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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 19 mars 2025

Hollywoodland de Zoe Brisby

Zoé Brisby s'intéresse aux femmes américaines. Elle a publié trois romans leur accordant la meilleure place, faisant en sorte de mettre en lumière des personnalités qui ont été peu ou mal connues.

Peg Entwistle est l’une d’elles. C’est le personnage principal d’Hollywoodland.

Nous sommes en 1932. La métropole californienne est alors encore surplombée par le célèbre panneau HOLLYWOODLAND installé sur le mont Lee depuis le 13 juillet 1923 et destiné au départ à commercialiser un nouveau programme immobilier. Les lettres, construites en 1923, d'une hauteur de 14 mètres et d'une largeur de 9 mètres, sont à cette époque équipées d’ampoules d’éclairage. 

C'est le Canadien Mack Sennett, fondateur des studios Keystone, qui est alors propriétaire de ces terrains. Le panneau n'aurait dû ne rester qu’un an et demi en place. Laissé à l’abandon pendant des années, il se détériorera lentement et son entretien prendra  officiellement fin en 1939. Il sera restaura 10 ans plus tard, mais raccourci puisque le suffixe "land" disparaitra.

L'autrice s'est énormément documentée sur la vie de l'actrice Peg Entwistle et sur l'ambiance qui régnait dans les studios de Los Angeles. Elle nous donne son point de vue sur ces femmes un peu naïves croyant pouvoir réussir dans le monde du cinéma.

Certes Maggie, Joyce, Joe et Wanda sont des personnages créés par Zoé Brisby mais ils ne sont pas totalement nés de son imagination. Dans un chapitre additionnelle l'autrice analyse et pointe des faits historiques troublants qui justifient leur présence dans son roman (p. 301).

Pourquoi, dans la nuit du 16 septembre 1932, Peg Entwistle, jeune actrice talentueuse au destin prometteur, aimée de tous et filant le parfait amour avec la nouvelle coqueluche des studios, s'est-elle jetée du haut de la lettre "H" du mythique panneau "Hollywood" ?

Millicent Lilian avait la beauté, la jeunesse, l'enthousiasme. En choisissant Peg comme nom d'actrice, elle ambitionne de faire carrière dans le cinéma, et surtout pas de devenir mannequin ou starlette comme ils disent.

À partir du suicide légendaire de la jeune actrice, Zoe Brisby se place derrière le miroir et fouille le jeu des apparences. Elle lève le voile sur les coulisses du cinéma américain des années 30 et les rapports de force entre producteurs et acteurs qui touchaient aussi les hommes (Joe, l'amoureux de Peg en fera dramatiquement les frais) de ce soi-disant âge d’or américain.

Le roman commence 93 jours avant sa mort et le lecteur suit un terrible compte à rebours. On ne se souvient que de sa fin tragique. Zoé a eu raison de faire revivre cette jeune femme exceptionnelle derrière le cliché. Et de nous donner sa propre opinion sur sa fatale issue. 

L’industrie cinématographique était une machine à rêves implacable et la Californie, une terre d’exil autant que paradis idéalisé (p. 37). Nous l'avons oublié mais le pays est ruiné par la grande dépression, faisant mentir Hoover qui prétendait prosperity is just around the corner, ce qui nous fait penser à la formule de Macron affirmant que pour trouver du travail il suffisait d'oser traverser la route.

La vie est loin d'être rose. Si la crise de 1929 a appris quelque chose à cette génération, c’est bien de profiter de l’instant présent car, du jour, au lendemain, tout peut s’écrouler (p. 72). Beaucoup de fermiers chassés de leurs terres gagent leur pain quotidien en faisant de la figuration et s'agglutinent dans des bidonvilles d’infortune.

Peg est une petite fille que les tragédies ont fait grandir trop vite (p. 24). Travailleuse acharnée, divorcée d’un homme violent, elle estime que le cinéma est supérieur au théâtre, mais ce ne sera qu'un miroir aux alouettes, quoiqu'en disent les starlettes, ironisant cruellement sur les ambitions des comédiennes de théâtre : le cinéma, ce n’est pas une petite salle minable dans laquelle on joue des pièces miteuse écrites par des auteurs morts (p. 67).

En fait Zoé nous décrit une jeune femme prévenue dès le début des risques, un peu à l’instar de #Me too. Alors Peg ressent l’urgence à engranger le plus d’expériences possible dans un minimum de temps (p. 72). Elle a l’avantage et l’inconvénient de la jeunesse.

S’il y a parfois de l’entraide entre elles, les starlettes sont aussi rongées par la jalousie et la compétition fait loi. Peg, confirmée, est souvent préférée mais l’entremetteuse Wanda,  abuse de ses charmes pour lui piquer les rôles. Elle ambitionne de jouer dans Hypnose. On apprendra qu'on préfère à Peg une certaine Katherine Hepburn, alors inconnue, pour le film, Heritage, qui effectivement lancera sa carrière (p. 99).

 Zoe Brisby rappelle les contraintes du code Hays qui comporte des thèmes à éviter de traiter dans les longs métrages, surtout rien que la morale bien-pensante puisse réprimer. Cela n’empêche nullement les producteurs de se conduire comme des porcs avec une hypocrisie méprisable. Il faut savoir aussi qu'Alfred Hitchcock martyrisa ses actrices. Tipi Hedren dans Les oiseaux, comme Joan Fontaine sur le tournage de Rebecca, vécurent des calvaires. Et la scène du viol de Maggie est sans doute en deçà de la réalité (p. 188)Le clivage est perceptible entre les assoiffés de pouvoir qui ferment les yeux et ceux qui subissent.

Quelques informations plus légères sont semées entre les pages. On apprend que c’est Elizabeth Arden, qui a rendu accessible le maquillage jusque-là réservé aux classes inférieures et aux prostituées (p. 58). Et que le lunch-wagon a précédé le food-truck. Tous deux obéissent au même concept de camion-Restaurant, inventé par Walter Scott (p. 124).

