Qui ne connait pas Les souliers rouges ? Ce fut d’abord, en 2016, l’immense succès d’un album enregistré en studio, sacré disque d’or, interprété par Marc Lavoine, Cœur de pirate et Arthur H, produit par Marc Lavoine qui a associé au travail d'écriture son compositeur attitré Fabrice Aboulker d'après le conte écrit en 1845 par Hans Christian Andersen après que Jean-Paul Goude le lui fit découvrir et que Victor Bosch lui proposa d'écrire l'adaptation.
Ce fut aussi un spectacle musical qui a été présenté aux Folies Bergère le 31 janvier 2020 jusqu’à ce que la pandémie ne porte un coup de frein brutal au spectacle, un mois plus tard, ruinant en quelque sorte dix ans de travail.
La renaissance arrive cette année avec la reprise qui part en tournée à la rencontre du public et qui est jouée trois soirées à Pleyel.
C’est un avantage que les chansons soient connues. Elles feront office de dialogues. Les spectateurs se sentent dans un univers presque familier. Cependant la mise en scène (Jérémie Lippmann) est inventive. L’interprétation est sans reproche. Les costumes (de Jean-Daniel Vuillermoz) sont magnifiques. Les lumières sont formidablement bien pensées et le mapping est d’une efficacité sans faille. La chorégraphie est celle qu’il fallait (Marie-Agnès Gillot et Tamara Fernando) avec l’intégration fort réussie de morceaux de krump. Il fallait de l’audace pour les placer avec des moments purement "classique" et c’est très réussi. L’histoire devient profondément humaine. Elle gagne en contemporéanité et s’enrichit d’une touche de surréalisme. C’est parfait.
Isabelle monte à Paris pour réaliser son rêve de devenir danseuse à l'Opéra. Victor, le chorégraphe de l'Opéra rêve de renouer avec le succès. Une nuit, il pactise avec le diable. Celui-ci lui offre une paire de souliers rouges magiques. La danseuse qui les portera ne devra pas tomber amoureuse sous peine de périr. Victor engage Isabelle qui tombe amoureuse d'un jeune journaliste, Ben.
Les souliers rouges raconte l’histoire d’un sacrifice dont une femme (c’est toujours la femme qui meurt dans les opéras et c’est pourquoi je ne suis pas une fervente admiratrice de ce genre musical) sera la victime. Il n’y a pas de mystère, pas de véritable manipulation. L’opéra est maudit et la malédiction est d’emblée annoncée sous une averse de lumière rouge, couleur de l’amour, de l’érotisme, de l’interdît et de l’enfer mais qui sait qu’au XIX° c’était aussi la couleur de la robe de mariage ? Il est probable qu’Andersen maîtrisait tout cela. J’ai appris toutes ces références dans une très intéressante exposition du Musée des arts décoratifs, Aussi rouge que possible.
Après l’avertissement annoncé dans la première chanson, l’atmosphère se fait plus romantique dans des tonalités roses et bleues. Ensuite ce seront les orangés avec l’évocation de Cendrillon puis le noir et blanc pour traiter cette dualité : vivre ou ne pas vivre.
La chorégraphie est soignée. Les acrobaties exécutées au sol sont impressionnantes et plus tard le chœur suggérera un bataillon de sorcières.
Les chaussons seront lacés aux pieds de la jeune fille comme si elle n’était que la figurine d’une boite à musique. Et quand la ballerine effectuera des pointes, des sauts et des portés audacieux nous deviendrons les spectateurs de ce ballet maudit qui, pour le moment nous ravit.
Après l’entracte, elle revient portant un blouson sur le dos, signe de soumission ou d’émancipation ? Elle énonce d’une très jolie voix la liste des personnages célèbres auxquels le couple pourrait se comparer : Pénélope et Ulysse, Béatrice et Dante, Eurydice et Orphée, que des couples dont l’histoire a mal tourné et à propos desquels Marc Lavoine a écrit une nouvelle chanson, intitulée Pygmalion.
