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samedi 5 juillet 2025

La Papeterie du bonheur de Sally Page

On m’avait proposé au mois de juin de partager un moment avec l'autrice britannique Sally Page pour discuter de son second roman La papeterie du bonheur. J’avais décliné l’offre en raison du volume du livre que je n’avais pas le temps de lire en 24 heures. Mais j’avais promis de m’y plonger durant l’été.

J’ai effectivement trouvé qu’il s’étirait un peu en longueur malgré l’usage de titres à chaque chapitre pour donner envie de s’y plonger. L’usage excessif de la parenthèse encourage par contre l’auteure à multiplier les digressions et il faut un certain temps au lecteur pour y voir une forme d’humour. Elle ne craint pas les répétitions et je n’ai pas compté l’usage de la formule Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place qui fait office de ritournelle. J’estimais qu’il aurait, de mon point de vue, gagné à être densifié quoique nous sommes en été et qu’on ne compte alors pas son temps … (cela étant l’action se passe en hiver).

J’ai un peu changé d’avis en refermant l’ouvrage, façon de parler puisque je l’ai lu en format numérique (ce qui explique aussi pour partie mon opinion à propos de la longueur parce que l’Ipad n’est pas aussi confortable que le format papier, et ne se prête pas à lecture sur une plage).

C’est très sincèrement un roman que je recommande et dont je ne dirais pas qu’il s’agit d’une littérature feel-good mais think-good, ce qui est bien plus.
Pour surmonter une rupture compliquée, Liz, 39 ans, accepte de tenir pour quelque temps la papeterie de son oncle Wilbur, qui vient d’être hospitalisé. Peu à peu, la jeune femme rajeunit la gamme et propose des articles à son image. Elle découvre qu’elle aime échanger avec les clients qui souvent, pendant qu’ils essaient un stylo-plume fantaisie ou choisissent un carnet coloré, se laissent aller à des confidences.

Ses rencontres avec Ruth, une pasteure cachant une blessure à fleur de peau, Malcolm, un septuagénaire déprimé qui n’arrive pas à achever un roman sur les fantômes peuplant le cimetière d’Highgate, et Erik, l’opticien du quartier, vont lui redonner la joie de vivre.
Nous sommes dans un univers familier puisque l’action se déroule à notre époque, dans le nord de Londres, dans le secteur de Highgate et de Hampstead que, ne connaissant absolument pas je ne risque pas de remarquer que l’auteure a pris quelques libertés en inventant des ruelles et des magasins qui n’existent pas, et je la crois bien volontiers quand elle affirme être restée fidèle à l’atmosphère du quartier (p. 422).

Je lui ai trouvé un petit quelque chose d’exotique car, on a beau dire, les anglais sont en décalage par rapport à nous (ou l’inverse, tout étant question de point de vue). La construction de l’histoire dégage quelque chose de désuet, ce que le titre laissait envisager. Comme si les horloges s’étaient arrêtées dans cette minuscule boutique qui sert de refuge à Elizabeth, le temps de guérir d’un chagrin d’amour tenace. Et par la même occasion de rendre service à la famille en assurant l’intérim d’un oncle défaillant et un rôle social dans cette petit boutique de quartier.

J’aime autant vous prévenir. Il est préférable que l’idée de vous balader dans un cimetière ne vous rebute pas. Vous allez visiter plusieurs fois celui de Highgate à propos duquel je n’avais pas la moindre idée. Il abrite pourtant les tombes de personnes illustres comme Karl Marx, la poétesse George Eliot (1819-1880), et on peut y voir le monument funéraire surplombé d’un éléphant de marbre pour le fondateur du premier zoo d’Angleterre (p. 170).

Après cette lecture vous disposerez d’un truc infaillible pour décourager le démarchage téléphonique qui tourne au harcèlement en suivant le stratagème mis au point par Ruth. Mais il faut surtout le lire pour la sincérité qui émane des dialogues. Bien sûr je sais qu’il s’agit d’une fiction mais on a de sérieuses leçons à y puiser.

