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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 30 juin 2025

La rentrée littéraire automnale de l’Ecole des loisirs #2 Les romans et livres illustrés

Je fais suite à l'épisode précédent présentant quelques albums de la rentrée littéraire de l'Ecole des loisirs, principalement axé sur les albums.

J’avais signalé quelques aspects de la vie mouvementée de Susie Morgenstern, maîtresse de cérémonie pétillante, et très impliquée de cette matinée de présentation d’ouvrages qui vont encore une fois réjouir petits et grands, jusqu’aux adultes, parce qu’il n’y a pas d’âge limite pour la littérature jeunesse quand elle est de qualité.

Cette autrice était invitée pour l’ensemble de son œuvre et pour présenter Addictions anonymes (collection Médium), écrit avec Denis Baronnet, à paraître le 10 septembre 2025.

Elle a constaté elle aussi combien les jeunes sont accros aux jeux vidéo, à la nourriture, aux séries … les addictions touchent tout le monde. Son esprit inventif a imaginé l'ouverture d'une salle commune dans l’immeuble où ils vivent où s’installerait un nouveau club de nature à aider tous les habitants. Bien sûr il faut y voir une évocation des A.A. (Les Alcooliques Anonymes, dont la méthode a d’ailleurs également inspiré Grégoire Delacourt dans La liste 2 mes envies dont j’ai prévu de vous parler après-demain).
Lucia Perrucci était invitée pour La prodigieuse machine à capturer les âmes (collection Médium) et fut interviewée par Maya Michalon en présence de Marc Lesage, traducteur et interprète.
Le 13 octobre 1971, le facteur apporte un paquet pour le frère jumeau de René, Louis, qui est mort exactement deux ans plus tôt. En ouvrant ce drôle de cadeau René ne s'attendait pas à découvrir un portrait de Louis, la pièce manquante à la mystérieuse chambre noire conservée dans le garage. Les questions se bousculent pour le garçon et ses petits frères André et Yves. Quels secrets contient-elle ? Qui est cette Cassandra Apollinaire qui a expédié le colis ? Où ont disparu les parents à présent ?

C'est pour cette famille le début d'une quête haletante et surréaliste, à la frontière de ce que l'on voit, ce que l'on sait, et ce que l'on croit.

Les modèles du positif et du négatif sont centraux dans son ouvrage. Qu’il s’agisse de la transformation du corps, de la frontière entre René et son jumeau mort, entre le masculin et le féminin mais toujours de façon très naturelle. Le roman est composé à 90% de dialogues, de façon à ne pas décrire les personnages mais à donner à les entendre.

Je signale que le premier roman de Lucia Perrucci avait très bien marché en Italie où elle a donc une belle notoriété.

Charlotte Moundlic a présenté Porculus de Louison, d’après l’œuvre d’Arnold Lobel, à paraître chez Rue de Sèvres en septembre. Elle nous en a fait une lecture très animée.

Un sujet en entraine un autre et ce fut l’occasion de citer Coeur de cochon à paraître le 20 août prochain chez JC Lattès, un hymne à la vie et à la tolérance, écrit par Susie qui a dû s’intéresser à cet animal proscrit par sa religion mais dont elle s’est résolue à accepter le don quand son cardiologue lui annonça, à l’aube de ses 80 ans, qu’il fallait opérer son coeur, et remplacer sa valve aortique par celle d’un porc. Elle a interrogé les traditions juives, reçu un signe de son défunt mari sous la forme d’un manuscrit perdu, et décida finalement d’adresser au cochon une lettre… pour le remercier.
Enfin Sylvie Gaillard, autrice-illustratrice a été interviewée par Morgane Vasta pour Orso et le secret des étoiles (Margot). C'est un conte orienté sur la nuit qu’elle a conçu en réaction à la peur du noir qu’elle ressentait quand elle était petite et qu’elle était bercée par la voix de Gérard Philipe racontant le Petit Prince. Voilà un livre qui se lit, se joue, et peut se danser. A tel point qu’une version comédie musicale sera créée le 24 septembre sur la scène du Grand Rex avec Nach, la soeur de Matthieu Chédid.

dimanche 29 juin 2025

Il Vento, le nouvel album de Wassim Soubra est un pont entre l’Orient et l’Occident

J’ai été charmée par Il Vento, un voyage musical aux évocations cinématographiques, dans lequel le piano de Wassim Soubra dialogue avec le violoncelle de Julie Sevilla-Fraysse, les flûtes (traversière, basse et octobasse) d'Henri Tournier et l'oud de Khaled Al-Jaramani.

Le nouvel album du pianiste et compositeur libano-français, commence par de délicates notes de flute sur Réfractions (piste 1) auxquelles répond le piano puis plus timidement le violoncelle.

Le dialogue se noue ensuite, rejoint par l'oud. Nous sommes néanmoins clairement dans le registre musical du "classique". L'album a été conçu en quatre binômes, et en adoptant la structure du contrepoint, ce qui explique sans doute sa fluidité. On s'aperçoit à peine que nous sommes passés d'un morceau à un autre. Il aura fallu que le tempo de Fluctuations (piste 2) s’accélère un peu pour qu’on le remarque. Ensuite le ralentissement final à partir de 4 minutes 30 permet cette fois de comprendre qu’il va s’achever.

Voici donc un second tandem avec Azur (piste 3) et Alizé (piste 4). De fait l'oud s’impose en majesté sur Azur et nous fait réaliser qu'on a basculé dans un autre registre. Peut-être aussi parce que cet instrument est moins familier à nos oreilles. Quant à Alizé, c’est un morceau complètement différent. On y perçoit de la joie, une pointe de mélancolie et quelque chose d’entrainant, comme une danse.