La prohibition interdisant la production et la vente d’alcool -elle aussi grandement hypocrite puisqu'elle a encouragé à trouver des alternatives (p. 78)- vit ses dernières heures. Le pays a besoin de l’argent rapporté par les taxes sur l'alcool et fera fi de la morale au profit de bénéfices juteux. L'auteure se montre souvent critique à l'égard de l'Etat américain, à juste titres semble-t-il aussi concernant opinion les JO à un moment où le pays croule sous les dettes. Les fermiers et les chômeurs manifestent pour obtenir de quoi manger et le gouvernement ne trouve rien de mieux que d'accueillir des jeux qui vont grever encore plus le déficit (p. 198).

Le talent de conteuse de Zoé Brisby fait le reste et on suit avec émotion le destin de cette jeune femme qui n'avait pas mérité une telle fatalité.

Une photo iconique de Jacques Henri Lartigue en noir et blanc est reproduite sur la couverture. Elle représente une très jolie baigneuse … très éloignée du caractère et du mode de vie de la jeune Peg, laquelle n'avait pas le temps de s'adonner au farniente sur une plage et qui n'en avait sans doute pas envie. 

Il n'en reste pas moins un roman touchant, qui est tout à fait dans le ton des confidences que nous fait Catherine Silhol dans La dernière conférence de presse de Vivien Leigh au théâtre du Poche Montparnasse depuis le 6 mars dernier.

L'actrice fait revivre cette époque qui n'a pas fini de nous faire tourner la tête. Je veux bien croire qu'une dame blanche se promène certains soirs sur la colline du mont Lee et qu'il s'agit peut-être du fantôme de Peg.
Hollywoodland de Zoe Brisby, éditions Albin Michel, en librairie depuis le 26 février 2025

lundi 17 mars 2025

Rossignol à la langue pourrie interprétée par Agathe Quelquejay

Il y a de beaux et excellents spectacles. Mais il en existe de temps en temps qui relèvent de l’exceptionnel. Et qui vous marquent à jamais. Ne vous arrêtez pas au titre qui ne parle qu’aux connaisseurs.

Ni à l’affiche sombre comme le serait le visage d’un gosse des rues en pleine Commune et qui en fait est celui d'une petite fille sans abri, photographiée en Angleterre par Lee Jeffries.

Rossignol à la langue pourrie est un écrin dans lequel étincelle Agathe Quelquejay.

Je n’exagère pas le moins du monde. Je suis même en dessous de la vérité. Allez-y. Vous verrez que je dis vrai ! Vous entendrez que je n’ai pas menti. Cette langue magnifique claque comme un élastique et les choix musicaux sont totalement appropriés. D’abord Patrick Watson et le superbe morceau Lighthouse, (de l’album Adventures in your own backyard, 2012) puis Placebo … Chaque intermède musical permet autant à la comédienne de quitter un personnage pour rejoindre le suivant qu’à nous de reprendre notre souffle.

Nous sommes emportés dans le monde injuste des petites gens au cœur gonflé par des sentiments qui ne s’étaient pas dits. Alors forcément, ce sont les coups qui ont plu sur leurs carcasses.

Depuis, les mots se sont faufilés dans leur bouche écorchée. Ils expriment comme ils peuvent l’ampleur de leur souffrance et de leurs rêves aussi. Et dieu sait qu’ils étaient grands hier quand tout était encore envisageable. Aujourd’hui, je ne vais pas vous le cacher, la mort rôde qui sera probablement une délivrance mais il reste quelques minutes pour partager tout l'amour qui a fait leur embarras.

La mise en scène a été pensée avec justesse et intelligence par Guy Pierre Couleau dans une installation puissante et sobre de Laurent Schneegans invitant à un voyage en au-delà. Dans un monde d’hier qui affleure encore aujourd’hui parce que le malheur des faibles est universel. Les costumes sont déposés au sol, comme autant d’enveloppes à remplir. La dernière, dessinée par Delphine Capossela, est sculpturale à l’instar des statues qui se dressent dans les cimetières.

Agathe se glisse dans la peau et l’âme de six personnages qui ne sont plus en quête que de spectateurs.

C’est elle qui parle et nous qui haletons, dans un dialogue intérieur avec chaque héros retenu parmi la cohorte des invisibles mettant en place une symphonie en 6 mouvements. On en oublie que ce sont des poèmes en octosyllabes issus du recueil "Le Cœur populaireet que leur auteur Jehan-Rictus (1867-1933) est parti il y a presque un siècle. Les scolaires jurent à leur daron que sa syntaxe est fichtrement moderne et qu’il ferait bien lui aussi d’aller écouter ça : Ta "Vieille" : qu’alle est v’nue aujord’hui / Malgré la bouillasse et la puïe / Et malgré qu’ça soye loin … 
Ça se passe sous les voûtes de pierre de l’Essaion jusqu’au 1er avril. Après, il vous faudra aller au Théâtre du Balcon pendant le festival d’Avignon. Remarquez …. C’est un tel chef-d’œuvre que ça vaut le déplacement.

Rossignol à la langue pourrie de Jehan-Rictus
Mise en scène de Guy-Pierre Couleau
Avec Agathe Quelquejay
Lumière Laurent Schneegans
Costume final Delphine Capossela
Du 04 février au 01 avril 2025,
Les lundis à 21h et les mardis à 19h15
Au théâtre Essaion - 6, rue Pierre au Lard (à l'angle du 24 rue du Renard) - 75004 Paris
Réservations : 01 42 78 46 42

dimanche 16 mars 2025

Reine mère, un film de Manele Labidi

Reine mère avait été proposé par le Rex de Châtenay-Malabry le dimanche 8 mars dans le cadre du programme Femmes et cinéma.

Il commence sur une scène de baignade qui manifestement agace Mouna (Rim Monfort), pressée de renter à la maison avec sa mère (Camélia Jordana) tandis que résonnent les paroles de Minouche, la si jolie chanson de Rachid Taha en 2019 : 

Minouche, ma minouche
Pourquoi tu te fâches?
Ne prends pas la mouche
Ma jolie peau de vache.

