J'accuse est un drame historique. On connait tous ce scandale où se mêlent erreur judiciaire, déni de justice et antisémitisme. Et pourtant cette coproduction franco-polonaise et britannique met en lumière des aspects cachés de la machination, sans doute parce qu'elle met en cause les pouvoirs publics bien au-delà de ce qu'on a fait passer pour une "erreur" judiciaire.
Ce qui est passionnant c'est que l'affaire est racontée du point de vue du Colonel Picquart (Jean Dujardin) qui, une fois nommé à la tête du contre-espionnage, va découvrir que les preuves contre le Capitaine Alfred Dreyfus (méconnaissable Louis Garrel) avaient été fabriquées.
A partir de cet instant et au péril de sa carrière puis de sa vie, il n’aura de cesse d’identifier les vrais coupables et de réhabiliter Alfred Dreyfus alors même que le moins qu'on puisse dire est que ce n'était pas du tout son ami.
Même si on dit que le film américain réalisé par William Dieterle en 1937, La Vie d'Emile Zola, a déterminé l'intention de Roman Polanski à reprendre le sujet, le mérite de Roman Polanski est de faire la lumière sur la machination que je croyais avoir été déjouée uniquement par l'intervention d'Emile Zola, ce que renforce le titre retenu finalement, car il devait à l'origine porter celui de "D".
Que le réalisateur soit lui-même de nouveau impliqué dans une affaire de moeurs ne devrait pas entrer en ligne de compte dans le jugement que l'on porte sur son oeuvre, et encore moins conduire au boycott comme j'ai pu le lire sur les réseaux sociaux. Entendons nous bien je ne cautionne rien mais s'il fallait boycotter tous les artistes (et écrivains) dont le comportement n'est pas parfait nous allons rayer beaucoup de nom des bibliothèques, cinémathèques et musées ...
Plusieurs avant-premières ont été annulées par les actions de militantes féministes. C'est regrettable car la condition de la femme est plutôt mise à l'honneur dans le scénario. Et puis ne pas aller voir le film c'est d'abord mettre les comédiens à l'index. Ce sont d'ailleurs surtout eux que je salue ainsi que l'intérêt que cette affaire soit décryptée au plus près de la vérité ... en espérant que des faits semblables ne se reproduisent pas. Etre condamné sur de fausses preuves me semblent le niveau au-dessus de l'erreur judiciaire et totalement intolérable.
Le film commence par cette scène terrible de dégradation du capitaine dans l'immense cour des Invalides, devant une armée très fournie. Le scénario a été bâti par le réalisateur avec Robert Harris, à partir de son livre intitulé "D." Ils avaient déjà travaillé ensemble pour The Ghost Writer et le projet mis sept ans à mûrir.
Si Dreyfus est présent dans de nombreuses scènes, l'originalité est - je le rappelle- d'avoir construit le film en donnant en quelque sorte le rôle principal au colonel Marie-Georges Picquart, tout d'abord détestable avant de devenir une sorte de héros. Ce célibataire a pour maîtresse Pauline Monnier (Emmanuelle Seigner), qui est l’épouse d’un haut personnage de l’État. Elle sera plus tard objet de chantage, prouvant que le colonel a beaucoup à perdre à clamer la vérité.
Il n'est pas antisémite par conviction mais par conformisme social, ce qui ne l'empêche pas au début d'abonder dans le sens de la condamnation de Dreyfus qui fut pourtant un de ses (brillants) élèves. J'ai été passionné par la manière de démonter la chasse aux sorcières à l’encontre d’une minorité, la paranoïa sécuritaire (et inefficace), les tribunaux militaires secrets, les agences de renseignement hors de contrôle, les dissimulations gouvernementales et le rôle de la presse, parfois négatif, et subitement positif.
Jean Dujardin est excellent, je dirais sans surprise car on sait qu'il peut très bien quitter le registre du comique pour d'autres types de rôle. Comme celui d'un espion dans Möbius, ou un magistrat dans La French.
Beaucoup d'autres comédiens font un travail d'interprétation formidable. Par exemple Wladimir Yordanoff en général Mercier alors qu'on peut le voir en ce moment au Théâtre Hebertot dans En garde à vue. Grégory Gadebois est également stupéfiant.
L'histoire est riche de rebondissements et se regarde comme un thriller. L’Affaire déchira la France pendant 12 ans. Quel drame pour cet homme injustement privé des siens. Quel courage il lui fallut pour tenir ! Quel courage aussi à Zola dont j'avais oublié qu'il avait été condamné à un an de prison et 3000 francs d'amende. Il n'est pas improbable que sa mort ait été orchestrée par des antidreyfusards.
La reconstitution historique est minutieuse. J'ai été frappée par la vétusté du service de contre-espionnage français, que l’on appelait alors la Section des Statistiques, qui à l'époque devait pourtant sembler moderne.
Sur le plan plus anecdotique j'ai été émue de revoir la salle d'audience du palais de Justice de Paris où mon fils avait prêté serment l'année dernière.
J'accuse de Roman Polanski
Avec Jean Dujardin, Louis Garrel, Emmanuelle Seigner, Wladimir Yordanoff, Grégory Gadebois, ...
En salle depuis le 13 novembre 2019
Photos Copyright Guy Ferrandis / LÉGENDAIRE - R.P. PRODUCTIONS - GAUMONT - FRANCE 2 CINÉMA - FRANCE 3 CINÉMA - ELISEO CINÉMA - RAI CINÉMA
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