C’est un des points forts du spectacle que de ne pas avoir cherché à "imiter" l’album. Pour commencer l'affiche est très différente, suggérant la main d'un diable manipulant une marionnette.
Les trois interprètes principaux ne sont pas comparables au trio d’origine, dans lequel Marc était l’auteur, Coeur de Pirate la danseuse et Arthur H le chorégraphe. Leurs voix, comme leurs personnalités sont disons spéciales. Même si on connait Guilhem Valayé (Victor, le chorégraphe), révélé par The Voice et bien sûr Benjamin Siksou (Ben, le journaliste) on découvre Céleste Hauser (Isabelle, la ballerine) qui n’était pas dans la première distribution et qui est sublime. Je signale aussi qu’il y a de nouveaux danseurs et qu’il a fallu tout recadrer.
Elle sait que c’est perdu d’avance. Les personnages ont été mis en garde dès le début mais n’ont pas tenté de changer leur destin. C’est une histoire d’acceptation. Et d’interrogation sur ce qu’est l’amour : aimer pour soi, pour deux ou pour l’autre tandis que les larmes coulent sur le visage projeté sur le rideau. Chacun réfléchira à sa définition du verbe aimer qui, pour moi, est de connaître les fragilités de l’autre sans les utiliser contre lui, ce qui est tout l’inverse de la démonstration qui nous est donnée ce soir, avec pour conséquence une fin tragique.
Les cloches sonnent gravement, presque comme un glas lorsque notre héroïne se demande quel est le prix pour réussir sa vie ? Un titre s’intitule précisément Requiem.
Le public applaudit fréquemment, manifestement enthousiaste, et ému. Vivre ou ne pas vivre ? Le dilemme est maintenant tragiquement résolu. On assiste à l’issue fatale tandis que l’incendie lèche les rideaux et que la musique évoque l’éternel succès de Ravel, ce Boléro qui est le morceau le plus joué au monde.
En conclusion je salue cette nouvelle version (mais je ne peux pas comparer à la première qui m‘avait échappé). L’absence d’orchestre symphonique ne m’a pas dérangé. Les orchestrations sont sensibles et évocatrices et nous emmènent au plus près des émotions des personnages qui, chacun a son propre thème. La création musicale épurée s'appuie sur des pianos et guitares, des cordes, Parfois des bois et des cuivres et des choeurs classiques. Egalement quelques sons digitaux qui donnent une profondeur tout à fait particulière.
L’action est au coeur du spectacle et c’est très bien ainsi. Mon seul bémol est la proximité des timbres des deux chanteurs, quoique Guilhem soit baryton et Benjamin ténor. On peut les confondre sur les chansons qu’ils interprètent ensemble, ce qui malgré tout n’est pas très dérangeant car l’un comme l’autre sont impuissants à maintenir Isabelle en vie.
Le combat entre l’argent, la vie, la gloire (que l’on peut considérer comme le désir de réalisation de soi), l’amour est universel. Le livret ajoute une dimension supplémentaire, soulignant que l’on n’obtient rien sans souffrances physiques préalables, et on sait combien la danse est un art exigeant. Nous sommes dans un conte mais le succès ne tombe pas du ciel.
Marc Lavoine peut monter sur scène avec Fabrice Albouker pour féliciter le travail de toute l’équipe. Longue vie aux Souliers rouges !
Musique : Fabrice Aboulker
Paroles : Marc Lavoine
Mise en scène : Jérémie Lippmann
Chorégraphes : Marie-Agnès Gillot et Tamara Fernando
Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
Scénographe : Emmanuelle Favre
Avec Céleste Hauster : Isabelle, Guilhem Valayé : Victor, le chorégraphe et Benjamin Siksou : Ben, le journaliste
Reprise du 15 janvier 2023 au 21 avril 2024 en tournée
Du 9 février 2024 au 11 janvier 2024 à la Salle Pleyel 252 Rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris
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