Pour son second long-métrage, après le très remarqué Divan à Tunis, avec la même actrice principale, et abordant déjà le thème de la psychanalyse Manele Labidi installe ses personnages Porte de Vincennes. Bien que très attachés à leurs origines ils se sont parfaitement intégré dans un quartier qu'ils adorent et où ils ont fait une demande de logement social depuis déjà 7 ans. Car ils savent que leur appartement n'est qu'une solution provisoire.
Amel est un personnage haut en couleur. Elle a du tempérament, de l’ambition pour ses deux filles, une haute estime d’elle-même et forme avec Amor (Sofiane Zermaniun couple passionné et explosif. Malgré les difficultés financières elle compte bien ne pas quitter les beaux quartiers.
Mais la famille est bientôt menacée de perdre son appartement tandis que Mouna, l’aînée des deux filles, se met à avoir d’étranges visions de Charles Martel (Damien Bonnardaprès avoir appris qu’il avait arrêté les Arabes à Poitiers en 732… Amel n’a plus le choix : elle va devoir se réinventer !
Le film traite plusieurs thèmes en parallèle. La mère a une volonté farouche de faire grimper toute la famille dans l'échelle sociale. D'abord ses filles, et ce n'est pas un hasard si elle les a scolarisées à la Providence puisqu’elle n’est pas catholique mais elle en a saisi ce qu'elle pense être une opportunité, ce qui ne l'empêchera pas de faire l'erreur d'appliquer du henné sur les mains de Mouna. On l'entend régulièrement répéter à Mouna avant de la lâcher devant la porte de l'école : Je suis drôle, intelligente, belle (sous-entendu parce que je suis ta fille), équivalent à l’incantation de la mère (juive) de Roland dans le film Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan

Elle se refuse longtemps à travailler à l'extérieur du foyer et ne s'y résoudra que pour des raisons financières graves. Mais elle n'accepte pas d'occuper une position qu'elle estime humiliante (tout en faisant très bien le travail demandé). Son refus de se plier au code est mal jugé par sa supérieure hiérarchique (Marie Rivière, très fine dans ce rôle) : T’es la fille d’un fermier qui se prend pour la reine d’Angleterre, lui reproche-t-elle parce qu'elle ne porte jamais sa blouse de service. La jalousie de cette femme est manifeste : Tu te la pètes quoi ? Ce qui est très réussi dans la direction d'acteurs c'est que Camélia Jordana est d'une dignité absolue en femme de ménage 

Elle a beau dire Ni je juge, ni je parle, le spectateur ressent la moindre de ses critiques. Et son franc-parler lui vaut bien des déboires, lourds de conséquences.

Les injonctions de la chef sont préoccupantes car Amel risque de perdre son travail. Et pour commencer elle est privée d'assister aux cours qu'elle suivait à l'université (sur son temps de repos). S'ajoutent à ces brimades le harcèlement dont sa fille Mouna est victime de la part de ses camarades malgré la sollicitude de son institutrice de CM2 (Clémentine Poidatz) qui peine à prononcer le mot "arabe" et qui a bien conscience de la responsabilité de l'institution scolaire puisque c'est suite à un cours d'histoire annonçant la victoire de Charles Martel contre les arabes à Poitiers que les ennuis ont commencé.

La pression scolaire combinée à la crainte de perdre "leur maison" va provoquer chez la jeune fille des symptômes psychiatriques se manifestant par des hallucinations. Charles Martel (Damien Bonnardva lui apparaitre, d'abord comme personnage maléfique, puis très vite comme allié.

Le film peine un peu à trouver une justesse de ton qui le rende crédible. Il me semble qu'une bascule positive s'opère avec la scène d'analyse du tableau Bataille de Poitiers, de Charles de Steuben (1837) qui figure dans tous les manuels et que la classe va admirer au musée. Le ridicule de la composition est décortiqué. Il est manifeste que cette "reconstitution", mille plus tard, est mensongère et excessive. Et que finalement les visions de l'enfant ne sont pas plus irréalistes que cette oeuvre.

Le roi va devenir cet ami imaginaire si essentiel pour protéger l'enfant dont l'enseignante fait un éloge émouvant aux parents : Laissez-lui son imaginaire signe de grande intelligence.

Le père (Sofiane Zermani) fait ce qu'il peut pour tenir le navire en se tuant à la tâche et en prenant grand soin de sa clientèle. Il y a de très jolis moments de partage familiaux comme le pique-nique sur les chantiers du père qui se répètent comme un rite. Mais, comme beaucoup d'hommes à cette époque (nous sommes en 1984) cet homme reste loin des contingences matérielles, incapable de donner le prix de 6 œufs.

La scène de maraboutage était inévitable. C'est un grand moment. La réalisatrice a fait la part belle à l'humour. Les moments passés entre copines sont très savoureux. L'apprentissage de la conduite automobile nous vaut des scènes d'anthologie. T’es loin d’être prête la prévient la directrice de l'auto-école (formidable Saadia Bentaïeb,  qui cofonda dans les années 1990 la compagnie Louis Brouillard avec Joël Pommerat, et que nous avons beaucoup vue au théâtre). Amel l’a déjà loupé 4 fois de suite, et ce n'est peut-être pas la dernière fois.

Il y a aussi beaucoup d'amour entre tous. Vous êtes mes p’tites sardines jure cette Maman au grand coeur. Kenza, la petite soeur, est attendrissante. Manele Labidi a utilisé des artifices astucieux pour construire une ambiance propice au rêve, filmant les acteurs à travers une brume, ou derrière  la buée d'une vitre de salle de bains.

Il faut, certes, adhérer au concept d'ami imaginaire, mais tout se tient. Y compris la jolie scène de danse en noir et blanc entre la mère et Martel (illustrant peut-être l'expression se mettre martel en tête). On comprend qu'Amel a pris le parti de sa fille, ce qui se concrétise dans la scène finale … que je vous laisse découvrir mais dont l'affiche donne un indice.

Voilà un second film qui confirme le talent de Manele Labidi dont on attend déjà le troisième film.

