressortie le 17 janvier 2025 chez Super-Chahut ! - Kuroneko avec trois titres bonus (pour la version digitale)

lundi 6 janvier 2025

Hiver à Sokcho, d'Elisa Shua Dusapin et film de Koya Kamura

J’ai vu Hiver à Sokcho sans en connaître le tire puisque c’était le film choisi par l’AFCAE comme film-surprise de janvier. Mais je n’en ignorais pas tout parce que j’avais vu la bande-annonce lors d’une autre séance. La surprise n’a donc pas été aussi forte que pour les précédentes soirée AFCAE, ce qui ne retire rien à l’intérêt de ce premier long métrage qui est typiquement le film-surprise par excellence que retient cet organisme.

J’ai énormément aimé ce film pour son atmosphère intimiste, son onirisme, l’aspect documentaire indéniable (on apprend beaucoup sur la Corée, le mode de vie des habitants, leur cuisine et leurs valeurs) et pour la fidélité au roman qui a permis de bâtir le scénario. Je reviendrai sur le livre dans un prochain article.
Yan Kerrand (Roschdy Zem) est un dessinateur solitaire arrivé à Sokcho, cité balnéaire coréenne enneigée, dans le but annoncé d’y trouver l’inspiration pour sa prochaine bande dessinée. Il loge dans la pension où travaille Soo-Ha (Bella Kim), une jeune femme de 23 ans, qui mène une vie routinière entre ses visites à sa mère, marchande de poissons, et sa relation avec son petit ami, Jun-oh.
La relation qui va se tisser entre les deux personnages pourra-t-elle être durable ? Peut-on se comprendre quand on a des cultures si différentes ?
L'arrivée de ce Français réveillera aussi des questions sur ses origines. L’homme serait-il venu avec d’autres intentions que d’ordre professionnel ? Sa mère lui a-t-elle tout dit à propos de sa conception ? Et surtout que veut-elle faire de sa propre vie ?
J’avais beau avoir vu la bande-annonce, la première séquence m’a fortement étonnée. On ne la décrypte pas immédiatement, reconnaissant d’abord des flocons de neige tombant finement sur une forêt de sapins, puis songeant à une estampe, et découvrant ensuite les fibres du pull de laine mohair gris en gros plan.

Nous voici ensuite transportés dans le port à travers quelques plans saturés de couleurs. Il faut sans doute que je donne en premier lieu le contexte géographique car Sokcho n’est pas qu’un nom dans le titre, c’est le personnage principal du film, d’où l’importance des plans montrant son évolution et certains de ses équipements, comme le port et les bains publics.

Sokcho est une ville située en Corée du Sud, à 248 km de Séoul, à l'extrémité nord-est du pays, entre deux lagunes, au bord de la mer du Japon. Elle est très connue pour être aux portes du massif montagneux du Seoraksan dont on vient admirer le reflet dans les eaux du lac Yeongrangho réputé pour sa beauté, et de son parc national que les Coréens apprécient énormément.

Cette petite cité balnéaire n'est pas très vivante avec ses immeubles gris qui rappellent les années 1970. Cependant, elle attire de nombreux touristes coréens et étrangers, non seulement grâce au massif montagneux mais aussi à cause des produits de la pêche, en particulier le calmar. Sur le port, on peut faire griller et déguster poissons et fruits de mer choisis dans un vivier de l'autre côté d'une allée. La plage de Sokcho est également réputée à la belle saison. Il y a plusieurs sources chaudes aux alentours, et des parcours de golf dont le paysage environnant est apprécié.

Située au nord du 38e parallèle, Sokcho faisait partie de la Corée du Nord de 1945 jusqu'à la fin de guerre de Corée, date à laquelle la frontière fut officiellement déplacée, si bien qu’aujourd’hui elle se trouve à 62 km au sud de la ligne de démarcation. En conséquence, de nombreux habitants ont encore de la famille dans le Nord.

