J’ai peu l’expérience de l’opéra et je ne vais pas en dire très long sur les voix ni sur la musique mais sur ce qui touche au théâtre car ce Pelléas et Mélisande, dont je sais qu’il est un drame lyrique en 5 actes et 12 tableaux, est aussi une pièce de théâtre.
Les auteurs, français ou francophone (n’oublions pas que Maurice Maeterlinck, belge, fut Prix Nobel de littérature en 1911) nous offrent un spectacle écrit en français, ce qui en facilite la compréhension.
Avec des interprètes qui s’expriment même lorsqu’ils n’ont pas de partition. Ainsi le jeune Yniold, le fils de Golaud, traverse souvent la scène. La mère de Golaud et Pelléas est la plus attentive possible. Après l’entracte elle regardera le pianiste, une flûte à la main, comme si elle se trouvait elle-même au concert. Il y a d’autres très beaux moments comme la scène où Arkel, roi d’Allemonde, manipule l’enfant pour lui faire raconter ce qu’il ne faut pas savoir. Le texte mérite souvent qu’on s’y arrête. Nous ne voyons jamais que l’envers des destinées nous préviendra le vieil homme, aveugle au demeurant.
C’est particulièrement émouvant d’assister à cette œuvre sous la coupole du théâtre qu’a dirigé Louis Jouvet pendant dix-sept ans après avoir été directeur de la Comédie des Champs-Elysées de 1925 à 1934 et où il est mort le 16 août 1951.
L’intrigue se déroule au Royaume imaginaire d’Allemonde, gouverné par le vieil Arkel. Après avoir rencontré Mélisande, créature fragile et énigmatique, au cours d’une chasse en forêt, le Prince Golaud l’a épousée sans rien savoir d’elle, puis l’a présentée à son demi-frère Pelléas.
Entre Mélisande et Pelléas, un lien secret s’est d’emblée tissé, fait de regards et de complicité, d’amour peut-être ? Golaud se met à épier Pelléas et Mélisande : il recommande d’abord à son demi-frère d’éviter son épouse, puis ne tarde pas à menacer fermement, dévoré peu à peu par la jalousie. Pelléas et Mélisande finissent par s’avouer leur amour : au moment où ils s’embrassent, Golaud sort son épée et tue Pelléas, laissant Mélisande s’enfuir. En présence d’Arkel et d’un Golaud rongé par les remords, la mystérieuse Mélisande s’éteindra lentement, sans que son mal soit clairement identifié et que Golaud ne parvienne à percer la vérité sur les liens profonds qui l’unissaient à Pelléas.
L’histoire se passe principalement sur la terrasse d’un château, qu’on imagine facilement en ruines, et dont la vue nous est dérobée. J’ai entendu des critiques à propos du fond de scène en contreplaqué, simplement ouvert d’une porte. C’est que le décor est marqué par une économie de moyens qui procure de grands effets. On est dans la suggestion, dans le cerveau de chacun des protagonistes, lesquels font ce qu’ils peuvent pour tenter d’être heureux. Comme un sortilège shakespearien contre lequel ils ne pourront lutter : c’est le dernier soir, il faut que tout finisse. J’ai joué comme un enfant aux pièges de la destinée (Pelléas).
S’agissant des accessoires, on est dans l’épargne. Pas de dorures. Rien d’ostentatoire. Les meubles ont été sortis des réserves de la Fondation de pendant les répétions. Ils sont dépareillés mais qu’importe puisqu’ils sont confortables. Il ne fallut acheter que le fauteuil roulant, chiné aux Puces car il n’aurait pas convenu qu’il soit du dernier cri. L’objet le plus précieux est le piano qui est l’élément essentiel. Il se trouve donc en pleine lumière. Il est tour à tour source de lumière, grotte, lit, table, salle de jeux, nous laissant deviner que Mélissande attend un bébé.