Les premières notes du pêcheur solitaire (piste 5) m’ont laissé croire que c’était une reprise de La chanson des vieux amants (1967), si bien interprétée par Jacques Brel lorsqu’il promet :

Mais mon amour
Mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour
De l'aube claire jusqu'à la fin du jour
Je t'aime encore tu sais.


J’ai aussi reconnu sur Anima (piste 7) à 2 ' 06 (et 4' 42) quelques accents de l'hymne anglais.

On adore Il Vento (piste 8) qui donne son nom à l'album et qui semble être la synthèse de tout ce qui précède en nous invitant lui aussi à danser.

L’ensemble nous fait penser tour à tour aux couleurs orientales d'un Anouar Brahem, aux ambiances éthérées d'un Tigran Hamasyan ou encore à la poésie d'un Claude Debussypour peu qu'on accepte de fermer les yeux pour se laisser emporter par la magie de ces compositions uniques.

Wassim Soubra est né à Beyrouth. Initié au piano dès l’âge de 4 ans, il quitte le Liban en 1974 en raison de la guerre civile et s’installe en France, où il poursuit des études de droit. Diplômé en 1978, il retourne à Beyrouth, où sa passion pour la musique et le piano prend un tournant décisif. En 1980, il est admis au Conservatoire de musique de Boston, marquant le début d’un parcours musical prometteur.

Deux ans plus tard, il s'installe à Paris pour approfondir ses études de piano à l’École Normale de Musique, où il obtient en 1986 une licence en pédagogie pianistique. Parallèlement, il se forme à la danse et explore l’art du mouvement pendant dix ans, une expérience qui enrichit sa pratique musicale. C’est dans ce cadre qu’il découvre l’improvisation, un terrain fertile pour son évolution en tant que compositeur..

Wassim Soubra poursuit ensuite sa formation en composition musicale à la Schola Cantorum de Paris sous la direction de Pierre Doury et Michel Merlet. Il y étudie le contrepoint, l’harmonie et l’orchestration, perfectionnant ainsi sa maîtrise des codes de la musique classique occidentale, tout en y intégrant les sonorités et traditions orientales.

Il écrit pour le piano solo, des trios, des quatuors et des quintettes, mais aussi pour des œuvres plus vastes comme des opéras et des oratorios. Il utilise la grammaire musicale classique pour tisser des récits ancrés dans la mythologie, traduire les échos de son enfance et créer des paysages sonores culturels alliant traditions et modernité dans une harmonie captivante. Ses compositions, marquées par un dialogue subtil entre Orient et Occident, se distinguent par leur mélodies pures qui plongent la musique classique aux confins de la musique du monde avec une large richesse narrative.

Artiste de scène accompli, il présente ses œuvres en solo ou en collaboration avec des ensembles prestigieux, se produisant dans des lieux et festivals renommés à travers le monde : le Palais de l’UNESCO à Paris, le Cadogan Hall à Londres, le Festival de Baalbek au Liban, le Festival de musique arabe de Montréal, ou encore le Festival de l’Union européenne à Paris.

Wassim Soubra s'est fait connaître du grand public au début des années 2000 avec son projet Bach to Beirut qui rendait hommage à la musique de J.S. Bach sur des consonances orientales (piano, oud, percussions). S'ensuivit un album de piano solo produit par l'Institut du Monde Arabe (Sonates Orientales) qui lui ouvrit les portes des grandes salles de concert.

Il Vento de Wassim Soubra
Sortie le 13 juin 2025 en digital

Le musicien va jouer plusieurs morceaux de l’album dans un lieu intimiste, ce samedi à 15h au Studio de Meudon au 37 rue d’Arthelon à Meudon.
Concert le 3 décembre 2025 en l’église Saint Julien le Pauvre de Paris
Les 5 et 6 décembre dans le grand auditorium de Clamart

samedi 28 juin 2025

Les carnets de cuisine de Monet

J'ai voulu faire une digression à propos des Carnets de cuisine de Monet qui vienne en complément de la visite de Giverny (article détaillé ici).

Je sais bien, mais vous l'ignorez peut-être, combien le potager était essentiel pour cet homme amateur de bonne chair. Hélas les terrains ont été vendus et il n'en subsiste que le souvenir.

Vous me direz que les deux jardins, le Clos normand comme le Jardin d’eau, sont de toute beauté et méritent très largement le voyage. La maison aussi. Mais j’ai malgré tout souhaité faire un focus sur un aspect qui ne soit pas que décoratif en perçant les secrets gourmands de cette famille à partir du carnet de recettes de Claude Monet.

Sa maison était un endroit où il faisait bon vivre. Si le paysage a son importance pour charmer nos yeux, une basse-cour et un potager étaient d’autant plus essentiels à l’époque qu’on ne décrochait pas son téléphone pour se faire livrer.

Monet avait des préférences très affirmées. C’est pourquoi il accordait un grand soin au potager sur lequel régnait Florimond car il tenait à ce que sa cuisinière Marguerite aient toujours sous la main les fines herbes dont il usait abondamment. C’était lui qui choisissait les graines et les plants, les pots, les cloches à melon … tout le matériel.

Chaque année voyait pousser brocoli, estragon, plusieurs variétés de tomates de différentes couleurs, artichaut, aubergine, poivron et piment doux, fèves et févettes, crosnes, laitue blonde de Versailles, choux-fleur nains et le moindre légume devait toujours être cueilli au bon moment.