Sokcho est soumis à un climat continental à étés humides comme une grande partie de la Corée. Cependant, en raison de sa situation en bord de mer, les hivers sont plus doux que dans les régions avoisinantes, ce qui n’empêche pas le thermomètre de tomber en dessous de moins 27 degrés.

On voit régulièrement les panneaux indicateurs de noms de rue et toujours la même sortie de métro qui figure sur l’affiche. On retrouvera les deux héros sur un toit à admirer combien le décor est graphique, et donc inspirant pour le dessinateur. La ville a beaucoup changé : Là-bas il y avait un parc d’attractions. Ici un cinéma qui passait des films français

L’aspect humain est très important dans ce premier film. L'actrice, dont c’est le premier rôle au cinéma, joue avec naturel et un léger accent délicieux, une manière touchante de remonter ses lunettes d'un doigt, de se frotter les bras contre sa veste (il peut faire jusqu'à moins 27 degrés en hiver). Bella Kim est sud-coréenne mais vit en France depuis dix ans. Elle est totalement crédible dans ce personnage de jeune étudiante de littérature coréenne et française. 

Le spectateur s’attache très vite à la jeune fille dont on comprend qu’elle éprouve des difficultés à caractériser ses sentiments aussi bien à l’égard de son petit copain que de sa mère. On la devine mal à l’aise dans son corps qui lui vaut le surnom de la grande ou de grande gigue. On l’appelle aussi Miss France, en clin d’œil à sa taille tout autant qu’à ses origines. On saura vite que son père, qu’elle n’a jamais vu, est français.

La relation que la jeune femme entretient avec la nourriture est complexe. C’est son métier de devoir cuisiner pour les pensionnaires de la Blue House. Sa mère est un vrai cordon-bleu et lui enseigne les bases de la préparation des poissons. La fête de Seollal, qui sera bientôt célébrée, est une occasion particulière de faire des repas copieux autour des plats traditionnels comme le fameux fugu, ce poisson coupé en ultra-fines lamelles qui est un met de choix pouvant être mortel s’il est mal préparé. On s’apercevra que la mère souffre que sa fille dédaigne les assiettes qu’elle lui prépare tout autant que Yan Kerrand ne voudra pas manger la cuisine de la fille, au prétexte qu’elle serait trop épicée. Mais il ne mangera pas davantage le bœuf bourguignon qu’elle lui fait spécialement. On comprend au fil du temps que Soo-Ha est anorexique sans doute depuis l’enfance.

Le réalisateur a privilégié les gros plans sur les mains en train de préparer les poissons et de faire la cuisine (en ayant recours à des doublures mains de manière à ce que les gestes soient parfaits). Il est allé jusqu’à nous montrer quelques images de la vidéo d’une youtubeuse (Alice Roca) expliquant comment faire du bœuf bourguignon.

La relation entre la mère et la fille est complexe, basée sur un secret conçu comme une armure. Chacune prend soin de l’autre. On verra la fille peigner les cheveux de sa mère dans une douce pénombre, et plus tard l’aider dans son commerce de poissons. Elles iront ensemble aux bains. Chacune s’inquiète pour l’autre. La mère à propos de son avenir et de son apparence : Une cliente qui a refait tout le visage, oreilles comprises, ça ne te fait pas envie ? Le nez ? C'est un bon début. La fille à propos de sa santé. Elle l’entend tousser la nuit. Plus tard, elle scrute la radio de sa mère, lit le compte-rendu, lui prend la main (et nous pensons que la situation est grave). A la tante, le soir de la fête elle prétendra que c’est juste une pleurésie. Ils se souhaiteront Santé ! plusieurs fois en buvant leur verre cul sec.

La présence d’un personnage au visage totalement bandé, devant aspirer à la paille ses repas sous forme de boissons, n’est pas fortuite. La question de l’aspect physique est capitale en Corée où la chirurgie esthétique est très pratiquée. C’est un sujet de conversation somme toute banal. Le petit ami de Soon Ha souhaite devenir mannequin célèbre. Il évoque une intervention chirurgicale et l'encourage à par exemple affiner son menton, remonter ses lèvres. A deux on aura un prix, promet-il. Soon Ha ne semble pas du tout intéressée alors que sa mère et sa tante vont elles aussi chercher à la convaincre.

