Je suis allée voir The Room Next Door, La Chambre d’à côté, premier film réalisé en langue anglaise par Pedro Almodóvar.
J’en connaissais évidemment le sujet, l’accompagnement d’une personne qui a décidé de choisir le moment de son dernier instant et qui tient à partir dans la dignité. C’est d’ailleurs une question d’actualité en France en ce moment. Je m’étais préparée à des scènes dures mais c’était inutile.
Bien entendu, le film n’est pas à proprement parler réjouissant et il ne déborde pas d’optimisme. Il aborde d’ailleurs -comme en miroir- la question de la fin probable de l’univers terrestre, ce qui est fort intéressant, faisant dire à Damian (John Turturo) combien la survie du néolibéralisme et la montée de l’extrême-droite accélèrent la mort de la planète.
D’autres aspects sont traités comme cette interdiction de toucher le corps de son patient pour corriger une posture et encore mais moins lui faire un câlin. Quel monde absurde. Le coach devra tenter de faire aussi chaleureux en pratiquant un « câlin par les yeux ».
Mais le scénario est d’abord une ode à l’amitié autant qu’à la nature, scénarisé comme un thriller en nous faisant douter de l’issue. D’ailleurs un rebondissement n’est pas exclu puisqu’aux USA on ne plaisante aps avec la fin de vie. L’interrogatoire du policier sera exemplaire et on se souviendra de l’injonction de Martha : Rappelle-toi, tu ne sais rien de rien.
Chaque scène est un tableau et la multiplication des gros plans, y compris sur les visages, vaut dialogue.
Les objets de décoration sont splendides, semblant surgir de l’imagination d’un architecte d’intérieur pour la prochaine édition du Salon Maison & Objet. Les bouquets de fleurs sont magnifiques eux aussi. Chaque chose est à sa place. Les décors explosent de couleurs vives. Et à peine m’étais-je formulé intérieurement qu’on se croirait dans un tableau d’Edward Hopper qu’une comédienne faisait allusion à cet artiste, réputé pour être le peintre de la solitude alors que le film traite de l’exact opposé.
Almodóvar citait un autre grand tableau américain, Christina’s World d’Andrew Wyeth, qui apparaît dans un flash-back, en inversant certains motifs comme la position de la jeune fille (à noter que la modèle originale était atteinte de la maladie de Charcot, un mal incurable), à gauche dans le tableau, à droite dans le film mais aussi l’herbe, sèche et aride dans le tableau, verte et vivifiante dans le film, ou encore la maison, calme et apaisante dans le tableau, ravagée par les flammes dans le film, faisant dire au personnage que « ces maisons de bois brûlent trop vite », ce qui malheureusement résonne tragiquement avec les incendies frappant L’os Angeles.
Les costumes vont faire des envieux. Je devine le nombre d’interrogations publiées sur les réseaux sociaux pour connaître les noms des fournisseurs des pulls, des sacs (Julianne Moore en porte un différent à chaque plan et même ses chaussures sont géniales), de chaque tenue et qui font toutes envie comme rarement à ce point. Les vestiaires des comédiennes ont été élaborés par Bina Daigeler, la costumière, en lien étroit avec Pedro Almodovar qui est très pointilleux sur cela.
Ne croyez pas pour autant que ce film est futile. Et c’est peut-être en raison de la gravité du sujet que notre œil s’est attardé sur des détails vestimentaires ou décoratifs.
Les deux comédiennes se donnent la réplique dans la retenue. Les dialogues sont serrés et loin du bavardage et/ou du pathos. Si quelque chose m’a dérangée c‘est le visage osseux de Tilda Swinton, quoiqu’il convienne parfaitement à la situation, en l’occurrence son rôle de malade. Sa voix, son phrasé, sa silhouette, la couleur de sa peau et sa coupe de cheveux, qui contrastent avec les couleurs vives de ses vêtements et de son maquillage sont tout à fait à propos pour suggérer une femme en prise avec la maladie.
J’ai aimé la relation entre les deux personnages, respectant la liberté de chacune. Son amie Ingrid reconnaît son impuissance au tout début : Je ne sais pas comment t’aider. Je suis désolée. Mais comment s’opposer à son amie Martha qui ne lui demande qu’une chose L’accompagner pour affronter cette guerre, en étant la personne qui sera dans la chambre d’à côté ?
Le spectateur remarquera-t-il que, même si elle accède à son souhait, Ingrid s’installera dans une autre chambre, à l’étage inférieur ?
Il faut dire quelques mots de la maison dans laquelle elles vont passer quelques jours et qui est filmée comme s’il s’agissait d’un personnage. C’est une réalisation architecturale très impressionnante, conçue par le duo d’architectes Aranguren + Gallegos, et qui s’intégre harmonieusement et parfaitement dans le paysage boisé naturel de San Lorenzo de El Escorial.
Le réalisateur a trouvé la Casa Szoke en Espagne, près de Madrid. Elle offre un cadre spectaculaire pour plusieurs scènes-clés. Achevée en 2020, cette structure audacieuse, composée de volumes imbriqués en cascade, s’accorde subtilement avec le relief accidenté du Monte Abantos,
L’interprétation est magistrale et si plus haut je reconnais être mal à l’aise par le visage de l’actrice principale je la trouve totalement crédible (aussi) dans le rôle de sa propre fille. S’être glissée dans la peau de la jeune femme apporte une dimension supplémentaire et participe à la compréhension de leur difficulté à nouer une relation familiale.
Pedro Almodovar traite de sujets qui lui tiennent à coeur. Ce n’est pas un hasard si Martha répond à la question confie à son amie que sa pire guerre aura été l’extermination contre les bosniaques, quand elle était reporter.
Il célèbre l’importance des livres. Le film commence par une longue queue devant la librairie Rizzoli par des lecteurs patientant pour une dédicace. On voit un ouvrage sur Elizabeth Taylor et Richard Burton. Les livres sont présents partout, y compris d’occasion quand les deux femmes font des achats dans une enseigne Books new and old. Enfin il y a, sous-jacent, le roman de Sigrid Nunez, paru en 2020, Quel est donc ton tourment ? (What Are You Going Through).
Il multiplie les références cinématographiques, avec les films de Buster Keaton ou Gens de Dublin, le dernier long-métrage de John Huston tourné en 1987 dont il faut rappeler le titre américain, The Dead, à partir du recueil de nouvelles Dubliners de James Joyce publiées en 1914.
La musique joue aussi un rôle particulier, presque familier car on a le sentiment de la connaître déjà.
La Chambre d’à côté, réalisé par Pedro Almodóvar
Avec Julianne Moore, Tilda Swinton, John Turturo …
En salles depuis le 8 janvier 2025
En salles depuis le 8 janvier 2025