Dans le hall du théâtre, rebaptisé Théâtre Actuel la Bruyère, une vitrine exhibe 4 statuettes (sans doute choisies un peu au hasard des nombreuses qui pourraient y prendre place) dont la plus ancienne est le Molière 1990 de la décentralisation. On y reconnaît les photos récentes de la remise du Molière de la révélation féminine en 2022 à Salomé Villiers pour son rôle dans le Montespan.
J’avais vu le film réalisé par Eric Bu d'après le scénario de Gilles Dyrek, avec Sophie Forte et Hervé Dubourjal, Jean-Gilles Barbier, Camille Bardery, Amandine Bardotte, Lauriane Escaffre, Ariane Gardel, Benjamin Alazraki, Yvonnick Muller…
Je me souvenais des difficultés de diffusion liées au contexte du premier confinement dû au Covid. Et surtout aussi de l'intelligence du scénario. Connaissant Eric Bu, je n'avais pas de doute sur la transposition sur une scène de théâtre mais je n’avais pas pu le caser dans mon emploi du temps avignonnais de l’été 2022. Sa présence à Paris offrait une seconde chance et je n'ai pas été déçue le moins du monde.
On retrouve l’atmosphère présente dans le film avec l’utilisation d’images projetées, avec la présence de sa musique si particulière et enthousiasmante (les instruments qui figurent à jardin ne sont pas là pour faire office de décoration), et avec la quasi-totalité de la distribution du film sur scène.
Il y a un côté beckettien dans cette pièce. Au début, on attend. La chanteuse aussi. Elle attendrait le jour et la nuit … ton retour. On connait bien la chanson. On l'écoute en appréciant la guitare manouche sans forcément faire le lien avec Richard …
Sur la scène, une grande table autour de laquelle les comédiens prennent place l'un après l'autre et s'assoient dans une pose figée. Arrêt sur image.
Le public, impatient, finit par applaudir. Dalida reprend la même chanson. Le spectacle peut se poursuivre.
On nous dit que c'est une belle journée d'été. Chacun y va de ses petits mots. On sent l’ambiance un peu tendue, comme s’ils ne se connaissaient pas vraiment, ce qui est le cas puisque le plus âgé, Pierre Henri, condamné par la médecine, a engagé des comédiens pour remplacer ceux qui ne sont plus là et pour l’aider à régler ses conflits avec eux. Il s’est donné une semaine dans sa maison de campagne pour tenter de se réconcilier avec chacun. Mais cette expérience l’entraîne bien au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer…
Comme l’a très bien compris l’adaptateur, Gilles Dyrek, c’est une pièce sur des comédiens en prise avec la réalité d’un homme qui ne joue pas, une situation qui déplace en permanence la frontière si ténue entre jeu et réalité, entre vérité et mensonge.
De lui, j’avais vu Venise sous la neige, qui fut un énorme (et mérité) succès, qui a ensuite été adaptée au cinéma, produite par Véra Belmont, réalisé par Elliott Covrigac et interprétée par Elodie Fontant, Arthur Jugnot, Juliette Arnaud et Olivier Sitruk. Il a énormément écrit pour le théâtre tout en étant acteur. Et dans Le retour il endosse le rôle de l’ami, qui n’est pas le plus sympathique et dont il tire le meilleur parti, jouant toute l’ambiguïté de la sympathie et de son contraire.
Les ressorts comiques s’appuient sur les confrontations entre jeu et réalité, vérité et fiction. Pour ce qui est du tragique chaque personnage aura un moment plus ou moins pathétique. Ajoutons qu’au théâtre tout est vrai même si rien n'est vrai, ce qui est le contraire dans la vie.
Les lumières de Cécile Trelluyer sont travaillées de manière à focaliser l’attention sur un personnage en particulier. Il y a des idées de mises en scène additionnelles dans la version théâtrale, comme une incroyable partie de ping-pong, et la présence d’un accessoiriste qui agit en noir, mais à vue, alors qu’il nous faudra un certain temps pour comprendre qui se cache derrière lui. Il sera très applaudi aux saluts.
Tout est rebondissement au cours de la soirée. Rien d’étonnant à ce que le public y perde sa lucidité et frappe trop tôt dans ses mains, ce qui doit bien réjouir la troupe.
L’humour est décapant. Et nous verrons bien s’il est envisageable de se réinventer une famille pour réparer la vraie. Le spectacle a bien mérité sa nomination aux Molières 2023 dans la catégorie « Meilleure Comédie ».
Eric Bu multiplie les collaborations au théâtre tout en continuant à développer ses projets audiovisuels, notamment avec le long-métrage Le retour de Richard 3 par le train de 9h24, écrit par Gilles Dyrek, récompensé dans de nombreux festivals et sorti sur la plateforme filmoTv en juin 2020.
À Avignon en 2018 et 2019, il avait créé au théâtre Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?, avec Elodie Menant, mis en scène par Johanna Boyé. (Récompensé par 2 Molières en 2020 dont celui du Spectacle Musical)
À la rentrée 2020, il avait écrit et mis en scène Dolto, Lorsque Françoise paraît, au Théâtre Lepic, avec Sophie Forte dans le rôle de Françoise Dolto, succès Avignon 2021, salué par une critique unanime. Il développe actuellement de nombreuses écritures pour la scène et l’écran.
Mise en scène d’Eric Bu
D’après une idée originale et un film d’Eric Bu écrit par Gilles Dyrek
Avec Hervé Dubourjal Isabelle de Botton Amandine Barbotte Camille Bardery Lauriane Escaffre Benjamin Alazraki Jean-Gilles Barbier Gilles Dyrek
Musique originale Stéphane Isidore
Chorégraphie Florentine Houdiniere
Scénographie Marie Hervé
Création lumière Cécile Trelluyer
Création maquillage et perruque Emmanuelle Verani
Costumes Christine Vilers
A partir de 12 ans
Depuis le 13 janvier 2023 et prolongé jusqu’au 30 juin
Au Théâtre Actuel / La Bruyère - 5 rue La Bruyère, 75009 Paris
Du mercredi au samedi à 21h
Matinée samedi à 18h30 et dimanche à 16h
(Ensuite au festival d’Avignon au Théâtre du roi René pour la seconde année consécutive)
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