J'ai refermé le troisième roman de Sophie Van der Linden avec le sentiment d'avoir effectué un nouveau voyage. Après la Chine (La Fabrique du monde, 2013) et l'Ossétie du Nord (L'Incertitude de l'aube, 2014), me voilà dans un autre temps et dans un autre monde, quelque part sur une côte française.
L'auteure ne situe pas exactement l'époque, ni les lieux où se déroule l'action (certains diraient la non-action et pourtant il n'y a aucun temps mort). On nous dit tout de même qu'Henri arrive à R. au début du siècle dernier. Il prendra le bateau (un sloup, qui est un voilier à un mât, avec un seul foc à l'avant) pour se rendre à l'ile de B. où les maisons sont couvertes d'ardoises. Nous n'en saurons pas plus et peu importe. A chacun de se faire le film de l'histoire.
Je sais pertinemment que ce n'est pas l'endroit imaginé par Sophie Van der Linden, mais j'ai situé le roman à Belle-Ile parce que je connais cette île, et que j'y ai des souvenirs qui m'ont servi de support à la déambulation du personnage.
Je n'étais pas préoccupée de savoir si mon imagination était raccord ou pas. De terre et de mer est un livre qui se lit (se déguste) assez vite parce qu'il est court mais qui laisse un souvenir intense ... comme la mer qui, en se retirant vous accorde une cohorte de jolis coquillages et de bois flotté.
On saura d'Henri qu'il est un artiste, qu'il a effectué un service militaire plus long que prévu, que malheureusement il va probablement enchainer avec une mobilisation pour la Première Guerre mondiale et qu'il vient rendre visite à Youna Talhouet, une femme dont il ne comprend pas qu'elle n'ait pas répondu à ses lettres.
Il passera 24 heures dans un paysage envoutant qui d'une certaine manière fournit des réponses à ses interrogations existentielles. Il croisera une galerie de personnages très typés et singuliers. Et bien sûr il reverra la jeune femme ... L'atmosphère est impressionniste, tout le monde s'accordera à le pointer. Mais il y a aussi une qualité cinématographique à la Jacques Tati pour le talent de l'auteure à faire exister les traits de caractères insolites de ses personnages.
Je n'ai pas lâché Henri d'une semelle, le sentant un peu perdu ... et pourtant déterminé. Il faut une dose certaine de courage pour oser venir toquer à la porte d'un grand amour et quêter une explication. Il ne trouvera peut-être pas la réponse attendue mais ce bref séjour l'aura changé profondément. Son regard sur le paysage est radicalement modifié. Le ciel lui apparait désormais au premier plan (p. 109) et ce changement de point de vue, même s'il est justifié artistiquement puisque Henri est graveur, est largement métaphorique de modifications plus profondes sur la manière dont il va vivre.
Nous aussi avons une leçon à retenir à l'instar de celle qu'un chinois donne à Henri au début du livre (p. 53) : dans la peinture chinoise, le spectateur n'est pas extérieur au tableau, (...) on n'observe pas le paysage, on y séjourne, on s'y promène, on y voisine ... et c'est exactement ce que Sophie Van der Linden parvient à provoquer.
Spécialiste de littérature jeunesse, rédactrice en chef depuis 2007 de la revue semestrielle qu'elle a créé, Hors-Cadre(s), formatrice, conférencière, et enseignante, Sophie Van der Linden ne s'est jamais autant affirmée dans le domaine de la littérature pour adultes.
De terre et de mer de Sophie Van der Linden, chez Buchet-Chastel, Sortie en librairie le 25 aout 2016
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