Le peintre ne mettait jamais les pieds dans sa cuisine qui était le domaine de Marguerite et n'a donné son nom à aucun plat mais il adorait manger et recevait fréquemment les membres de sa famille … tout comme Clemenceau, Renoir, Pissaro etc … Le dernier film de Martin Provost, Bonnard, Pierre et Marthe nous le montre bon vivant, capable d’acheminer par barque un repas complet.
Il est très probable qu’il accordait de l’importance à la présentation. En effet il avait discuté des teintes des peintures extérieures et intérieures avec le peintre en bâtiment du village. Il opta pour des volets verts néti sur des murs ocre rose, des couleurs claires à l’intérieur, sauf pour la salle à manger jaune de chrome, avec un décor de meubles peints du même jaune que les murs.
Monet se lève et se couche tôt pour profiter au mieux de la lumière du jour. Le déjeuner a lieu à 11 h 30 pétantes et c'est à ce repas là qu'il reçoit, jamais au dîner qui est servi à 19 heures. Une exception est consentie le jour de Noël où le déjeuner a lieu à midi. On y sert la rituelle glace à la banane, évidemment réalisée dans la sorbetière de la maison, où la glace est moulée en forme de pain de sucre.
Le dimanche on utilisait le service bleu de la manufacture de Creil à motifs japonais de cerisiers et éventails bleus foncé stylisé. Le service de porcelaine blanche à large marli jaune et filet bleu est réservé aux fêtes et invités de marque.
La cuisine est restée bleu cobalt avec un carrelage de Delft, une suspension en porcelaine blanche et la fenêtre est voilée de Vichy du même ton.
L’équipement n’est pas montré aux visiteurs, hormis une turbotière de cuivre en forme de losange que l’on devine posée sur la droite du meuble ci-dessous. Elle a dû beaucoup servir. Comme la véritable sorbetière et d'un moulin à noix de muscade.
Chaque jour Marguerite prépare une entrée chaude, un plat de viande ou de poisson, un légume, une salade et chaque jour un dessert différent, sans oublier les gâteaux pour le thé. Notez que le jardin est en contrebas de la maison et s'admire depuis la terrasse. Dès que la météo le rend possible le thé (de chez Kardomah, donc en provenance directe d'Angleterre) est servi au jardin avec des scones, madeleines et/ou génoise.
Le soir le potage est incontournable, un plat d'oeufs, un plat de résistance, une salade et fromage, parfois un dessert ou un fruit au sirop. Et tout cela toujours pour au moins 2 adultes et huit enfants !

Monet aime les asperges à peine cuites, découpe lui-même les viandes, raffole des champignons, use abondamment de poivre. Il a plusieurs manies comme la cuisson vapeur pour les endives, haricots verts et épinards. Il sert souvent un turbot à ses invités qui auront en dessert la surprise du fameux gâteau Vert-vert à la crème de pistache … et aux épinards.
Tout près, les basses-cours où on élève dindons, canards natais ou mandarins, trois ou quatre races de poules, des Houdan, des Gâtinaises blanches, des Bresse noires et des Cayennes. Il faut dire que la consommation d’œufs est colossale chez les Monet. On remarque d’ailleurs dans l’office des placards spécifiques pour y stocker plusieurs douzaines.
Il n’y a pas de clapiers, Monet ne mange que des garennes. Par contre moult arbres fruitiers parce qu’on en servait régulièrement. Les grappes de raisin sont accrochées à une corde tendue pour les conserver à la chaleur et à l'abri de l'humidité.
Les pêches Bourdaloue sont traditionnellement le dessert du dimanche en été (p. 160). Mais il y a aussi de très simples desserts comme les croutes aux pêches (p. 168) ou les oreillons cuits au four sur du pain rassis. Claude Monet a régulièrement peint des scènes de déjeuner et collectionnant des natures mortes montrant des fruits, comme cette Nature morte avec des poires de grenade de Paul Cézanne (1890)
Parmi les plats qui seront posés sur la table on trouvera la bouillabaisse de morue de Cézanne, la soupe à l'ail (et persil p. 113), le cassoulet de Lucien Guitry, la palette de porc Sacha Guitry et de très étonnants oeufs Orsini dont le jaune est cuit dans des nids formés dans la masse des blancs montés en meringue.
Si vous voulez vous mettre dans l’ambiance d’un repas comme Monet les aimait vous pouvez au printemps prochain faire un potage à la dauphine : 500 grammes de navets nouveaux grattés et lavés mis dans une grosse noix de beure à feu doux. On les passe à l'étamine quand ils s'écrasent sous le doigt. On remet au feu avec la même quantité de beurre ou deux tasses de crème. Bon appétit !
La maison et les jardins de Claude Monet – Giverny sont ouverts tous les jours :
Du 1er avril au 1er novembre 2025
De 9h30 à 18h, dernière admission à 17h30
Durée de visite recommandée : 1h30 à 2h (visite libre non guidée)
84 Rue Claude Monet, 27620 Giverny -  02 32 51 28 21

vendredi 27 juin 2025

Les Berlinoises de Inga Vesper

D’Inga Vesper j’avais lu Un destin sauvage, si sauvage et je retrouve avec Les Berlinoises, un roman qui est encore une fois policier et historique où les personnages féminins occupent le devant de la scène. Mais nous avons changé de décor, d’époque et de thème.