Reine mère, un film de Manele Labidi
Avec Camélia Jordana, Sofiane Zermani, Damien Bonnard, Rim Monfort, Marie Rivière, 
Clémentine Poidatz, Farida Rahouadj, Saadia Bentaïeb  …
En salles depuis le 12 mars 2025

samedi 15 mars 2025

Oblomov de LM Formentin d’après Ivan Gontcharov

Il y a des spectacles qui entrent en dialogue. Comme cet Oblomov qui, au théâtre Essaion, semble répondre à De la servitude volontaire (qu'un spectateur passionné pourra enchainer sans problème).

Rien de grandement étonnant puisque c'est LM Formentin qui a écrit les deux adaptations et Jacques Connort qui en signe les deux mises en scène.

Chaque représentation est complète mais il faut tenter sa chance. En général on parvient toujours à se caser sur les banquettes.

Oblomov est affalé sur son lit, un pied dans une cuvette, une serviette sur sa bouche alors que son majordome l'entreprend à propos sans doute de sujets importants mais dont on n'entend pas la teneur et qui peinent à retenir l'attention du jeune homme.
Il ne cessera de repousser les propositions et Zakhar a bien de la patience, admettant que Monsieur est comme il est et approuvant de voir la chose plus tard. Autant dire jamais.

On assiste à l'évolution de deux phénomènes bien connus en psychologie. D'une part le syndrome de Stockholm qui emprisonne le vieux domestique, ne pouvant qu'aller dans le sens qui lui est tracé, acceptant de reconnaitre que nous avons eu une bonne journée. Il a fait beau et de renoncer à le convaincre d'agir. Dors bien, fais de très beaux rêves lui souhaite-t-il et nous voyons dans cette soumission le possible espoir que demain sera un autre jour.

D'autre part la procrastination manifeste du jeune homme aimanté à son lit, écrasé par la vanité d'un monde dans lequel il se refuse à jouer : à quoi bon se lever, se laver, s’habiller ? A quoi bon travailler, aimer ? Son incapacité à agir rappelle la volonté de Bartleby de Melville de "ne pas".

Zakhar tente de le sortir de sa léthargie et de l'aider à prendre des décisions, avec toute la déférence qu'impose sa position sociale mais capitule, presque admiratif de sa différence qui pour lui a la pureté d’un enfant qui refuse le monde.

On se demande au fil de la soirée lequel est le plus mythomane des deux, ce qui est savoureux pour nous, spectateurs impuissants du naufrage.

Oblomov est un aristocrate russe dont la richesse se réduit à peau de chagrin. Derrière le vernis des apparences on le voit à sa robe de chambre élimée et au bas de pantalon discrètement étrange du serviteur.

Il faut aussi saluer le travail du scénographe qui est parvenu à restituer l'ambiance d'un appartement dans un espace restreint, sans porte ni fenêtre, instaurant une atmosphère un peu étouffante, à mi-chemin entre un château endormi et une grotte utérine.

La pièce a connu un beau succès au festival d’Avignon, l’été dernier, au Théâtre des vents. La jeunesse d'aujourd'hui, en plein malaise existentiel qu'on dit, depuis la pandémie et avec la montée des crises politiques mondiales que viennent aggraver les risques climatiques et écologiques, rongée d'appréhensions face à l'avenir, ne peut que se reconnaitre dans les doutes de ce anti-héros et tenter de trouver des réponses à son état d'esprit.

Le duo maitre-valet est superbement servi par deux acteurs qui jouent en connivence, faisant ressortir ce que le texte contient de rage et d'humour. Oblomov (1859) est 'oeuvre la plus connue de l'auteur russe Ivan Gontcharov (1812-1891). C'est un roman et l'adaptation de LM Formentin est très réussie. Il en a saisi l'essentiel en ne retenant que les deux personnages principaux.
La pièce offre ainsi l'opportunité d’interroger des thèmes qui touchent les jeunes comme les moins jeunes : la quête de sens, le refus du conformisme, la pression sociale, le besoin de ralentir dans une époque effrénée.

De multiples questions sont posées nous invitant à réfléchir. Faut-il voir dans la paresse d'Oblomov une simple procrastination ou un acte de résistance ? Peut-on vivre dans le repli sur soi ? Est-ce faire acte de courage que de dire non, et donc de désobéir ? Quel en sera le prix … ou le bénéfice ?
Oblomov de LM Formentin  d’après Ivan Gontcharov
Mise en scène : Jacques Connort 
Avec Yvan Varco et Alexandre Chapelon
Décors de Jean-Christophe Choblet
Costumes de Foin-Coffe
Du 15 février au 22 mars 2025
Les jeudis, vendredis et samedis à 21h 
Au théâtre Essaion - 6, rue Pierre au Lard (à l'angle du 24 rue du Renard) - 75004 Paris
Réservations : 01 42 78 46 42

vendredi 14 mars 2025

De la servitude volontaire de LM Formentin d’après La Boétie

Quelle bonne idée de scénographie que d’avoir installé un miroir sur toute la largeur du plateau ! Le décor est en lui-même une illustration du propos, nous invitant à nous regarder et à analyser la bêtise de nos comportements.

Jean-Paul Farré met ses talents au service d’un pamphlet éblouissant contre l’absolutisme. Pourquoi les hommes acceptent-ils la domination d’un seul ?

Après avoir été créée au festival d’Avignon, au Petit Louvre, à l’été 2023 De la servitude volontaire s’installe au Théâtre Essaion, toujours avec l’immense comédien qu’est Jean-Paul Farré.

L’idée n’est pas nouvelle. On doit cette réflexion à La Boétie qui dans son célèbre Discours sur la servitude volontaire s’en prend autant aux tyrans qu’aux peuples eux-mêmes.

LM Formentin a récrit le texte pour mieux nous reposer la question à propos de cette constante de l'Histoire qui veut que des millions d'hommes toujours se soumettent à un maître. On ne peut pas dire qu’elle ne soit pas d’actualité, aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest.

Un tapis rouge traverse la scène de jardin à cour. Un long manteau pend à un crochet. Voilà le comédien qui descend l’escalier et que l’on surprend dans le miroir.
Il n’y a pas privilège plus grand que d’assister au lever du roi, prononce-t-il en majesté avec une diction exemplaire. Le roi en question est bien sûr notre bon Louis, si bien nommé le Roi-Soleil.