Ce roman interroge sur une pléiade de sentiments, filiaux, amoureux (et son corollaire, le chagrin d’amour, censé ne pas s’éterniser) … et sur l’amitié qui a une place primordiale dans le déroulement des évènements et la progression de la résolution de quelques énigmes, soigneusement entretenues au fil des pages, même si les rebondissements ne sont pas excessifs.

Il ne fait pas de doute que Sally Page est une excellente observatrice, ce qui nous offre une fine analyse de certains de nos comportements. Lucy se rend compte que lorsque les gens se mettent à écrire avec des stylos-plumes, ils se mettent aussi à lui raconter des histoires (p. 109).

Lorsque Liz interroge son amie à propos de l’alchimie entre deux êtres et du temps qu’elle pourrait durer, Lucy lui sourit. — Eh bien, je crois que c’est un peu comme avec Dieu : il ne s’agit pas d’une décision consciente. Soit tu y crois, soit tu n’y crois pas (p. 281). Cette réponse est la sagesse même.

Et j’adore la citation empruntée à George Eliot : « Il n’est jamais trop tard pour être ce que l’on aurait pu être. » p. 302

Par contre je me suis impatientée de savoir pourquoi les pasteurs et les cimetières allaient de pair … comme le sang, les excréments et le vomi . Et il fallut attendre le chapitre 50 pour connaitre enfin le secret de la fuite de la révérende Ruth.

Je n’ai pas compris pourquoi la traductrice a modifié le texte original. En effet on lit que pour tester un stylo-plume certains écrivent « Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume », parce que cette phrase comporte toutes les lettres de l’alphabet (p. 207). C’est exact, … sauf que le roman ayant été écrit en anglais je parierais que ce n’est pas la phrase que les anglo-saxons emploient.

Et quand Malcolm se lance dans une démonstration de mashed potato (p. 303) il me semble que cette annonce aurait mérité une note de bas de page. Je dois être trop jeune pour savoir de quelle danse il s’agit. J’ai appris depuis qu’elle a été popularisée par Johnny Halliday, dans les années 60, et a rivalisé avec le twist. Les bras sont quasiment au repos alors qu’on agite surtout les jambes latéralement.

Je me suis amusée des descriptions détaillées des pulls de Noël portés par les personnages (ce vêtement est beaucoup moins essentiel en France qu’en Angleterre bien qu’il ait pris de l’importance depuis deux-trois ans) et de nous répéter plusieurs fois que Malcom révèle à Ruth sa recette de cocktail de Noël, dont nous, lecteurs, ignoreront le moindre ingrédient. C’est un peu agaçant. Enfin j’ai été choquée que cette famille réveillonne en associant fromage et vin rouge (p. 364). Je pourrais -rien que pour cela- demander à l’éditeur de prévenir l’auteure de modifier son habitude. Tous les vins blancs s’accordent avec les fromages mais c’est rarement possible avec un rouge. Évidemment avec modération quelle que soit la couleur. Par contre je ne m’oppose pas à ce qu’on remercier les dieux (vous remarquerez le pluriel) de temps en temps, en versant du vin rouge sur la terre, ni qu’elle croit qu’un renard puisse venir rendre visite à un homme en souffrance, et je reconnais que dire bonne nuit tous les soirs à son oncle décédé, est une certaine manière de rester connecter avec lui.

Diplômée d’histoire, Sally Page a travaillé à Londres dans la publicité avant de devenir fleuriste. Les histoires que lui racontaient ses clients ont donné naissance à La Collectionneuse de secrets (L’Archipel, 2024), son premier roman vendu à plus de 500 000 exemplaires au Royaume-Uni, traduit dans vingt-sept pays et venant de paraître en poche aux éditions Pocket.

La papeterie du bonheur de Sally Pqge, traduit de l’anglais par Maryline Beury, Archipel, en librairie depuis avril 2025
Lu en version numérique de 432 pages
Ce roman a été publié sous le titre The Book of Beginnings par HarperCollins, Londres, en 2023 

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