L’autrice s’est inspirée de la vie d’une ancêtre (je me suis demandé si ce n’était pas Rike lorsque celle-ci livrera sa confession, mais peu importe au final). L’idée lui en est venue en se souvenant du moment où elle feuilleta l’album-photo de sa grand-mère. Elle la découvre en tenue folklorique avec ses amies dans une clairière faisant toutes le salut nazi. Inga n’avait que quatorze ans mais comprenait l’enjeu de la situation. Sa grand-mère ne lui répondit pas directement quand elle lui demanda si elle avait été nazie. Elle fit claquer l’album en commentant, sous forme d’aveu, nous nous sommes bien amusées aussi, ce n’était pas si terrible

La romancière a composé une histoire en comblant des pans entiers en faisant preuve d’une imagination qui sonne juste. Elle situe le roman à Berlin en 1946 et la ville, qui est quasiment un personnage à elle seule, est loin d’avoir retrouvé le calme et la sérénité d’avant guerre. La défaite est douloureuse, surtout pour les femmes chargées de déblayer les décombres, pierre après pierre, dans un hiver glacial. Malgré le réchauffement fugace avec un lait de poule préparé avec de l’alcool dénaturé, des œufs reconstitués et du mauvais sucre. Tout homme est à craindre, en premier lieu les Ruses qui, entrés les premiers dans la capitale, se sont servis en vainqueurs sans conscience. Ils ont volés ce qui restait à prendre et n’ont pas hésité à violer les femmes qui les craignent plus que quiconque.

Je n’ai pas été surprise par cet aspect qui était présent dans le formidable livre Une femme à Berlin. Journal 20 avril-22 juin 1945 (Traduit de l'allemand par Françoise Wuilmart, Présentation de Hans Magnus Enzensberger, Gallimard, 2006). Pour lire d’autres articles consacrés à Berlin, suivre le lien.

Les principales héroïnes s’allient pour survivre dans la ville en ruines. Vera Klug a eu l’idée de proposer une maison en colocation à six autres femmes. C’est une ancienne actrice qui a eu une brève heure de gloire dans La croisière au soleil, un film qui s’avérera être de pure propagande. Aujourd’hui Vera chante pour les Yankees et reste en quête de rédemption. Hélas, sa mort, suspecte, bouleverse le fragile équilibre de la maisonnée. Chaque femme a quelque chose à se reprocher et toutes sont soupçonnées.

Les Américains se sont fixés l’objectif de dénazifier la population en la soumettant à des interrogatoires qui se concluent la plupart du temps par la classification en catégorie IV et la mention « suiviste » après la crainte que ce soit pire (Il y avait cinq catégories : Principaux Coupables, Charges Importantes, Charges mineures, Suivistes, Non Concernés, apprend-on p. 143). Il est donc relativement facile d’obtenir le certificat dit Persil (en référence au slogan de cette lessive qui promettait de laver plus blanc que blanc) pour tant d’allemand(es) qui ont regardé sans rien dire alors qu’ils auraient pu empêcher le pire (p. 158).

C’était trop monstrueux dira une femme. Trop humain, répondra le soldat américain chargé de l’interroger. Il ajoutera : On ne peut pas punir tout le monde (p. 384). Ce qui est très bien amené par Inga Vesper c’est que le lecteur ne sait pas si c’est une aberration de plus dans un monde qui persiste à marcher sur la tête ou s’il peut s’en réjouir au motif que les protagonistes ont la vie dure et qu’il faut bien tourner la page.

Beaucoup estiment qu’il ne faut rien oublier. Vous marcherez chaque jour sur des tombes. Vous essayerez sans doute d’enterrer le passé, d’empiler les briques pour bâtir le futur sur le bord de la route, mais les morts … Ils seront toujours là, remontant vers la surface. Ils ne vous quitteront jamais. Vos péchés ne seront jamais pardonnés (p. 123).

Plusieurs hommes interviennent dans l’histoire. Côté allemand, on découvre Ernst Mückler, le mari disparu d’une des colocataires et le redoutable Erich William Fischer, ex-Oberbefehlsleiter du Parti national-socialiste, section Berlin-Centre dont Vera semble avoir été très proche. Côté forces alliées il y a le sergent Coston qui, lui aussi sera victime d’un meurtre, et Billy Keely, le soldat américain tout droit arrivé du fin fond du Kentucky, à l’esprit raciste mais possiblement évoluable.

Il va entraîner le lecteur dans son enquête pour démasquer le ou les coupables des deux meurtres et nous verrons bien s’il existe un lien avec des crimes de guerre. Une carte des lieux aurait facilité la compréhension des déplacements.

Il y a (bien entendu) des passages absolument horribles comme l’était -on le sait- la vie dans les camps. Le plus terrible est de lire que, même après l’armistice, des soldats allemands continuent à en rire. Même quand on est au courant de la vérité tant de souffrance demeure inimaginable. On peut continuer à s’interroger alors que des conflits armés secouent encore le monde.

Les Berlinoises de Inga Vesper, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Thomas Leclere, Éditions de La Martinière

jeudi 26 juin 2025

Premier album de Lone Wolf & Rice Fab

Si vous aimez les voix rauques, le blues, et particulièrement celui qu'on appelle Delta blues alors ne manquez surtout pas le nouvel album éponyme de Lone Wolf & Rice Fab.

Peut-être convient-il de préciser avant de poursuivre qu'il s'agit d'un des premiers styles de blues né dans les années 1920 et tenant son nom du Mississippi Delta, une région en forme de delta du nord-ouest de l'État du Mississippi, entre Vicksburg et Memphis d’où les musiciens étaient originaires.

Le duo est pourtant tout ce qu'il y a de plus nantais mais Thierry Gautier (guitare, voix et stompbox) et Fabrice Leblanc (harmonica) font preuve d’un savoir-faire hors pair qui n'a pas échappé à leur nouveau label, Rock’n’Hall de Dixiefrog (Popa Chubby, Neal Black, Fred Chapellier, …).