Prenant place sur le fauteuil, il ose le premier trait d’humour : Sur le plus beau trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul (…) Faire d’un tel objet de dégoût, un honneur… sérénissime défécation.

Commence alors la démonstration implacable de ce qu’il faut reconnaître comme la bêtise humaine. Travers des propos qui -mille fois hélas- font furieusement penser aux dernières annonces du président américain.

La démonstration de La Boétie n’a pas pris une ride, même si LM Formentin a entrepris de s’en emparer pour écrire un seul-en-scène qui est formidablement servi par Jean-Paul Farré, lequel n’a pas de piano pour nous dérider.

Se défendant de nous faire une leçon de morale, l’harangueur prétend parler tout seul (aux oiseaux et aux choses )… à son vieux manteau. Mais ses mots nous percent comme des flèches en particulier lorsqu’il dénonce la lâcheté des peuples et sous-entend que nous pourrions même éprouver une complice admiration à l’égard des tyrans.

Il va plus loin en nous donnant des clés pour comprendre ce comportement paradoxal qui veut que le faible se soumet tacitement au fort (on pourrait extrapoler dans les questions de harcèlement qui alimentent tant les débats quotidiens) en vertu notamment du principe illustré par le proverbe chinois du VII° siècle : Ne mords pas la main qui te nourrit.

Si nous sommes individuellement d’accord et pensons de concert nous n’agissons pas en nombre. Personne ne se risque au courage. Chacun attend tout de l’autre et rien ne se passe. Un homme tué en fait taire mille comme Machiavel l’avait si bien démontré.

Voilà pourquoi le tyran s’offre le droit de voler des millions de bouches, Il ne sera vaincu que par un autre tyran qui répétera le schéma.

Là où l’analyse est subtile c’est qu’elle pointe que la tyrannie s’alimente de ressentiment. Derrière la façade d’une force de caractère, les bourreaux sont dans l’incapacité à réfréner leurs instances, ce qui marque leur fragilité. Et pourtant ce n’est pas la privation de liberté qui déclenche les révolution mais toujours la misère.

Enfilant la veste après avoir rentré la chemise dans son pantalon, l’orateur se propose de nous faire entendre les tyrans. Le conformisme prépare à la tyrannie car la survie de la société prime sur tout en raison de l’attachement viscéral à la horde pour conjurer la peur de la solitude. C’est la fameuse injonction du pas de vague qui musèle la parole et pousse l’humanité à avancer sur un chemin tout tracé.

Il est vrai que la liberté peut faire peur. Être libre c’est vouloir, et vouloir c’est choisir. LM Formentin ne cherche pas à nous décourager mais à nous alerter. Comme nous en prévient le comédien avant de nous laisser à nos réflexions : L’histoire n’est pas finie. Elle regorge d’imagination. Où chacun de nous sera ?
Aurais-je moi seul plus de forces qu’un peuple tout entier ?
Il est amusant de constater quelques instants plus tard, car les deux spectacles se suivent, qu’Oblomov lui répond à sa manière … en demeurant dans son lit.

De la servitude volontaire de LM Formentin d’après l’œuvre éponyme d’Etienne de la Boétie
Mise en scène Jacques Connort
Avec Jean-Paul Farré
Décor de Jean-Christophe Choblet
Costume d’Isabelle Deffin
Musique de Raphael Elig
Lumières d’Arthur Deslandes
Du 5 février au 27 avril 2025
Les mercredis et jeudis à 19H, vendredis et samedis à 21H, dimanches à 18H
Au théâtre Essaion - 6, rue Pierre au Lard (à l'angle du 24 rue du Renard) - 75004 Paris
Réservations : 01 42 78 46 42

jeudi 13 mars 2025

Nous construisions un fantastique palais la nuit … à l'Institut Giacometti

L’Institut Giacometti tisse un parallèle entre l’œuvre d’Alberto Giacometti (1901-1966) et celui du plasticien kosovar Petrit Halilaj (né en 1986 au Kosovo). Ce dialogue artistique explore la relation entre le dessin, la sculpture et l’imaginaire, en mettant en lumière des thèmes communs aux deux artistes.

Celui qui visiterait, sans avoir préparé sa venue, Nous construisions un fantastique palais la nuit … et pour peu qu'il soit néophyte, ne repérerait pas forcément du premier coup d’œil les œuvres de chaque artiste.

C’est tout à fait normal et presque intentionnel parce qu’elles se répondent. Je recommande donc très vivement de choisir la visite guidée (en français ou en anglais).

Giacometti disait ne pouvoir parler qu’indirectement de ses sculptures, parce qu’il fonctionnait par associations d’idées. Petrit été frappé par les lignes noires monochromes qui deviennent un dessin dans un espace. Et il se dit très intéressé par une sculpture qui ne prend pas de volume.

De fait, beaucoup de ses sculptures dérivent de petits dessins d’enfants. J’aime la magie qui consiste à trouver des graffitis sur un pupitre et à les développer dans l’espace.

Petrit Halilaj a conçu pour la première grande salle de l’étage, une structure qui épouse le vocabulaire de Giacometti.

Il s’identifie au titre donné à l’exposition comme étant un fil conducteur entre toutes les maisons où il a vécu et que sa famille et lui ont perdues à cause de la guerre dans les Balkans.

A l’instar de Giacometti qui a développé l’idée que le palais était un lieu mental, le but était d’élaborer métaphoriquement un palais de rêve où il serait possible d’être en paix, et cela à tous points de vue et où notre histoire trouverait son sens. Même s’il procure un sentiment de tristesse à la crainte de son écroulement mais aussi de désir et de persévérance à poursuivre sa construction.

Né en 1986 dans le contexte très dur d’un Kosovo en guerre qui déchira les populations et déplaça le petit Halilaj de villages en camps. La culture était censurée. Dans le camp de réfugiés de Kukës, en Albanie, il attira les regards par sa passion pour le dessin et sa capacité à le pratiquer à deux mains (et on observera que lorsqu’il parle il soutient toujours ses propos en utilisant ses deux bras), une passion qu’encouragea le psychologue italien Giacomo "Angelo" Poli.  Il est persuadé aujourd’hui que dessiner l’a sauvé du traumatisme. 

