Voilà (déjà !) le septième roman de Murielle Magellan et je m'inquiète un peu de savoir si je vais autant m'enthousiasmer pour celui-là; drôlement intitulé La fantaisie, que je l'ai fait pour les précédents.
Sortant d’une cruelle et longue dépression où elle a failli perdre tout ce qu’elle aime, Mona tente de se reconstruire en s’installant dans un minuscule appartement d’une tour de banlieue parisienne. Les marches de l’escalier qui conduit au lit-mezzanine sont astucieusement aménagées en casiers de rangement mais l’un d’entre eux est scellé. À l’intérieur, elle découvre le manuscrit qu’un jeune homme a enfoui là vingt ans plus tôt. Insolent et drôle, le texte lui donne envie de retrouver l’auteur.Mais que reste-t-il des jeunes gens audacieux après vingt ans de vie ordinaire ? Où ont disparu les désirs, les énergies, les fantasmes ? Où se sont perdus les éclats de rire et la rage de vivre ? Peut-on réinventer la fantaisie ?
C'était tout ce que je savais de l'intrigue avant d'ouvrir le livre qui, je dois le confesser, a été autant addictif pour moi que ne le fut le manuscrit découvert par Mona. Il faut dire que Murielle a la plume légère, vive, extrêmement métaphorique, n'hésitant pas à qualifier Jonas de poids plume devant l'éternel (p. 51).
Le romantisme du personnage féminin m'a amusée parce que je m'y suis reconnue. Elle s’enflamme vite et ce sont bien davantage que des plans sur la comète qu’elle va tracer sans retenue. Force sera de constater que ses rêves seront tenaces autant qu’une tâche incrustée dans la nappe.
La couverture annonce la musique avec ce puzzle de façades d'immeubles qui composent une sorte d'oiseau en origami.
Il est certes question de "fantaisie" mais le mot n'est pas forcément à considérer au pied de la lettre parce que j'ai trouvé de profondes réflexions sur la mort (notamment p. 55) et je n'ai alors pas jugé le roman fantaisiste même si l'auteure répète le mot plusieurs fois (p. 150 et 166).
Il me semble qu'elle est plutôt sérieuse. En voici la preuve pour toi ô lectrice (ou lecteur, parce que je ne choisis pas l’une ou l’autre) il existe bel et bien un musée de la fleur à Olioules, ce qui justifie l’allusion relevée en bas de la page 115.
Murielle raconte une blague juive (p. 109), ce qui me donne l’occasion de m’interroger. Pourquoi n’existe-t-il pas de blague catholique ? A fortiori de blague protestante ? Quoique, à la réflexion, cette double question puisse être considérée comme une blague. J'en ai quand même trouvée une que j'ose donner ici (et qui est plus comique quand elle est dite à voix haute) : Que dit-on à Jésus lorsqu’il fait une blague qui n’est pas drôle ? Jésus, t’es naze, arrête !
Plusieurs passages sont immensément mélancoliques, à l'image du silence cathédrale qui s'installe entre Mona et sa fille (p. 17). Le lecteur est fermement invité à réfléchir parce que nous ne voyons pas les choses telles qu'elles sont, nous les voyons tels que nous sommes (comme nous en prévient le Talmud p. 192). Egalement parce que la fleur ne réfléchit pas au parfum qu'elle répand (p. 107). je vous conseille de mémoriser la phrase pour la ressortir dès que vous vous sentirez incompris.
Il sera également amené à se poser des questions sur le capitalisme (p. 124) et, c'est plus trivial, sur le mode d'emploi de la décalcomanie (p. 125). Entre temps il aura appris ce qui a justifié l'abandon du képi en 1985 (p. 28), l'origine de l'expression être né de la dernière pluie, comment bénéficier des bienfaits de la cryothérapie en cas de mal de tête (p. 84), employer à bon escient à chaque changement de saison le mot japonais nagori (p. 92), l'étymologie du mot négoce (p. 123). Le roman est foisonnant mais je n'ai pas dit les choses de cette manière à Murielle quand nous en avons parlé afin qu'elle n'ait pas à masquer l'insolite satisfaction narcissique du compliment, comme elle le formule si bien (p. 199).