Les deux compères partagent une même passion pour le blues acoustique. Lone Wolf chante et joue de la guitare tandis que Rice Fab excelle à l’harmonica. Les connaisseurs vous diront qu'ils leur rappellent l'art de plusieurs grandes figures les plus influenes de l'histoire du blues. A commencer par le guitariste et chanteur Robert Leroy Johnson, (1911-1938) qui n'aura pourtant commencé à enregistrer des disques que deux ans seulement avant sa mort. Qui sait si cela alimenta sa légende ? Toujours est-il qu'il fut une grande source d'inspiration pour des artistes comme Jimi Hendrix, Jimmy Page, Bob Dylan, Brian Jones, Keith Richards ou encore Eric Clapton … et aujourd'hui les deux nantais. Il est classé cinquième meilleur guitariste de tous les temps en 2003 par le magazine Rolling Stone.

On pourrait citer aussi Edward James House, Jr., plus connu sous le nom de Son House, (1902 -1988), remarqué parmi les musiciens du Delta pour son chant et son jeu de guitare très expressifs. Et puis Nehemiah Curtis "Skip" James (1902-1969) chanteur, guitariste, mais aussi pianiste et compositeur.

L’album commence avec Going Down my Dusty Road (piste 1) qui donne bien le ton mais très vite Story of a Man (piste 3) nous propulse directement en arrière et outre atlantique. Chacun des morceaux de cet album est ancré dans le style particulier du Delta Blues et deux d'entre eux font directement référence à ce style musical. Qu’il s’agisse des instruments, de la manière de les jouer, de celle de chanter et du rythme des compositions. Les thèmes abordés sont autant d'hommages à l’esprit de Robert Johnson sans qu’à aucun moment on ne soupçonne un défaut d’inspiration.

La rencontre entre les deux artistes s’est faite pendant le Covid, Les enregistrements se sont ensuite étalés sur 3 ou 4 séances. Le résultat est désormais dans les bacs à portée de main des amateurs de blues, et prêt à séduire ceux qui ne connaissent pas encore le type de musique si particulier du Delta.

Lone Wolf & Rice Fab disponible chez Rock’n’hall / Dixiefrog
Sortie juin 2025

mercredi 25 juin 2025

Un menu orchestré autour des vins du domaine Ousyra

Quand on a la chance de rencontrer un exploitant comme Edward Maitland-Makgill-Crichton et de déguster ses trois cuvées d'exception on a forcément envie d'imaginer un menu qui les mettra en valeur.

La dégustation avait été orchestrée dans la nouvelle boutique Mavrommatis du 260 Rue du Faubourg Saint-Honoré. Je ne reprendrai pas la totalité de l'article que j'ai consacré à l'histoire du domaine, implanté sur l'île de Syros, et sur ses spécificités, mais je résumerai l'essentiel.

Le Serifiotiko blanc sec 100% Serifiotiko (franc de pied) du domaine Ousyra (Ουσύρα) est un vin rare aux arômes frais de citron et poire, avec une minéralité marine.

Le Serifiotiko est un cépage ancien, non greffé et rare. Le nez offre des arômes frais et croquants de zeste de citron, de poire et d’herbes fraîches qui vont jusqu’à m’évoquer le dictame, une plante voisine de l’origan et qui pousse en Crète. La proximité du vignoble avec la mer donne au vin une minéralité et une salinité rafraîchissantes, reflétant pleinement le caractère unique du terroir cycladique.

Ce vin qui incarne le terroir de Syros est parfait pour les fruits de mer mais aussi les plats frais. J'ai choisi de le servir avec une assiette de crudités bayadère
Pour réaliser cette assiette j’ai superposé plusieurs couches de légumes finement découpés en lamelles ou en tranches à la mandoline. J’ai utilisé (mais ce n’est qu’indicatif) : de la salade Trévise (intéressante pour ses couleurs rouge et blanche et pour son amertume), du chou vert râpé (qui suscitera l'étonnement), du fenouil, du concombre, des tomates anciennes rouge, orange et jaune, tous ces ingrédients auront été mélangé délicatement avec une vinaigrette moutarde, puis des lamelles d’oignon confites dans une bonne huile d'olive, par exemple crétoise.
J'ai ponctué la salade d'un petit oignon rouge au vinaigre coupé en quatre, d'un câpre à queue et de trois sortes d'olives, provenant toutes de la boutique Mavrommatis. L’une d’elles, de couleur beige, est fortement pimentée et jouera la surprise.
J’adore la Kalamata, une olive qui bénéficie d’une AOP - Grèce, de couleur presque violette avec une chair ferme et généreuse, une texture lisse et charnue et un goût incomparable. Elles sont récoltées et préparées à Kalamata dans le sud du Péloponnèse. Mais cette fois je lui ai préféré la Volos, originaire des environs de Delphes et du Mont Parnasse. Une olive ronde et charnue à la chair douce et moelleuse.

J’ai ajouté quelques olives-prunes, qui sont de très grosses vertes biologiques d'une variété ancienne et rare cultivée dans la région de Mycènes par un seul producteur.

Ces condiments répondaient aux arômes de citron, de pêche, de coing, voire de pierre mouillée. Avec sa bouche vive et l’élégance de sa salinité ce vin a réussi à convaincre toute la tablée. Les assiettes étaient un peu longues à préparer et à dresser mais ce vin les méritait et a réagi à chaque bouchée.
Le Monemvasia blanc BIO du domaine Ousyra (Ουσύρα) bénéficie d’une Indication Géographique Protégée - IGP Cyclades. C’est un vin frais et généreux aux arômes de fruits et de fleurs d’été, parfait pour accompagner des fruits de mer et des plats légers.

Ce vin blanc bio révèle un nez intense aux arômes de pomme, poire, agrumes et fleurs d'été. En bouche, il est généreux avec une belle matière, une acidité franche et un équilibre harmonieux. Une pointe de minéralité et une légère salinité viennent sublimer l'ensemble, apportant fraîcheur et complexité.
C'est un vin que j'avais déjà goûté il y a quelques années et dont je me souvenais parfaitement. J'ai eu envie de le servir sur du saumon cuit en papillote au fenouil (trois minutes de cuisson au micro-ondes) et à l'aneth, citron, noisettes torréfiées, brocolis vapeur (trois minutes de cuisson suffisent également).

