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jeudi 20 avril 2023

Anima de Noémie Goudal et Maëlle Poésy

Je n’avais pas pu voir Anima au dernier festival d’Avignon, en juillet 2022, car la jauge de ce spectacle était réduite au regard du nombre de demandes. La déception était atténuée par l’espoir d’assister à une représentation sur Antony puisque Maëlle Poésy étant artiste associée à L’Azimut, Anima serait programmé au Théâtre Firmin Gémier Patrick Devedjian d’Antony (92).

J’étais prévenue. C’est un spectacle segmentant qu’un spectateur sur deux plébiscite ou horripile. A moins de rassembler un public averti comme celui qui fut tant enthousiaste fin mars au Centre Pompidou.

J’ignorais si j’allais adorer ou détester mais rien ne pouvait tempérer mon intention. Surtout avec la collaboration artistique des deux Chloé, Chloé Moglia qui m’avait subjuguée lors de la première représentation qui eut lieu dans ce théâtre Devedjan et bien sûr Chloé Thévenin dont la musique m’avait tant touchée lors de l’inauguration de la Scala Provence, pendant le sus-dit festival.

Chacun s’arrête sur ce qui le touche. Certains auront entendu des cigales. J’ai d’emblée reconnu les cris des singes hurleurs qui m’avaient impressionnée dans la cité maya de Calakmul, au sud du Mexique. C’est vous dire aussi combien les palmiers me sont habituels.

Si Maëlle Poésy a tendance à préférer que le spectacle soit donné en extérieur je dois dire que la salle dans laquelle nous sommes entrés s’y prêtait bien. Le fait de ne pas voir le ciel instaure une impression de boite noire sur laquelle un couvercle aurait été posé (je vérifierai plusieurs fois, mais sans rien percevoir de tel), comme une cinquième dimension. Je n’avais jamais pensé jusque là que le plafond pouvait constituer une sorte de « cinquième mur ». Le dispositif est saisissant même s’il aurait été préférable de retirer les fauteuils des deux premiers rangs afin de ne pas avoir la sensation d’avoir le nez dans l’image centrale.

On découvre, sur trois écrans géants, un film (des films ?) de la photographe et vidéaste Noémie Goudal et de la metteuse en scène Maëlle Poésy, tournés spécialement à mi-chemin entre réalité et fiction pour cette création et inspirés de la paléo-climatologie, une discipline qui étudie les transformations de notre planète à travers les âges. Assise au second rang, ma nuque ne cessa de faire des allers-retours entre jardin et cour pour saisir un changement infime que très vite j’ai remarqué, au rythme d’une respiration.
J’apprécie de ne pas souffrir du souffle glacial du mistral comme il arrive qu’il balaie Avignon et aussi sans les particules de cendre qui se sont abattues l’été dernier sur la cour de l’hôtel de Montfaucon où est installée la Collection Lambert lors des épisodes incendiaires qui ont sévi dans les collines voisines, et qui, sans doute, ont dû renforcer l’effet de certains moments.
L’oreille a été alertée en tout premier, mais la vue est presque aussitôt éblouie. Je suis saisie par la beauté des images, bien plus lumineuses que sur la brochure de saison. Lorsque j’en ferai part à une collaboratrice de l’artiste j’aurai une réponse évidente mais sidérante : ah oui, elle n’est pas en mouvement (sous-entendu le spectacle n’est que mouvement et un cliché ne peut que difficilement rendre cet effet, même quand on s’appelle Christophe Raynaud de Lage et qu’on est un des meilleurs photographes de plateau de notre époque).
Les photos du spectacle ne supportent pas d’être vues en format timbre-poste, alors j’ai choisi mes propres images, à l’exception de ce triptyque qu’il a saisi pendant le festival.

On s’habitue vite aux passages des techniciens sur le plateau ou apparaissant dans le film qui nous est projeté, assemblant un puzzle de bandes de papier découpés et de cadres. On tresse. On tisse. Il se passe toujours quelque chose à l’instar d’un feu de cheminée dont les flammes captivent ou du mouvement fascinant des vagues de l’océan.
Au début, notre cerveau établit des associations d’idées avec des moments qui furent familiers, comme un feu d’artifices ou un paysage (réel) de palmiers. Il faut quelques minutes pour lâcher prise et accueillir ce qui nous est proposé. La proposition musicale de Chloé Thévenin nous y aide.

