Dounia (Oulaya Amamra) et Maimouna (Déborah Lukumuena) sont deux nanas qui n'acceptent pas de rentrer dans le schéma conformiste de leur prof de BEP qui leur promet de devenir agent d'accueil. Dounia refuse de devenir ce qu'elle appelle "un larbin de la société". Elles n'ont pas vu James Dean mais elles rêvent comme lui de vitesse et d'argent.
Dans une scène filmée avec une caméra en mouvement, les deux copines nous embarquent très vite dans leur virée imaginaire à bord d'une Ferrari. Comme elles ... on se croit à Phuket sous un ciel turquoise, les Ray-ban sur le nez, et on revit nos délires d'adolescents.
Malgré toutes les belles déclarations et les empilements de réformes on sait que l'école ne peut pas se substituer à la famille pour jouer le rôle de contenant, et confronter les jeunes à la réalité en leur fixant des objectifs qu'ils pourront raisonnablement atteindre.
On comprend au début du film que les jeunes filles ont l'habitude de dérober de la nourriture au supermarché. Elles n'ont pas froid aux yeux mais ça n'aurait pas suffi pour allumer la mèche. Sans père, et avec une maman immature auprès de qui elle est une quasi grande-soeur, Dounia n'a aucune limite. Alors quand sa route croise celle de Rebecca la dealeuse (Jisca Kalvanda), à l'autorité fascinante, l'admiration lui fait perdre le sens de la mesure.
Elle veut elle aussi conquérir le pouvoir, pour être respectée et elle est prête à tout pour ça. En premier lieu à oser être riche. Pas pour avoir de l'argent mais pour prouver qu'elle peut en avoir. D'ailleurs elle planque tout ce qu'elle gagne et c'est à peine si un jour elle achète un parfum à sa mère. Maimouna est froussarde et elle a peur des mauvais esprits mais Dounia est son amie et où va l'une l'autre suit.
Dounia n'est pas violente mais elle ne craint pas la violence, parce qu'elle se sent invulnérable. Elle se place à l'égal de Dieu, et surtout elle a une revanche à prendre sur la vie. Le défi est son carburant. On la voit se déplacer comme un chat dans les cintres d'un théâtre, séduire un caïd pour lui voler son argent et c'est avec beaucoup de cran qu'elle assume ses choix. Sans se plaindre et sans se dérober. Plus d'une fois elle s'en sort avec le visage tuméfié mais elle ne s'arrête pas.
Le choix de musiques d'opéra n'est pas fortuit. Les deux filles sont comme ces héroïnes tirées du ruisseau au premier acte, encensées aux deux suivants et en péril au dernier. Avec une fin horrible.
C'est une des forces du film de Uda Benyamina que de nous faire croire un instant que l'histoire pourrait être différente. Ce serait ignorer que la fatalité ne souffre aucune exception. Dounia sacrifie momentanément son futur amoureux (un danseur qui exerce sur elle une puissante fascination) pour accomplir la mission que Rebecca lui a imposée. Elle risque sa vie mais elle gagne la mise. On l'entend téléphoner à Maimouna qu'elle lui a mis sa part de coté (car Dounia est davantage une justicière qu'une criminelle et elle une honnêteté inoxydable), qu'elle s'en va (rejoindre son amoureux) mais qu'elle reviendra. Une fin heureuse aurait été possible au théâtre mais à l'opéra le héros n'échappe pas à la tragédie.
L'histoire se passe dans une de ces banlieues qu'on montre du doigt mais la réalisatrice a construit un conte de mise en garde universel. Pour que les choses tournent autrement il aurait fallu que Dounia choisisse un modèle positif, qu'il soit sportif, artistique ou même politique. Sa rencontre avec Djigui, ce jeune danseur troublant de sensualité, ne suffit pas pour dévier le cours du destin. Que son mentor soit une femme donne encore plus de puissance à la démonstration. Il est rare qu'un film soit porté presque exclusivement par des femmes, et a fortiori sur ce territoire de la violence.
Il a fallu trois ans à la réalisatrice et à Romain Compingt pour ficeler le scénario. Le résultat est à la hauteur, très ancré dans le réel et avec pourtant une part de fiction. Les rebondissements s'enchainent et les niveaux de lecture sont multiples. Le film est tourné comme une comédie musicale, en accordant une grande importance au corps. Les chorégraphies sont magnifiques.
Dounia principalement se confronte au sacré et au divin qui pour une fois est féminin. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2016 le film est récompensé par une Caméra d'or amplement justifiée.
1 commentaire:
Je dépoussière un peu cet article car ce film m'avait marqué à l'époque et que j'en parle dans ma nouvelle chronique (où je cite d'ailleurs ton article)
Comme toi j'avais adoré ce film qui m'avait marqué par son énergie.
Merci de ta chronique
Bonne journée
Enregistrer un commentaire