Le patron de la pension est veuf depuis quelques mois. On devine qu’il témoigne une affection paternelle et non équivoque à son employée. Il fait preuve d’un humour savoureux, surnommant son client français Alain Delon.

Le personnage de Kerrand est particulier. Il est français, se dit normand, mais son physique trahit d’autres origines. Il est probablement métis tout comme l’est Soon Ha. Il aime fréquenter les endroits très fréquentés quand ils sont vides (précisément). Il a un rapport au papier et à l’encre peu conventionnels, mâchouillant le papier, goûtant l'encre en pot, osant l’essayer avant de l’acheter. Lorsqu’il dessine ses gestes sont énergiques, brusques, maladroits. Il tape du poing, ne maitrise pas les débordements et tache la couverture. Mais à d’autres moments il caresse son menton avec un pinceau.
Soon Ha effectuera un geste semblable sur le miroir embué de la salle d’eau, faisant apparaitre ses yeux, sa bouche, dans des tonalités qui lui donnent un air de Mona Lisa. On remarquera au passage combien il est astucieux de disposer d’une bande velcro pour attacher la serviette de bains dans le dos.

dimanche 5 janvier 2025

Bien-être de Nathan Hill

Qualifié de best-seller par le New York Times, Bien-être était le grand (et gros) roman plébiscité de la rentrée littéraire de septembre 2024. Il arrive donc sans surprise dans la sélection pour le Prix des Lecteurs d'Antony (et je l'ai remarqué dans plusieurs Prix lancés par d'autre médiathèques).
À l’aube des années 1990 à Chicago, en pleine bohème artistique, un homme et une femme vivent l’un en face de l’autre et s’épient en cachette. Rien ne semble les relier — elle est étudiante en psychologie, lui photographe rebelle. Mais lorsqu’ils se rencontrent enfin, le charme opère et l’histoire d’amour démarre aussitôt entre Elizabeth et Jack. Ils ont la vie devant eux et, même si leurs rêves et leurs milieux divergent, ils sont convaincus que leur amour résistera à l’épreuve du temps.
Mais qu’en est-il vingt ans plus tard ? Une fois que le couple s’est embourgeoisé, qu’il se débat avec un fils tyrannique, que le désir s’éteint à petit feu et que les rêves s’oublient ? L’achat d’un appartement sur plan devient alors le révélateur de tous les désaccords entre Elizabeth et Jack. Au fond, étaient-ils faits l’un pour l’autre ?
L'exercice est difficile parce que la chronologie est constamment bousculée et que, du coup, on doit faire un effort de projection.

Nathan Hill a l'art de placer le lecteur autant à proximité de Jack que d'Elizabeth avec tendresse et férocité. A nous donc de prendre parti … ou non … pour l'un ou l'autre.

Bien-être de Nathan Hill, traduit de l'anglais (États-Unis) par Nathalie Bru, Collection Du monde entier, Gallimard, en librairie depuis le 22 août 2024
Prix littéraire Lucien-Barrière (2024)
Grand prix de littérature américaine (2024)
Sélectionné pour le Prix des Lecteurs d'Antony 2025

samedi 4 janvier 2025

Un ours dans le Jura, co-écrit et réalisé par Franck Dubosc

Je revendique le plaisir d’avoir été voir Un ours dans le jura au Rex de Châtenay. Franck Dubosc a conçu son troisième film comme une comédie noire sous forme de conte de fin d’année.

C’est très bien joué, par Franck Dubosc qui compose un couple pétillant avec Laure Calamy (encore une fois maman d’un enfant "différent"), par Benoit Poelvoorde qui portait déjà l’uniforme (de douanier cette fois) dans Rien à déclarer, le film réalisé par Dany Boon et qui forme un duo efficace avec Joséphine de Meaux (sa collègue Florence), par Kim Higelin qui incarne la grande ado indocile et moderne du gendarme, après avoir été si sensationnelle dans le film Le consentement de Vanessa Filho. Emmanuelle Devos est sensationnelle en patronne de club échangiste.