Depuis l’enfance Petrit a entretenu une très forte relation, intuitive et autodidacte, avec le dessin qui est pour lui un mode d’expression plus fort que le langage puisqu’il permet de révéler ses rêves en toute liberté. Il dit d’ailleurs avoir été soutenu dans cette voie par sa mère, comme le fut Giacometti. Et, comme lui, il a beaucoup appris en copiant des oeuvres de grands artistes.

A partir de 2015, il a inventé une nouvelle langue graphique, sorte de grands dessins dans l’espace, qui pourrait évoquer les dessins au fil de fer d'Alexander Calder … ou les constructions filiformes de Giacometti dont Le palais à 4 heures du matin (1932) est la forme la plus élaborée. Leur relative discrétion procure un sentiment de constructions fragiles qu’on pourrait percevoir comme éphémères et qui symbolise la fragilité de notre existence.

Abetare est le nom qu'il donne à la série de traduction de dessins d'enfant étendu qui se déploie dans l'espace des adultes en utilisant un langage caractérisé par la simplicité de l’innocence et teinté d’humour. Le nom vient d’un manuel d'apprentissage de la lecture écrit en langue albanaise qui a été créé pour aider à enseigner la langue de base aux enfants et aux jeunes adultes dans toute l'Albanie et la région environnante où vivent les Albanais. Il fut celui de tous les écoliers kosovars de sa génération. Il a créé spécifiquement une trentaine d’œuvres avec ce langage pour l'exposition.

La curiosité à l’égard de l’humanité, et surtout des enfants, est un point commun entre les deux artistes. Un dessin en particulier, tiré des réserves, celui d'une maison réalisé par un enfant et copié par Giacometti, la même année que le Palais, est devenu le point de départ de la présente exposition. Mais aussi cet autre que l’on peut voir à l’étage, sur le mur du salon séparant la pièce du patio.
Copie d'après des dessins d'enfants faits à la craie sur le trottoir du boulevard Villemain, 1932
(encre noire et crayon graphite sur page de carnet détachée)

Si on le regarde avec attention, on comprendra avec joie que Petrit se soit emparé de la femme dessinée sur la partie gauche et lui ait donné une taille "humaine" qui se dresse dans le patio :
A gauche : Petrit Halilaj - Abetare - Maison du trottoir de Giacometti, 2025, bronze, 280 x 100 x 10 cm

Quant à celle qui figure sur la droite, on la voit prendre vie dans la salle principale. On peut la deviner dans la photo prise de la structure dite Le palais (plus bas). Cette oeuvre immense, qui se déploie jusqu’à la bibliothèque, inspirée du Palais à 4 heures du matin (1932) de Giacometti et du texte que le sculpteur avait écrit à son sujet, est la plus impressionnante de l’exposition et qui prend vit comme un théâtre. L’artiste nous en fera la démonstration dans quelques minutes, justifiant qu’on puisse qualifier l’exposition "d’immersive".
Au centre, Alberto Giacometti : le couple, 1926, bronze, 59,3 x 37,4 x 17,5 cm
Juste à côté on devine la femme de droite du dessin d'enfants (photographié plus haut)
Et au fond, La cage de Giacometti, 1950-51, bronze de 17,5 x 37 x 39,6 cm

mercredi 12 mars 2025

On ira, film de Enya Baroux

J’écrivais en 2012 que Quelques heures de printemps (de Stéphane Brizé) m’avait fait grandir, et j’estimais que la prestation d’Hélène Vincent, comme celle de Vincent Lindon, méritait un César.

On ira, le premier long-métrage de Enya Baroux, qui a fait ses armes dans l’univers des séries et qui est aussi comédienne, est de la même veine, à très peu de choses près et avec un côté My Little sunshine en plus. Le voisin Monsieur Lalouette (Olivier Perrier) a laissé place à Rudy, un jeune homme (Pierre Lottin) qui pourrait être le frère du fils (David Ayala), lequel ne sort pas de prison mais n’est pas du tout un enfant modèle et qui sympa mais de mauvaise foi.

Le duo est devenu un quatuor avec une petite-fille (Juliette Gasquet) extrêmement touchante de naturel. On comprend au passage pourquoi la réalisatrice a dédié le film à sa grand-mère (qui n'a pas pu suivre le même parcours). Et avec un aide-soignant fantasque (Pierre Lottin) qui apporte une dimension comique supplémentaire.

La vieille dame a pris de l’âge (80 ans) mais c’est toujours le cancer qui l’emporte. Et la destination finale demeure la Suisse. A croire que depuis 13 ans rien ne s’est amélioré. 

Ah si, la loi a changé et il est devenu légal de désirer en finir dignement si on ne veut pas attendre que ça empire et préférer finir comme une belle pomme. Mais il n’y a que les malades à le vouloir. Les proches, eux, continent à rester dans le déni, parce que ce serait peut-être grandir trop vite.
Marie, 80 ans, en a ras le bol de sa maladie. Elle a un plan : partir en Suisse pour mettre fin à ses jours. Mais au moment de l’annoncer à Bruno, son fils irresponsable, et Anna sa petite-fille en crise d’ado, elle panique et invente un énorme mensonge. Prétextant un mystérieux héritage à aller chercher dans une banque suisse, elle leur propose de faire un voyage tous ensemble. Complice involontaire de cette mascarade, Rudy, un aide-soignant tout juste rencontré la veille, va prendre le volant du vieux camping-car familial, et conduire cette famille dans un voyage inattendu.
La leçon de vie vient de la communauté gitane (Henock Cortes est d’un naturel époustouflant) qui a une autre conception de la mort que la nôtre. On l’accepte et le feu emporte tout, en libérant l’âme du défunt. Avant cela, on aura choisi l’objet (transitionnel) qui nous parlera de lui pour l’éternité. Pas de tombe qui risquerait un jour de tomber en déshérence mais un feu de joie et une fête à laquelle tout le monde est invité puisque tout le monde fait partie de la famille.

