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mercredi 3 juin 2020

La femme révélée de Gaëlle Nohant chez Grasset

J'avais très envie de lire La femme révélée, non seulement parce que j'apprécie Gaëlle Nohant, qui nous avait offert la magnifique Légende d'un dormeur éveillé, mais aussi en raison du thème principal de son nouveau roman. La disparition est en effet un sujet que je porte depuis 1997.

J'ai dévoré ce livre en faisant preuve d'une certaine addiction. l'histoire est très bien construite, écrite au cordeau, documentée sans failles (je n'ai pas vérifié mais ça se sent). C'est du Gaëlle Nohant ! Et je  comprends tout à fait le succès de ce roman.
Paris, 1950. Eliza Donneley se cache sous un nom d’emprunt dans un hôtel miteux. Elle a abandonné brusquement une vie dorée à Chicago, un mari fortuné et un enfant chéri, emportant quelques affaires, son Rolleiflex et la photo de son petit garçon. Pourquoi la jeune femme s’est-elle enfuie au risque de tout perdre  ?

Vite dépouillée de toutes ressources, désorientée, seule dans une ville inconnue, Eliza devenue Violet doit se réinventer. Au fil des rencontres, elle trouve un job de garde d’enfants et part à la découverte d’un Paris où la grisaille de l’après-guerre s’éclaire d’un désir de vie retrouvé, au son des clubs de jazz de Saint-Germain-des-Prés. A travers l’objectif de son appareil photo, Violet apprivoise la ville, saisit l’humanité des humbles et des invisibles.

Dans cette vie précaire et encombrée de secrets, elle se découvre des forces et une liberté nouvelle, tisse des amitiés profondes et se laisse traverser par le souffle d’une passion amoureuse.
Mais comment vivre traquée, déchirée par le manque de son fils et la douleur de l’exil ? Comment apaiser les terreurs qui l’ont poussée à fuir son pays et les siens ?  Et comment, surtout, se pardonner d’être partie  ?
Vingt ans plus tard, au printemps 1968, Violet peut enfin revenir à Chicago. Elle retrouve une ville chauffée à blanc par le mouvement des droits civiques, l’opposition à la guerre du Vietnam et l’assassinat de Martin Luther King. Partie à la recherche de son fils, elle est entraînée au plus près des émeutes qui font rage au cœur de la cité. Une fois encore, Violet prend tous les risques et suit avec détermination son destin, quels que soient les sacrifices.
Au fil du chemin, elle aura gagné sa liberté, le droit de vivre en artiste et en accord avec ses convictions. Et, peut-être, la possibilité d’apaiser les blessures du passé. Aucun lecteur ne pourra oublier Violet-Eliza, héroïne en route vers la modernité, vibrant à chaque page d’une troublante intensité, habitée par la grâce d’une écriture ample et sensible.
On pense évidemment à Une femme en contre-jourGaëlle Josse racontait la vie si tragique de la photographe Vivian Maier. Elles ont en commun d'être tiraillées entre les Etats-Unis et la France, de garder des enfants pour gagner de quoi vivre et d'avoir photographié Chicago à la même époque, toutes deux avec un Rolleiflex.

La différence majeure est d'avoir écrit une totale oeuvre de fiction, tout en s'appuyant sur une réalité historique véridique. A ce titre on pourrait presque ranger La femme révélée parmi les romans historiques. et féministes, cela va de soi.
Le portrait que Gaëlle Nohant fait de cette femme courageuse est saisissant. Elle parvient à justifier pourquoi elle a choisi de se sauver sans emmener son fils parce que c'était trop risqué. Elle lui laisse un message dans une cachette, lui promettant de revenir. Elle confie au lecteur à plusieurs reprises combien son enfant lui manque à en hurler (p. 52).

On assiste à la progression de ce qu'on est tenté de qualifier de résurrection, malgré plusieurs embûches qui confèrent presque un aspect roman policier à cette histoire.

L'ancrage historique et sociologique est passionnante, surtout en ce moment (même si c'est un hasard) où la question raciale revient sur le devant de la scène.

La spéculation à laquelle se livrent les riches américains est proprement atroce. L'amoralité est de mise. On le sait confusément mais on en prend totalement conscience en découvrant les faits que rapporte l'auteure et qui, eux, n'appartiennent pas à la fiction.

Le père d'Eliza est sociologue. Il lui a fait prendre conscience de la situation alors qu'elle était encore enfant : Tant qu'on forcera ces gens à s'entasser sur quelques miles et qu'on leur déniera le droit de vivre où ils veulent, d'avoir les mêmes opportunités que les autres ... ils voudront échapper à leur prison par tous les moyens, et peu importe s'il faut voler ou tuer pour y parvenir. C'est humain d'aspirer à la liberté, de ne pas supporter la cage (p. 28).

Devenue adulte elle qualifiera Gone With the wind, tant décrié aujourd'hui, de vision romantique du Sud esclavagiste (p. 59).

La jeune femme deviendra photographe, autrement dit témoin de son temps, aussi bien des prostituées parisiennes que des militants pour les droits civiques dans des manifestations violemment réprimées. C'est toute l'histoire de l'Amérique des années 50 à 70 que l'on revit avec ses yeux. Les descriptions sont précises et techniques. On y est et on frémit de ce qu'on apprend ... ou redécouvre, ensemble disant que rien n'a vraiment évolué positivement et que le pays reste un poudrière.

On peut lire à travers les lignes un autre message, moins politique, plus féministe, célébrant la résilience d'une femme maltraitée qui finira par prendre sa revanche sur la vie. mais à quel prix !

La femme révélée de Gaëlle Nohant chez Grasset, en librairie depuis le 2 janvier 2020

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