Les paysages sont magnifiques. On reconnaît l’impressionnante Cascade de la Billaude admirablement filmée. Décidément, le Jura est à l’honneur en 2024 (après Vingt dieux et Le roman de Jim, tous deux chroniqués ici) mais cette fois on le découvre en hiver.
Michel et Cathy, la cinquantaine, est un coupe paisible mais usé par le temps et par les difficultés financières, ayant perdu l’habitude de se parler, si ce n’est pour l’éducation de leur fils Doudou, lequel a des difficultés d’ordre autistique. Un jour Michel, pour éviter un ours sur la route, heurte une voiture et tue successivement deux personnes. Il découvre deux millions d'euros en billets usagés dans le coffre, ce qui pourrait totalement changer le cours de leur vie (et de quelques autres personnes) s’il était possible de taire cette affaire. A condition que le major de gendarmerie de la région ne tire pas les bonnes ficelles.
Je ne sais pas trop à quoi ça tient mais, d’emblée, j’ai eu le sentiment d’assister à un film américain. Peut-être à la réplique "tout est sous contrôle" (alors que rien ne l’est), au cadrage, à l’enchaînement des catastrophes, toutes plus folles les unes que les autres, et pourtant cohérentes, aux parti-pris audacieux …

Les rebondissements doivent beaucoup à l’imagination de Cathy, grande lectrice de roman policier, ce qui conditionne son raisonnements, ses hypothèses et ses prises de décision. C'est elle l'homme fort du couple. Et de la ténacité, il en faut pour résister à toutes les pressions et aux propositions des "bons" Samaritains, à commencer par le curé qui promet que Dieu seul peut laver l'argent sale.

Parfois gore, jamais vulgaire, le film s'ouvre et se ferme sur un tube de Marie Laforêt (admirez le jeu de mot au passage) en 1973 L'amour comme à seize ans, chanté à tue-tête par Michel au milieu des sapins et qui fera plus tard écho au comportement de la fille du gendarme.

Il y a beaucoup de clins d’œil culturels et mille et une références au cinéma noir (et pas seulement à Fargo). Et je salue sa collaboration pour le scénario avec Sarah Kamisnsky. Le commerce dans lequel on achète le rôti pour le réveillon s’appelle le Bois de l’Ours. Emmanuelle Devos est la mère maquerelle du Cul-Pidon dont l’entrée masque à peine le fameux tableau L’origine du monde de Gustave Courbet, né à Ornans dans le Doubs en 1819, donc natif du Jura.

On entendra sans surprise Les Nuits d'une demoiselle qui est probablement le titre plus connu de Colette Renard. Cette chanson paillarde de 1963 comprend sept couplets évoquant diverses pratiques sexuelles uniquement par des périphrases, ce qui fut sans doute plus scandaleux encore que l’oeuvre de Courbet.

Dans une des dernières scènes, dont je ne raconterai rien, je dirai juste que le gentil Doudou se transformera en Joker.

Allez voir ce film pour savoir si l’argent ne fait (vraiment) pas le bonheur et s’il est trop ambitieux de vouloir croquer une baleine quand on est seulement une petite fourmi.

Mon seul regret est de n’avoir rien vu de Puerto Vallarta (où se passe une scène). C’est un joli port mexicain où Liz Taylor habita (tumultueusement, je vous l’accorde) avec Marlon Brandon. Il est vrai que le film est tout à l’honneur du Haut-Jura dont nous sommes poussés à la visite par un immense panneau publicitaire peint sur le mur en face du commissariat.

Un ours dans le Jura réalisé par Franck Dubosc
Scénario co-écrit par Franck Dubosc et Sarah Kamisnsky 
Avec Franck Dubosc, Laure Calamy, Benoit Poelvoorde, Joséphine de Meaux, Kim Higelin, Emmanuelle Devos …
En salles depuis le 1er janvier 2025

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