Je voudrais signaler la présence d'autres comédiens. La banquière formidablement interprétée par Jeanne Arènes, que l'on voit elle aussi (comme Hélène Vincent et David Ayala) régulièrement sur les planches des théâtres. Elle avait remporté le Molière de la révélation théâtrale féminine en 2014 pour sa performance dans Le Cercle des illusionnistes, mis en scène par Alexis Michalik.

Pierre Lottin avait déjà joué avec Hélène Vincent dans Quand vient l’automne, de François Ozon, et avec David Ayala dans Un triomphe, d’Emmanuel Courcol.

Allez voir On ira, pour en ressortir réconcilié avec le grand Voyage que reprend admirablement Barbara Pravi avec la chanson mythique de Desireless Voyage Voyage (1986) pour clore ce film mais la réalisatrice aurait tout autant pu choisir le titre éponyme de Zaz … si optimiste.

La musique originale a été composée par la violoncelliste Dom La Nena (qui avait aussi signé celle de La vie de ma mère l’année précédente). Regardez-le jusqu'au bout pour ne pas manquer, en bonus, l'interprétation du titre par Hélène et Juliette. Le ton n'est pas tout à fait juste et c'est ce qui fait son charme.

On saluera la manière qu'aura eu Enya Baroux de traiter un tel sujet sous l’angle de la comédie en laissant jusqu'au bout à la fine équipe leurs chaussures de bowling, ce qui leur donne une drôle de démarche, et en glissant des répliques qui font mouche auprès du public, forcément complice, comme : La famille Bélier vous commencez à me gonfler !

Hélène Vincent a dit en interview être personnellement touchée par cette cause en tant que membre de l’association pour le droit de mourir dans la dignité. Elle ne considère cependant pas son rôle comme comme un acte politique car le film n'est pas militant. Il soulève simplement une question qui se pose à beaucoup d’entre nous et aborde un sujet que nous ne pouvons pas ignorer.

Et parce que cette comédie ne perd pas pour autant le sérieux qui s’impose, et qu'il est rempli d'amour, ce premier film est franchement réussi.

On ira, film de Enya Baroux
Avec Hélène Vincent, Pierre Lottin, David Ayala, Juliette Gasquet, Jeanne Arènes, Henock Cortes Yago
Prix d'interprétation féminine du Festival international du film de comédie de l'Alpe d'Huez pour Hélène Vincent (partagé avec Juliette Gasquet)
En salles depuis le 12 mars 2025

mardi 11 mars 2025

Poste restante - Escales sur la Ligne installations immersives de Cécile Léna

Cécile Léna a imaginé des installations immersives sur l'histoire de l'Aéropostale et la fameuse Ligne Toulouse-Santiago du Chili, inaugurée en 1918.

Son travail est de toute beauté, émouvant, minutieux, poétique, absolument pas pédagogique, et c'est ce qui en fait tout l'intérêt. Le visiteur, parce que c'est le mot qui convient pour définir la position dans laquelle se place celui et celle qui viennent rendre "visite" à ces héros sans qui, aujourd'hui, nous ne pourrions pas aller si facilement au bout du monde (même si ce n'est pas sans conséquence sur l'écologie) passera environ une heure, répartie entre 7 escales avant d'embarquer dans un véritable avion pour retourner sur les traces de Saint-Exupéry,

J'écrivais il y a moins d'un mois qu'il y avait en ce moment une vague Saint-Exupéry (1900-1944) propice à redécouvrir ce grand homme, à la fois aventurier et écrivain, peut-être pour mieux le comprendre et ne pas le réduire à l’auteur du Petit Prince, même si cet ouvrage est totalement remarquable.

Après le très joli film de Pablo Agüero, intitulé sobrement Saint-Ex, autant consacré d’ailleurs à l’aviateur qu’à son mentor et meilleur ami Henri Guillaumet (1902-1940), et après l'interprétation de Pierre Devaux du roman Terre des Hommes, au théâtre de La Flèche (spectacle en prolongation), voici donc un format différent, avec cet ensemble d'installations qui sont autant d'évocations merveilleuses des sept principales escales de l'Aéropostale, proposant chacune un regard spécifique sur cette grande aventure. Une cabine est dédiée à chacune : Toulouse, Casablanca, Cap Juby, Saint-Louis du Sénégal, Natal, Mendoza et Santiago du Chili.
Elles sont conçues sous la forme de boîtes d’un mètre cube, chacune installée dans un isoloir recouvert de miroir et sont disposées dans le hall du théâtre en fonction de la place disponible. Dans l'idéal, il faudrait pouvoir les aligner de manière à passer de l'une à l'autre dans l'ordre du voyage, même si ce n'est pas essentiel. Un compteur, placé sous le numéro, permet au spectateur de savoir dans combien de temps le rideau laissera sortir le visiteur qui le précède. Je vous conseille de vous installer confortablement (à bonne hauteur de la scène miniature) et de vous laisser porter jusqu'au bout, générique inclus, par les voix qui vous murmureront, pendant un peu plus de 4 minutes, l'histoire dans votre casque audio et par la beauté époustouflante des images. On sait toujours où l'on se trouve car la bienvenue nous est souhaitée en mentionnant le nom du lieu.

Le résultat est à la hauteur des deux ans de travail effectués par Cécile Léna avec une équipe de plus de 40 personnes.
1 ère étape : Toulouse
Un carrousel romantique tourne au centre d'une place entourée d'immeuble de briques rose. On ne s'assiéra pas sur des chevaux mais on y prendra place à l'intérieur d'avions miniatures. Un voix s'extasie des coups de griffe des étoiles filantes. Le rêve est lancé. Rien n'était alors gagné. L'idée de remplacer le train par l'avion pour permettre au courrier d'atteindre plus vite ses destinataires était tout à fait folle. Certes les sacs postaux étaient précieux mais on peut regretté que beaucoup aient sacrifié leur vie à cette mission.

lundi 10 mars 2025

Un bout de chemin avec Claude Ponti à l'Ecole des loisirs

Nous étions jaunes de plaisir ce matin à la perspective de rencontrer Claude Ponti et de faire un bout de chemin avec cet immense auteur jeunesse.

Je l'avais déjà croisé plusieurs fois en dédicace mais la matinée promettait d'être exceptionnelle en allant au plus profond possible de son oeuvre.