Le choix s’est porté sur la partition piano-chant pour transporter interprètes et auditeurs au coeur de l’œuvre et j’ai trouvé merveilleux de voir les mains du pianiste, Martin Surot, pendant toute la représentation. Que Claude Debussy ait lui-même réalisé la version piano-chant de Pelléas et Mélisande, réhausse l’intérêt de cette partition qui dépasse le cadre d’une simple réduction. Au gré des répétitions et des représentations des premières saisons, Debussy ne cessa de transformer, corriger, remanier son œuvre à maints endroits, imposant un tour de force éditorial pour mettre en conformité les éditions piano-chant avec la partition d’orchestre en mutation…
Il y a vingt ans Moshe Leiser et Patrice Caurier avaient mis en scène cet opéra au Grand Théâtre de Genève. De grands noms faisaient partie de la distribution. Si tous ceux qui l’ont vu conserve intacte l’émotion il était hors de question de reproduire le spectacle à l’identique. Le projet se devait d’être différent. Voilà pourquoi c’est la version pour piano écrite par Debussy lui-même qui a été choisie, et bien entendu sans orchestre. Ce serait de plus l’occasion de travailler avec une nouvelle génération de chanteur avec l’objectif de faire accéder les spectateurs au plus près de l’essence de l’art lyrique : porter les mots du
poète par la musique.
S‘il est vrai que, selon les paroles de José Van Dam que chanter, c’est parler un peu plus haut alors il serait possible de faire comprendre au public combien cette histoire d’amour, de jalousie, d’oppression et de meurtre est un cocktail rendu explosif par la musique de Debussy. La directions d’acteurs révèle combien tous les personnages sont malades. Physiquement, psychiquement et surtout aveugles, chacun à leur manière.
Voilà pourquoi ce Pelléas et Mélisande est présenté sous la forme d’un opéra de chambre qui parle du désir comme aucun autre. Mélisande n’a pas guéri des traumatismes sans doute sexuels qui l’ont égarée dans la forêt où elle fut cueillie par le Prince Golaud. Sa maladresse à vouloir recomposer une famille est illusoire malgré les invocations multiples à la petite mère … L’enfant est presque le double de Mélisande. Silhouette semblable, longs cheveux qui parfois débordent du bonnet, timbre de voix comparable bien que l'une est soprano, l'autre mezzo-soprano. D’ailleurs le mot enfant revient souvent.
Si l’amertume est qualifiée d’enfantine, on observera la difficulté propre à l’enfance à gérer ses émotions. La passion et la jalousie provoquent des débordements en excès. Le roi a beau dire que les mots sont importants, aucun n’aura de vertu thérapeutique.
Une partie du public a lâché le navire à l’entracte, sans doute des cinéphiles pressés d’apprendre les récompenses des César remis dans l’établissement voisin. C’est banal. La grande majorité s’est regroupée, aimantée par la musique. Les chanteurs ont été fort applaudis mais le pianiste eut une ovation, tellement méritée. Il ne m’aura manqué que les rugissements des vagues et le ruissellement de l'eau.
Pelléas et Mélisande
Musique Claude Debussy
Livret Maurice Maeterlinck
Mise en scène Moshe Leiser & Patrice Caurier
Création lumières Christophe Forey
Costumière/habilleuse Sandrine Dubois
Avec Jean-Christophe Lanièce (baryton) dans le rôle de Pelléas, petit-fils d’Arkel
Marthe Davost (soprano) en Mélisande
Halidou Nombre (baryton-basse) en Golaud, petit-fils d’Arkel et demi-frère de Pelléas
Cyril Costanzo (basse) Arkel, roi d’Allemonde
Marie-Laure Garnier (soprano) Geneviève, mère de Golaud et Pelléas
Cécile Madelin (soprano) Yniold, fils de Golaud
Pianiste Martin Surot
A l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet
2-4, square de l’Opéra Louis-Jouvet I - 75009 Paris
Du 15 au 25 février 2024 à 16 ou 20 h
Les photos du dossier sont à créditer à Guillaume Castelot.
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