La jeune femme est DJ dans les clubs et festivals, mais elle travaille aussi en studio à construire des mondes, des atmosphères, à faire des ponts avec d’autres cultures que celle du clubbing. Productrice d’albums, sortes d’autoportraits électroniques, Chloé signe également des BO de films, des musiques pour la danse ou l’habillage sonore de France Culture.
Anima nous offre trois visions d’une même réalité, dans une temporalité légèrement décalée. Quand notre œil s’est habitué à une vue d’ensemble, la caméra se focalise sur un gros plan. Le feu se déclare, décolle des pans entiers du décor tandis que les percussions résonnent et nous traversent le corps. Je sens nettement la chaleur. La fumée me pique la gorge. Je ne suis pas folle. Je sais parfaitement que je suis au théâtre mais c’est ce que je ressens et j’accepte pleinement de vivre ces émotions qui n’existent que par la perception que j’en ai (j’apprendrai plus tard que je n’ai pas été la seule à vivre cette illusion, non pas d’optique, mais de sensation). Quelle force, surtout comparativement à la promesse du spectacle auquel j’avais assisté la veille ! Ici la « mécanique des émotions » fonctionne à fond.

Soudain, alors que jusque là mon attention s’était fixée sur deux images, c’est sur la troisième que je remarque une modification. Anima nous apprend à regarder, écouter, ressentir. Même lorsqu’on croit qu’il ne se passe rien, c’est faux. Le mouvement est constant.

Le minéral a pris le dessus sur la forêt primaire, détruite par le feu. Aucune des images n’est figée en quelque sorte. Je pense au rivage oléronnais qui recule de semaine en semaine, grignoté par les marées successives et dont le déplacement saute aux yeux à chacun de mes retours sur l’île.
Même la glace prend feu. L’eau coule sous la glace. Elle glisse vraiment sur le panneau de gauche et des lambeaux se détachent, tombent en roulant comme des morceaux de papier peint qu’on arracherait. Par comparaison, le panneau de droite semble factice. La création tient à la fois de l’installation d’art contemporain et de la performance. C’est ce domaine dans lequel intervient Chloé Moglia au cours de la seconde partie.

Chloé Moglia a créé une chorégraphie aérienne en jouant, comme à son habitude, avec le corps, la lenteur, les lois de la physique et le vertige  Ce soir, c’est l’équilibriste Mathilde Van Volsem, qui sera en suspension au cœur du dispositif … après avoir été un moment régisseuse de plateau, le temps de rembobiner la toile, d’allumer les néons, et de se métamorphoser peu à peu en performeuse. Ô temps, suspends ton vol ! Nous voici dans une autre temporalité, humaine et néanmoins ralentie.

Tout est lié entre photo, équilibre et musique. Le résultat est fascinant et totalement passionnant. Aussi intelligent que Ce jour-là, l’album sans paroles (mais pas sans histoire) du grand auteur-illustrateur japonais Mitsumasa Anno dont le déchiffrement demande un effort d’attention.

Nous remarquons qu’elle ferme les yeux et on se demande ce qu’alors elle ressent. Les images semblent un instant se figer tandis qu’elle marche dans l’espace. C’est un travail sur le cadre dirait un psy.

Quand ça s’arrête je ressens de la déception. Le public applaudit, chaleureusement, mais personne ne se lève pour quitter la salle. Comme si nous espérions tous que les choses reprennent, se poursuivent. Personnellement, et c’est rarissime, je n’ai pas vu le temps passer.

Je m’interroge déjà sur ce que Maëlle Poésy présentera la prochaine fois avec Cosmos sur lequel elle travaille avec Kévin Keiss, ce dramaturge qui m’a déçue hier. Mais je suis volontiers prête à ne pas avoir d’idée toute faite.

Anima, performance-installation conçue et réalisée par Noémie Goudal et Maëlle Poésy
A partir de l’œuvre Post Atlantica de Noémie Goudal
Ecriture de la suspension et sa réalisation Chloé Moglia
Musique originale composée et interprétée par Chloé Thévenin
Scénographie Hélène Jourdan
Lumières Mathilde Chamoux
Film réalisé par Noémie Goudal et Maëlle Poésy 
Avec les apparitions d’Alexis Allemand, Aménophis Boum Make, Georges Olivier, Claude Guillouard, Maëlle Poésy, Noémie Goudal, Thomas Piffaut, Graciela Walinsky
Vue au Théâtre Firmin Gémier Patrick Devedjian, la salle de l’Azimut située à Anrony (92)
La photo qui n’est pas logotypée A bride abattue est de © Christophe Raynaud de Lage

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