Voilà d'ailleurs une recette ultra rapide et qui ne réchauffera pas votre cuisine. Le plus long est de torréfier les noisettes.
La cuvée 2024 se distingue par ses arômes de poire, de bergamote, d’herbes citronnées. La finale reste minérale mais j’ai remarqué une petite variante fort agréable avec une texture presque cireuse, 

Le Fokiano rosé sec 100% Fokiano (franc de pied, ce qui signifie non greffé) du domaine Ousyra (Ουσύρα) bénéficie d’une Indication Géographique Protégée - IGP Cyclades et c’est un rosé rare qui exprime une authenticité unique.

La cuvée 2023 a été salué pour sa couleur saumonnée, son acidité rafraîchissante et ses délicieuses notes de fruits rouges et d'agrumes. Attention son degré d'alcool est important : 14% vol.

Sa robe saumonée et sa palette aromatique riche mêlant fruits rouges, pêche et agrumes associés à des notes de fleurs séchées en font un vin original et élégant. En bouche, il présente une acidité bien équilibrée et une longueur persistante, idéales pour la gastronomie des Cyclades et bien au-delà.
On le dit parfait pour accompagner des plats de la mer ou des viandes légères. Mais sa qualité primordiale est qu'il peut être un vin de repas, c'est-à-dire un menu entier. J'ai voulu le tenter sur un dessert de fruits, une compotée froide de fruits rouges et pastèque fraiche, et il a fait merveille.
Cave Mavrommatis Passy 70 Avenue Paul Doumer, 75116 Paris
Boutique Mavrommatis Faubourg Saint-Honoré du 260 rue du Fg Saint-Honoré, 75008
Boutique Mavrommatis Censier 47, rue Censier 75005 Paris
Domaine Ousyra  - contact@ousyrawinery.com - tel: +30 697747 3967

Photos prises avec un verre de dégustation Riedel "Chardonnay"

mardi 24 juin 2025

Je suis retournée à Giverny

Giverny est un lieu mythique. C’est là que Claude Monet, qui employait quelque 7 jardiniers à l’année, a composé un jardin à la manière d’une palette, avec une multitude de touches de couleurs.

Et quand on songe qu’aucune plante ne fleurit à longueur d’année il est facile d’imaginer l’énormité du travail pour obtenir un "beau" résultat chaque saison. On parle d’un jardin mais il y en a en réalité deux, le Clos normand qui est en bordure de la maison familiale et le Bassin des Nymphéas ponctué de ponts japonais enjambant le cours d’une petite rivière.

On doit à de multiples personnes le bonheur de visiter ces lieux et j’en trace le portrait en annexe. Je ne vais pas non plus reprendre ici ce que vous pouvez lire partout sur Internet. Je ne donnerai pas de dates ni de chiffres. Je n’ai aucune ambition d’exhaustivité. Je vais juste vous prendre par la main pour vous conduire dans ce merveilleux endroit et provoquer, je l’espère, l’envie de vous y promener tout seul.

Aucune espèce n’est privilégiée parmi les milliers représentées. On remarquera cependant une multitude de coquelicots dont certains semblent rares. Ce n’est pas une surprise. On sait combien le peintre les aimait. Il a créé plusieurs nouvelles variétés. Papaver x moneti a fait l’objet d’un enregistrement en bonne et due forme mais, parce qu’il n’existe pas de conservatoire, cette espèce a désormais disparu.

Il n’y a pas de date idéale pour venir et c’est tant mieux. Sachez juste qu’à partir du 1er novembre le bâtiment est fermé au public, que les tracto-pelles se mettent vite à l’ouvrage et que très vite la terre apparaît dans sa nudité avant d’être mise au repos. Vous ne verrez donc pas de pont japonais sous le givre. Si vous avez envie d’une telle image il vous faudra aller par exemple à l’arboretum de Châtenay-Malabry qui est, lui, ouvert toute l’année mais qui n’a pas la même ambition.

Ici l’objectif est de composer un fouillis organisé m’a expliqué un jardinier. La chose n’est pas très compliquée et vous pouvez appliquer la recette à votre propre jardin, même s’il est modeste. Il faut pour cela y planter des arbustes choisis pour la variété de leurs feuillages. Puis ajouter des vivaces, c’est à dire des plantes qui seront permanentes et qu’il conviendra seulement de "rabattre" de temps en temps comme les aulx, bambous, arnica, capucine (bien qu’on la cultive souvent comme une annuelle), chrysanthèmes, dahlias, hibiscus, hortensias, marguerites, millepertuis, hostas, agapanthes, lavandes, sauges, échinacées, rudbeckias, hémérocalles, alstroemères, anémones du Japon … la liste est très longue.

Pour ma part j’adore les sedums, si beaux à l’automne, l’agastache, les achillées, les géraniums permanents qui satisfont très vite quiconque pense ne pas avoir la main verte, tout comme les escholzias qui se ressèment tout seuls, les asters qui existent dans une immensité de nuances, les gauras, la persicaire (que j'ai beaucoup remarquée à Giverny).

Je n’ai pas pour ambition de vous donner un cours de botanique mais je vous mets en garde. Les plantes sont voyageuses. Certaines vont migrer, et se ressemer toutes seules plus loin comme le gaura. D’autres disparaissent en hiver et repoussent spontanément comme les asters. La rose trémière ne se développera que là où elle l’aura décidé. C’est une précaution de prendre des photos, de faire des croquis ou de placer des repères de manière à ne pas tout détruire au printemps suivant.
Ensuite, et si on cherche à avoir des massifs très fleuris, on plantera chaque année les annuelles dans les interstices. Plusieurs barquettes de petits bégonias rouges ont d'ailleurs été déposées sur une portion de pelouse.