Son éditeur avait rassemblé, en présentiel ou en visio-conférence, quelque 600 personnes dispersées en France, Belgique mais aussi La Réunion, et jusqu'en Australie … C'est Dominique Masdieu qui nous offrit, pour commencer, une analyse poussée (poussine) de la production de cet auteur qui n'est pas tant prolifique qu'on pourrait le croire puisqu'il avoue ne pas pouvoir faire plus d'un album par an (ce qui n'est pas tout à fait exact puisqu'on en compte plus de 80, auxquels s'ajoutent 4 romans, 4 pièces de théâtre). Sans oublier le Muz, créé en 2009 à son initiative avec pour ambition de faire une place aux réalisations de l’enfance qui méritent d’être conservées et communiquées en tant qu’elles font œuvre forte, exprimant une sensibilité, une émotion et révélant un autre regard sur le monde.

C'est en 1990 qu'il rejoint cette maison d'édition, où il s'est imposé comme auteur majeur il y a donc près de 35 ans, après 5 albums publiés chez Gallimard. Pétronille et ses 120 petits fut le premier d'une longue série.
Un mot nouveau est entré dans le lexique : le verbe poussiner car ça poussinait fort ce matin. Il suffisait de jeter un oeil sur l'assemblée, toute de jaune vêtue, avec -de plus- le même bandana jaune poussin noué par chacun. Pour ceux qui l'ignoreraient, le poussin est le premier animal a avoir été dessiné par l'artiste, dès son plus jeune âge et il a dû en "croquer" des millions. Qu'il se soit inspiré de Max et les maximonstres (de Maurice Sendak en 1963) pour créer Blaise est sans doute une légende mais elle est jolie et lui-même l'entretient en faisant sortir l'animal de ce livre.
Isée traverse non pas un miroir mais les pages d'un livre pour commencer son aventure (La Venture d’Isée, 2012). Claude parfois résume sur une double-page une histoire en train de se dérouler comme dans Blaise et le kontrôleur de Kastatroffe (2014).
Il existe des adultes qui ont du mal à entrer dans l'univers pontien, et pour cause car il reconnait lui-même que ses histoires sont "une description du réel à sa façon". Les enfants se sentent immédiatement concernés, y compris les non parleurs, pointant du doigt les éléments qui correspondent à l'histoire, et tout autant les autres ce qui n'est pas dit mais qu'ils ont repéré. Le foisonnement est une des caractéristiques majeures de ses albums.

La littérature est un échange. Interpréter un album en le lisant d'une certaine manière fait courir le risque de passer à côté de l'intention de l'auteur mais donner du sens n'exclut pas le plaisir de la lecture. Et s'il ne fallait retenir qu'une conclusion ce serait que ses histoires accompagnent les enfants dans leur métier de grandir.

dimanche 9 mars 2025

Que servir avec le Floréal Blanc 2024 d'Ibry ?

Si vous ne connaissez pas le Floréal, c'est quasi normal. En effet il s'agit d'un nouveau cépage dont c'est la première cuvée que l'on doit à l'opiniâtreté et aux convictions écologiques de MarianneMichel et Jean Philippe Cros.

Je savais que les propriétaires du Domaine Saint Georges d'Ibry, avaient misé sur ce cépage obtenu par hybridation, né du mariage de cépages déjà existants, sélectionnés pour leurs caractéristiques. Il est résistant aux principales maladies de la vigne (mildiou, oïdium) et permet de réduire de 90% l’utilisation des produits phytosanitaires. Les vignerons en avaient parlé l'an dernier et c'est un plaisir de constater que le projet est concrétisé à travers ce vin unique respectant à la fois les enjeux environnementaux et les attentes du consommateur. Comme ils ont eu raison de prendre l’initiative de planter deux hectares et demi !
Le vin est sec comme un Chardonnay, très parfumé comme un Viognier. Ce blanc 2024 est fruité, surtout sur les fruits jaunes, en particulier la mangue alors que, dans la parcelle, les grains ont un goût un peu herbacé, presque muscat. Il est également festif. Le découvrir est plus qu'une dégustation, c'est une rencontre. J'ai eu envie de le servir en apéritif puis de poursuivre sur une entrée très savoureuse combinant chorizo et tomates cerises puisque les premières viennent d'arriver. La recette est rapide, simple et peu calorique.
On lave puis coupe en deux des tomates cerises de différentes couleurs que l'on fait presque compoter sur une poêle avec thym et romarin. On ajoute de la tige d'ail émincée. Ensuite on saupoudre de sucre pour caraméliser et on déglace au vinaigre balsamique en prenant garde de ne pas abimer les fruits.
On coupe en quatre des feuilles de brick que l'on beurre au pinceau et qu'on place deux par deux dans les alvéoles d'un moule à muffins en formant une corolle que l'on fait dorer au four quelques minutes.
On pose une tranche de chorizo dans chaque corolle cuite puis on dispose les tomates et l'ail de façon équitable. On pose ensuite une corolle sur une assiette sur un lit de pousses d'épinards.
Sous le label IGP Côtes de Thongue (car cette IGP, strictement géographique, n'a pas de contrainte de cépage), cette cuvée Floréal, millésime 2024, est donc la première du nom et elle est à la hauteur de la promesse. Vous pourrez aussi la découvrir autour de charcuteries et de fromages.
A vous de faire le choix qui correspondra à vos envies. Il s'accorde à beaucoup d'assiettes, de l'entrée au dessert. Comme aussi un plat de couteaux ou un dessert de type baba ou Paris Brest.

On pourrait être un peu induit en erreur en ouvrant le carton de 6 bouteilles : chacune porte une étiquette différente, composant un bouquet printanier déclinant les deux mêmes fleurs dans une gamme de couleurs. Aucune n'est véritablement identifiable, évoquant pour moi la délicatesse des pétales de l'escholzia et la rondeur d'un trèfle champêtre. Et sur toutes on peut lire clairement leurs valeurs : biodiversité, biodiversité, environnement, pur, résistant, fruité, délicat, sauvage.

Il ne doit pas faire oublier les autres vins de la gamme. A consommer lui comme eux en toute modération.

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