Stéphanie Kalfon est une auteure choisie par les 68 premières fois qui avait découvert son premier roman, Les Parapluies d'Erik Satie il y a deux ans, couronné du Prix littéraire des musiciens en 2018.
J'ai rallié le groupe depuis et j'ai lu avec intérêt son second, Attendre un fantôme, qui raconte l'histoire de Kate, une jeune fille de dix-neuf ans, tenue par sa famille, et surtout sa mère, à l'écart de la mort accidentelle de Jeff, son ancien amoureux dans un attentat en Israël.
Cette mère incapable de dire bonjour (p.19) nous est présentée comme une bourgeoise vivant comme une femme de ménage (p. 22). Elle est étouffante, pour Kate, comme pour pour son mari, phagocyté à tel point que le cognement de ses dents à lui contre ses mots à elle fait ressurgir le fantôme emprisonné (p.23).
Le surgissement du mot fantôme à ce moment là me laisse supposer qu'il ne serait pas le défunt fiancé dont l'absence pouvait le placer dans cette situation pour peu que la jeune fille continue à espérer son retour.
Cette mère odieuse avec tout le monde ne s'accorde pas le moindre plaisir. Elle est (sans surprise) anorexique et surtout terriblement toxique sans que j'ai pu lui trouver la moindre circonstance atténuante. L'écriture de Stéphanie Kalfon grimpe vite dans un crescendo glaçant : Les gens qui l'aiment, s'ils veulent lui faire plaisir, doivent ne jamais être heureux. c'est normal, la moindre des choses est de rester moindre (p. 24). Plus loin (p. 70) elle couvrira d'un linceul de paroles les mots de sa fille.
La vie est injuste. Jeff, philosophe, part avec en tête ce vers magnifique de René Char (p.35) : Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront. Jeff ne reviendra pas.
Et pourtant j'ai aimé cette écriture sans concession. Peut-être parce que j'ai connu une mère qui ne pouvait pas vivre différemment... Et bien sûr parce que l'auteure a le sens de la formule.
Stéphanie analyse autant l'absence des vivants, ou du moins l'absence de leurs sentiments que le vide des disparus qu'elle compare à la neige, ils n'effacent pas le réel mais le blanchissent, comme on le dit d'un accusé à tort blanchi au seuil de la mort.
Situé au début des années 2000, ce roman décrit une période révolue (p. 31) avec une précision chirurgicale assez jouissive.
Cette mère qui parle seule, fait les demandes et les réponses, prend terriblement vie sous nos yeux (p.72) en assénant une démonstration implacable. Ne cherchons pas : elle aura toujours raison. Même à vouloir vivre le chagrin de sa fille par procuration.
Le roman est plutôt court (130 pages) mais d'une extrême densité.
Il s'achève avec une autre réponse à méditer en le refermant : Etre malheureux, c'est attendre un fantôme.
Attendre un fantôme de Stéphanie Kalfon, Joelle Losfeld éditions, juin 2019
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