La question que tout le monde pose est de savoir -puisqu’on parle de restauration- si les jardins ont été recréés à l’identique. Il faut avoir conscience que c’est une utopie. Gilbert Vahé, chef jardinier historique de la restauration du domaine, où il a travaillé 43 ans, et que j’ai eu la chance de pouvoir interviewer, m’a confié que la tentative de reconstitution a commencé par une année de sécheresse exceptionnelle et des problèmes d’arrosage qu’il a fallu prendre en compte par la suite.

Les jardiniers du peintre récoltaient les graines pour en effectuer des semis et replanter l’année suivante. Ils opéraient des sélections. Il y a eu ainsi des créations de variétés de cosmos, ce qui est méritoire car la création de nouvelles variétés d’annuelles est très longue et exige beaucoup de place. La création d’hybrides naturels est plus facile pour certaines plantes, comme les iris (je signale d’ailleurs que l’arboretum de Roger de Vilmorin à Verrières-le-Buisson en contient 940 variétés différentes qui offrent toutes des fleurs différentes).

Il serait illusoire de recréer un jardin à l’identique de ce que les yeux des Monet ont pu admirer. Comme je l’ai mentionné plus haut, une variété de pavot a disparu. On a dû aussi se passer de toutes les plantes qu’on ne trouve plus. Et puis quelles fleurs mettre en avant quand on sait que Monet a eu des périodes d’intense collection … par exemple de dahlias et d’iris. La mode a évolué et il faut bien se conformer au système de sélection qui est désormais imposé. Pour le dire simplement, il était facile autrefois d’obtenir des plants plus résistants. Un maraîcher qui faisait pousser des poireaux conservait les plus beaux pour les faire monter en graines et vendait les autres. Au bout de plusieurs années, par sélections successives, il finissait par améliorer la variété. Maintenant, les commerciaux créent des hybrides qui ne peuvent pas se reproduire si bien qu’il faut acheter des graines ou des plants chaque année. C’est pareil pour les fleurs dites annuelles.

On divise les vivaces au moment du labour. Mais on ne récupère pas les annuelles, les bisannuelles ni les bulbes. Tout simplement parce qu’on obtiendrait vite des mélanges qui ne garantiraient pas la couleur d’origine. Les parterres seraient ponctués de taches inopportunes.

On travaille donc "au listing" (de bulbes, vivaces, annuelles) mais ça ne signifie pas pour autant qu’il est facile d’avoir ce qu’on recherche en rachetant chaque année car les producteurs ne tiennent pas toujours parole et que les surprises sont fréquentes.

Regretter ne servirait à rien. Il faut tout miser sur l’organisation de l’espace et viser à recréer l’émotion que Monet avait voulu insuffler. Et c’est finalement la période de la fin de sa vie qui a été retenue pour recomposer les jardins.

Par contre les plantes ne sont pas achetées toutes prêtes à Rungis. Il est primordial de continuer à les produire sur place à partir de graines ou de jeunes plants pour maintenir le savoir-faire, et aussi conserver des plantes qui, sinon, disparaîtraient…. Ce sont ainsi plus de 200 000 plants qui sortent chaque année des serres en dehors des bulbes et de certaines vivaces.

On plante de mai jusqu’au 14 juillet en prélevant dans les serres pour pallier le piétinement. Les jardiniers sont moins dans les jardins en période de production, forcément. De même en automne pour les bisannuelles (semis et repiquage par exemple des œillets de poète et myosotis).
Commençons par le jardin d’eau

On y accède en toute sécurité par un souterrain qui a été créé de toutes pièces. C’est dans cet espace que se trouvent les bambous qui sont eux aussi un éternel sujet de conversation parmi les visiteurs et les guides, mais ils sont bien là depuis toujours. Plantés sous la direction du peintre, ils se sont régénérés d’eux-mêmes en produisant de nouvelles pousses chaque année. On peut donc affirmer qu’ils figurent parmi les rares végétaux encore d’origine, en compagnie des glycines et de quelques vieux arbres. C’est l’endroit où poussent encore les saules qui correspondent le plus au jardin historique mais il n’est pas facile de les maintenir en raison du pourrissement des racines. Par contre les deux ifs qui montent la garde près de la maison d’habitation sont antérieurs à l’arrivée de Claude Monet dans cette propriété.
Les hémérocalles (fleurs oranges) se plaisent le long des berges. Elles sont éphémères mais si abondantes que la plante est constamment en bouquet. Comme indiqué plus haut, on ajoute en ce moment des plantes annuelles. Cela se fait depuis le cours d’eau, à bord d’une barque.

lundi 23 juin 2025

La rentrée littéraire automnale de l’Ecole des loisirs #1 Les albums

C’est un grand plaisir de se rendre au rendez-vous annuel de L’école des loisirs. On sait qu’il nous donnera envie de lire et de faire lire.

Ce matin avait ainsi lieu la présentation de quelques ouvrages qui paraîtront à l’automne chez cet éditeur en compagnie de leurs auteurs … car les petits aussi ont droit à leur rentrée littéraire.

Comme le soulignait fort justement Louis Delas, Directeur Général de l'école des loisirs : si les turbulences du monde ont de graves conséquences, le besoin d’histoires des enfants est immuable car le livre leur offre un espace de grâce et de liberté inimitables.

C’est parce que les albums sont un genre pour lequel j’entretiens une passion depuis plus de trente ans que je commence par eux mais je parlerai d’autres ouvrages dans un prochain article, ici.