Après ces réflexions sur ma lecture je peux compléter avec les confidences qu'elle a faites à un groupe d'amis venus à sa rencontre dans le cadre de la très accueillante librairie Maruani du 171 boulevard Vincent-Auriol - 75013 Paris. C’était le 29 février, preuve ultime de fantaisie en cette année bisextile.
Décrivant son héroïne, elle convient que c'est peut-être Marie-Line, vingt ans plus tard, au bout de sa life. Plus sérieusement, et avec une grande sincérité, elle confie avoir écrit ce livre à un moment où elle avait perdu l'envie de rire, s'interrogeant sur la source de ce mal être qui pouvait aussi bien provenir d'elle-même que de la morosité ambiante.
Elle se dit alors que si l'humour était un objet ce serait un manuscrit contenant le sens de la dérision qu'elle a perdu. Un texte à l'humour décalé, mais qui aurait le pouvoir d'interroger le monde, sans contourner le réel. Comme l'ont fait des auteurs comme Irving ou Vian. Ajoutez à cela la certitude que le passé prend son temps pour resurgir mais il le fait.
Et l'envie de se confronter à un double récit qui contraindra à trouver deux musiques. Car la forme doit nécessairement apporter une excitation à l'écrivaine dont la volonté demeure de nous offrir des histoires qui rendront notre monde plus doux.
Et qui au passage nous feront pour le moins sourire. J'ai imaginé Jonas en biche traquée en quête d'issues sylvestres (p. 68). Je me suis approprié la formule Passe-moi le dico en cas d'énigme lexicologique (p. 58). C'est un réflexe qu'elle a en commun avec un des personnages d'Eclipses, un roman de Daphné Vanel, chez le même éditeur, et que je chroniquerai bientôt. J'ai failli le dire en tombant sur le mot thaumaturgique que je ne voyais pourtant pas pour la première fois mais qui là me semblait hors contexte.
Et puis, régulièrement au fil de la lecture, j'ai repéré des incohérences (c'est presque maladif) qui quelques lignes plus tard étaient résolues. A peine ai-je le temps de m'étonner que Jonas ne se soit pas rendu compte de la disparition du manuscrit que Murielle explique qu'il faudrait être maraicher pour apprécier la variation de poids. Je ne m'offusque pas longtemps que Misery soit attribué au cinéaste Bob Reiner (p. 135). Murielle s'empresse de préciser qu'on doit ce chef d'oeuvre à Stephen King. Et je dois aussi la remercier pour sa jolie description d'Enghien qui me rappelle que je m'étais engagée à y faire un reportage.
Murielle Magellan née à Limoges, est une écrivaine et réalisatrice. Elle a grandi à Montauban. Après une formation de chanson (Studio des Variétés), de comédienne (École du théâtre national de Chaillot), et universitaire (maîtrise de Littérature moderne), elle se consacre à l’écriture sous ses diverses formes, ainsi qu’à la mise en scène de spectacle vivant. J'ai adoré son premier film, en tant que réalisatrice, La page blanche (2022) et j'ai hâte d'en voir un second.
Depuis Le Lendemain, Gabrielle (2007), elle a publié Un refrain sur les murs (2011), N’oublie pas les oiseaux (2014), Les Indociles (2016) et Changer le sens des rivières (2019) tous chez Julliard puis chez Mialet-Barrault Géantes (2021). La Fantaisie est son septième roman.
Puis-je oser un regret ? L'absence de play-list à la fin de l'ouvrage, parce que c'est plus commode de s'y référer plutôt que de noter les morceaux au fur et à mesure de leur citation. Ça se fait de plus en plus en littérature, toujours pas au théâtre (cela devrait être répréhensible, et je ne plaisante pas) alors que c'est naturel au générique des films.
Par contre, en bonus (comme on dit dans le milieu du cinéma) je vous offre ces clichés de murs peints dans le quartier où la librairie est installée et qui, au printemps ne seront pas aussi nettement visibles, une fois que les arbres auront reverdi.
La fantaisie de Murielle Magellan, Mialet-Barrault Éditeurs, en librairie depuis le 3 janvier 2024
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