On m'avait prévenue : ce livre est un choc, sans m'expliquer ce que je risquais de découvrir, sans doute pour ménager l'effet de surprise tout en me laissant entendre que j'allais forcément apprécier. Le titre ne m'avait pas davantage éclairée. Cette phrase que Marguerite Duras aurait pu écrire, L'abandon du mâle en milieu hostile, était assez énigmatique.
Je n'ai pas eu besoin d'atteindre la 225ème page pour la trouver très juste. Presque autant que le visuel de couverture. Le mâle, c'est le personnage principal, un ado inhibé, amoureux transi d'une fille surdouée, mais rebelle, ayant adopté la punk attitude. Le garçon va grandir et gagner le coeur de la chrysalide. La découverte de l'amour s'accompagnera d'un changement radical de point de vue. Il va devenir tolérant, compréhensif ... dans une forme d'abandon de ses convictions sociales et politiques.
Quant au milieu hostile c'est d'abord l'univers de la jeune fille avant d'être la métaphore d'autre chose mais je ne vais pas tout expliquer. Le roman mérite qu'on le lise dans la continuité.
« Je te haïssais. Avec tes cheveux verts, sales, tu représentais tout ce que j’exécrais alors : le désordre, le mauvais goût, l’improductive et vaine révolte juvénile. Tu malmenais ta féminité dans des hardes trouées, des guenilles comme jetées au hasard sur ton corps. Si tu avais été ma sœur, papa t’aurait reniée. J’aurais voulu te voir traînée par les cheveux hors des salles, sous les injures, et rejetée au loin, loin de mon monde ; j’aurais souhaité te voir lavée à grande eau dans la cour et tes nippes brûlées dans un grand autodafé ; j’aurais aimé... Mais rien. Rien que tolérance démocratique et muette réprobation. J’enrageais. »
Le garçon pantouflard va se laisser bousculer par cette intellectuelle pour qui le chausson est l'ennemi de l'aventure (p.58), la vaisselle une perte de temps (p.76). L'amour est aveugle. Il sera tant absorbé par sa passion qu'il ne s'attardera pas sur les détails qui auraient du l'alerter.
Le roman est facile à lire, même s'il est truffé de mots que l'on n'a pas l'occasion d'employer au quotidien. J'ignorais que l'ataraxie était synonyme de quiétude. ce n'est pas un hasard si je vous donne cet exemple parce que la paix sera de courte durée. Le sujet est tragique mais l'auteur le traite avec une dose d'humour colossale qui nous garantit un fort capital de sympathie au héros.
Si tu as été la cause de mes urticantes interrogations sur moi-même, ta présence était le baume qui en apaisait les morsures - oui le doute mord (p.87).
Elle paraissait forte, équilibrée. Il se sentait fragile. Il n'a pas cherché à analyser des situations qu'il reconnait anormales a posteriori. Excès de confiance ou aveuglement ? Erwan Larher fait une démonstration magistrale dans un style qui tient autant de l'aveu que du plaidoyer.
En plaçant le couple au coeur de l'actualité sociale et politique des années 80 il nous fait oublier qu'il s'agit d'un roman. Le lecteur se prend au jeu ... et abandonne toute volonté de juger. Avec Erwan Larher le bien et le mal ne relèvent pas forcément de l'évidence.
Auteur de deux premiers romans remarqués, Autogenèse et Qu’avez-vous fait de moi ?, il est également parolier et dramaturge.
Erwan Larher, L'abandon du mâle en milieu hostile, Plon , 2013
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