Nous étions rassemblés au Solaris (25 rue Boyer 75020 Paris), une salle qui a retrouvé son atmosphère années 20 et dont je rappelle l’histoire en fin d’article.

Susie Morgenstern était invitée pour l’ensemble de son œuvre et pour présenter Addictions anonymes (dont il sera question dans le prochain article). Elle a fait bien davantage en véritable maîtresse de cérémonie, intervenant ponctuellement, toujours avec pertinence et son humour si rafraîchissant, et dans un français impeccable, si joliment chantant.

Son obsession est de faire entrer les enfants dans les librairies et ne manque pas d’idées pour les pousser vers les livres. Elle n’a vu pas hésité à payer ses enfants pour qu’ils lisent quand ils avaient 7-8 ans et se félicite aujourd’hui de sa méthode.

Quel bonheur qu’elle ait accepté de repousser ses vacances pour être parmi nous et avec quelle finesse elle a répondu aux questions de Gaëlle Moreno (ci contre) la responsable de la promotion de la lecture chez cet éditeur avant de se soumettre à l’exercice du portrait composé par Maya Michalon, animatrice littéraire mais aussi éditrice à l’Ecole des loisirs.
C’était sans doute la meilleure personne pour le faire quand nous avons appris qu’elle connaît personnellement l’auteure depuis l’âge de 11 ans … première romancière qu'elle rencontra en chair et en chair comme elle le lui rappela avec tendresse.

C'est en chaussant des lunettes aux verres en forme de coeur qu'elle nous a tracé les grandes étapes et les moments les plus drôles du parcours de cette auteure majeure qui a publié plus de 160 livres, tous éditeurs confondus. Je vous renvoie au petit livret Mon écrivain préféré qui lui est consacré.

Ces lunettes sont tout à fait indissociables de Susie qui les a adoptées comme fétiche depuis l'âge de 13 ans, parce qu'en raison d'une très forte myopie il  lui a fallu accepter de porter des lunettes qui ne soient pas tristes. On retrouve souvent ce motif du coeur sur les couvertures de ses romans. Elle pense que ça vient peut-être de la Saint-Valentin qui est une immense fête aux Etats-unis depuis l'école primaire, bien davantage que Noël. Tout y est en forme de coeur et dans sa maison Susie tout est en forme de coeur aussi.
Elle se souvient de son bonheur d'aller à l'école, une batte de baseball dans le cartable. A l'école on n'apprenait rienmais dans la joie dit Maya avec l'accent. Susie confirme que si en France on quitte ses enfants en leur disant "Travaille bien" dans son pays c'est un tout autre discours : "Have fun" qui alimente une injonction au bonheur comme les Dix commandements. Sauf que Be happy a des effets néfastes au final.

Elle admet une gourmandise sans vraie limite, mais elle se justifie en soulignant qu'elle nourrit quelques-uns de ses livres.

Elle a déjà co-écrit avec ses filles et une petite-fille. Elle ambitionne un grand projet de roman avec son petit-fils Sacha qui pourrait s'intituler La retraite à treize ans … à condition que l'enfant arrête d'inventer de nouveaux personnages.

Je vous le conseille : écrivez avec vos enfants, votre mari. Vous entrerez dans leur tête (sous-entendu bien mieux qu'en tentant de leur soutirer des confidences).
Susie s’est enthousiasmée pour Audrey Poussier, autrice-illustratrice invitée pour son album à paraître le 20 août, Le jeu du plus qu’un jour dont elle a découvert l’objet-livre ce matin. Elle a souligné l’efficacité de la mise en scène de l’autrice pour inciter à tourner les pages (et à revenir en arrière) et qui apparaissait moins avec un fichier numérique. Elle a complimenté Audrey, la qualifiant de David Hockney de l’illustration. 

Interviewée par Morgane Vasta, Audrey a confié que l’ouvrage a réclamé deux ans d’exploration et de recherche. Il est, à l’instar de Trois chatons dans la nuit, illustré à la peinture à l’huile … après avoir employé l’aquarelle et les encres pendant vingt ans. Le changement de médium a réduit le nombre de dessins préparatoires. 
Le point de départ du livre fut un imagier pour célébrer le plaisir de peindre des objets du quotidien porteurs d’une forte charge affective. C’est devenu un jeu semblable à celui auquel elle jouait avec le catalogue de la Redoute : tu dois choisir un seul article par page. 

Le jeu du plus qu’un jour fait dialoguer deux enfants qui construisent les règles au fur et à mesure. Ils apprivoisent ainsi la disparition de la présence avec un côté vivant et joyeux qui contrebalance la tristesse de prochain départ.

Chaque illustration fonctionne comme une matière morte dans un musée mais qui aurait une âme. Susie nous a fait remarquer que dans son enfance (et dans la nôtre aussi si nous sommes peu ou prou de la même génération) on ne prenait pas des photos à tour de bras si bien que nos chambres défilent mentalement dans notre tête à la lecture de cet album. est comme l'a conseillé si justement la grand-mère de Gaëlle à sa petite fille, tes meilleures photos sont celles que tu as dans la tête.

On pourra transposer le principe dans une cabane, au marché, dans un magasin, à l’école. J’ai adoré cet album qui a restauré mes propres souvenirs d’enfance. Mes grands-parents n’avaient aps beaucoup d’argent et nous faisions du lèche-vitrines le dimanche, mon grand-père et moi, quand les boutiques étaient fermées. Nous ne dépensions rien mais nous revenions riches de tout ce qu’on avait retenu l’un pour l’autre dans chaque magasin. La règle était de se limiter à un objet, un seul … et le choix pouvait durer plusieurs minutes. Ce n’était même pas frustrant tant il est vrai que le rêve est un emprunt fait au bonheur.

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