
Viktor, jeune ukrainien de 20 ans, se trouve à Moscou le 24 février 2022 lors de l’invasion russe en Ukraine. Il y vit depuis 3 ans, réalisant son rêve d’enfance : intégrer la plus prestigieuse école de théâtre russe, le GITIS. Il fait alors face aux bouleversements provoqués par la guerre : l’amour devient la haine, les amis d’hier deviennent les ennemis d’aujourd’hui. Le rêve d’enfance devient une trahison à son peuple.
Il n’y a pas de doute possible. Viktor Kyrylov a énormément de mérite à écrire si bien et à parler si parfaitement notre langue. Je me réjouis sans aucune réserve qu’il soit, lui comme sa famille, loin de la guerre qui ravage l’Ukraine et qu’il ait réussi à quitter la Russie dès le début du conflit.
Son témoignage est émouvant et on perçoit combien il est sincère. Son interprétation est touchante. Mais, car il y a un mais pour moi, je n’ai pas vraiment eu le sentiment d’être au théâtre. Je n’ai pas vu de mise en scène, et pour cause d’ailleurs puisqu’il n’y en a pas. Le programme fait mention du "regard amical d’Eric Ruf". Pourquoi ne pas avoir été plus loin ? Peut-être parce que l’effort de mémorisation du texte français était déjà suffisamment complexe sans qu’on fasse peser une direction d’acteur ?
Je n’aurais pas été perturbée que Viktor s’exprime parfois en russe, qui est sa langue maternelle (même si je n’en parle pas la langue, et après tout il existe des solutions de surtitrage). Certes le titre du spectacle l’interdit d’une certaine manière mais le concept devient un piège joliment illustré par la photo que j'ai placée en tête de cet article (et que l'on voit correctement depuis quelques sièges bien précis) alors qu’il nous est bien précisé que Maintenant je n’écris plus qu’en français est une histoire ukrainienne.
Elle nous plonge dans un conflit qui traverse des siècles de destins mêlés entre deux peuples et met en lumière le rapport qu’ils entretiennent aujourd’hui. Le récit intime et les circonstances politiques et historiques s’entrechoquent : la famille et la patrie, la jeunesse et la mort, la haine et l’amour, la trahison et la culpabilité … Le spectacle pose effectivement une question essentielle : pourquoi combat-on ? Le spectacle n'y répond pas et l'option retenue par Viktor est la fuite et le renoncement à l’un comme à l’autre en choisissant d’appartenir désormais à un "troisième" pays, la France.
Bien entendu je ne juge pas son comportement mais le spectacle. J'aurais sans doute une autre réaction si je l'avais entendu dans le cadre d'une émission d'information ou de témoignage.
J'ai lu dans sa note d'intention "Jusqu’où je vais raconter mon histoire ? Cette histoire a un début, mais la fin reste à écrire : je continue à vivre dans les conditions qui m’ont été imposées par la guerre. C’est pourquoi je finis cette histoire par mon arrivée en France. L’adaptation, l’intégration... Ce sont des sujets qui méritent d’être détaillés dans un autre récit, un autre spectacle".
Il poursuit en insistant sur le fait qu'il a voulu poser la question de la guerre : comment elle arrive dans une vie, comment elle bouleverse une vie et un être.
Ce sont des choses horribles mais qui me sont familières parce que j'ai tant de fois entendu l'histoire de mes arrières grands-parents, de mes grands-parents et de mes parents, dont les parcours de vie ont été secoués par la Guerre de 1870, puis les deux Guerres Mondiales que je crois que je connais cela …
Je suis surprise également par l'emploi du verbe "raconter" alors qu'on aimerait tous "comprendre" quelle folie peut encore secouer l'Europe et menacer l'équilibre (donc fragile) qui a été reconstruit après 1945.
Il se dit en quelque sorte réfugié linguistique et s'il a raison d'écrire que la langue formate une façon de penser j'aurais aimé entendre en quoi l'acquisition du français l'a changé. Plus précisément quels bouleversements sont imputables à cette guerre et lesquels au changement de langue ?
Il écrit aussi : Si demain, la guerre arrive en France, que ferions-nous ? Cette maladresse syntaxique (il faudrait interroger : Si demain, la guerre arrivait en France, que ferions-nous ? ou bien Si demain, la guerre arrive en France, que ferons-nous ?) relève sans doute d'un acte manqué trahissant l'angoisse du futur.
C’est ça que je veux transmettre aux Français (…) après avoir vécu trois années dans ce pays, ce pays incroyable, mais qui ne veut pas voir le danger qui le menace.
Je ne sais pas si nous sommes aveugles, en tout cas sans doute pas davantage que les 7 millions d'Ukrainiens vivant aujourd'hui en Europe et qui ne s'imaginaient pas devoir s'y installer.
Il n'en reste pas moins que je salue le mérite de ce comédien que je serais curieuse de voir distribué dans une pièce dans laquelle il ne sera pas impliqué émotionnellement.
Maintenant je n'écris plus qu'en français [création]
Texte & interprétation Viktor Kyrylov
Sous le regard amical d’Eric Ruf
Son Thomas Cany Texte & interprétation Viktor Kyrylov
Sous le regard amical d’Eric Ruf
Scénographie & costumes Constant Chiassai-Polin
Vidéo Clara Hubert
Création lumière Anne Coudret
Conseil dramaturgique Laurent Muhleisen
Du vendredi 4 avril au dimanche 29 juin
Avril & juin : Mer., Jeu. Ven. et Sam. 19h, Dim. 15h
Mai : Mer. 19h, Jeu., Ven. et Sam. 21h15, Dim. 15h
Avril & juin : Mer., Jeu. Ven. et Sam. 19h, Dim. 15h
Mai : Mer. 19h, Jeu., Ven. et Sam. 21h15, Dim. 15h
Théâtre de Belleville -16, Passage Piver - 75011 Paris
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de © Pauline Le Goff
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de © Pauline Le Goff