
Peg Entwistle est l’une d’elles. C’est le personnage principal d’Hollywoodland.
Nous sommes en 1932. La métropole californienne est alors encore surplombée par le célèbre panneau HOLLYWOODLAND installé sur le mont Lee depuis le 13 juillet 1923 et destiné au départ à commercialiser un nouveau programme immobilier. Les lettres, construites en 1923, d'une hauteur de 14 mètres et d'une largeur de 9 mètres, sont à cette époque équipées d’ampoules d’éclairage.
C'est le Canadien Mack Sennett, fondateur des studios Keystone, qui est alors propriétaire de ces terrains. Le panneau n'aurait dû ne rester qu’un an et demi en place. Laissé à l’abandon pendant des années, il se détériorera lentement et son entretien prendra officiellement fin en 1939. Il sera restaura 10 ans plus tard, mais raccourci puisque le suffixe "land" disparaitra.
L'autrice s'est énormément documentée sur la vie de l'actrice Peg Entwistle et sur l'ambiance qui régnait dans les studios de Los Angeles. Elle nous donne son point de vue sur ces femmes un peu naïves croyant pouvoir réussir dans le monde du cinéma.
Certes Maggie, Joyce, Joe et Wanda sont des personnages créés par Zoé Brisby mais ils ne sont pas totalement nés de son imagination. Dans un chapitre additionnelle l'autrice analyse et pointe des faits historiques troublants qui justifient leur présence dans son roman (p. 301).
Pourquoi, dans la nuit du 16 septembre 1932, Peg Entwistle, jeune actrice talentueuse au destin prometteur, aimée de tous et filant le parfait amour avec la nouvelle coqueluche des studios, s'est-elle jetée du haut de la lettre "H" du mythique panneau "Hollywood" ?
Millicent Lilian avait la beauté, la jeunesse, l'enthousiasme. En choisissant Peg comme nom d'actrice, elle ambitionne de faire carrière dans le cinéma, et surtout pas de devenir mannequin ou starlette comme ils disent.
À partir du suicide légendaire de la jeune actrice, Zoe Brisby se place derrière le miroir et fouille le jeu des apparences. Elle lève le voile sur les coulisses du cinéma américain des années 30 et les rapports de force entre producteurs et acteurs qui touchaient aussi les hommes (Joe, l'amoureux de Peg en fera dramatiquement les frais) de ce soi-disant âge d’or américain.
À partir du suicide légendaire de la jeune actrice, Zoe Brisby se place derrière le miroir et fouille le jeu des apparences. Elle lève le voile sur les coulisses du cinéma américain des années 30 et les rapports de force entre producteurs et acteurs qui touchaient aussi les hommes (Joe, l'amoureux de Peg en fera dramatiquement les frais) de ce soi-disant âge d’or américain.
Le roman commence 93 jours avant sa mort et le lecteur suit un terrible compte à rebours. On ne se souvient que de sa fin tragique. Zoé a eu raison de faire revivre cette jeune femme exceptionnelle derrière le cliché. Et de nous donner sa propre opinion sur sa fatale issue.
L’industrie cinématographique était une machine à rêves implacable et la Californie, une terre d’exil autant que paradis idéalisé (p. 37). Nous l'avons oublié mais le pays est ruiné par la grande dépression, faisant mentir Hoover qui prétendait prosperity is just around the corner, ce qui nous fait penser à la formule de Macron affirmant que pour trouver du travail il suffisait d'oser traverser la route.
La vie est loin d'être rose. Si la crise de 1929 a appris quelque chose à cette génération, c’est bien de profiter de l’instant présent car, du jour, au lendemain, tout peut s’écrouler (p. 72). Beaucoup de fermiers chassés de leurs terres gagent leur pain quotidien en faisant de la figuration et s'agglutinent dans des bidonvilles d’infortune.
Peg est une petite fille que les tragédies ont fait grandir trop vite (p. 24). Travailleuse acharnée, divorcée d’un homme violent, elle estime que le cinéma est supérieur au théâtre, mais ce ne sera qu'un miroir aux alouettes, quoiqu'en disent les starlettes, ironisant cruellement sur les ambitions des comédiennes de théâtre : le cinéma, ce n’est pas une petite salle minable dans laquelle on joue des pièces miteuse écrites par des auteurs morts (p. 67).
En fait Zoé nous décrit une jeune femme prévenue dès le début des risques, un peu à l’instar de #Me too. Alors Peg ressent l’urgence à engranger le plus d’expériences possible dans un minimum de temps (p. 72). Elle a l’avantage et l’inconvénient de la jeunesse.
S’il y a parfois de l’entraide entre elles, les starlettes sont aussi rongées par la jalousie et la compétition fait loi. Peg, confirmée, est souvent préférée mais l’entremetteuse Wanda, abuse de ses charmes pour lui piquer les rôles. Elle ambitionne de jouer dans Hypnose. On apprendra qu'on préfère à Peg une certaine Katherine Hepburn, alors inconnue, pour le film, Heritage, qui effectivement lancera sa carrière (p. 99).
Zoe Brisby rappelle les contraintes du code Hays qui comporte des thèmes à éviter de traiter dans les longs métrages, surtout rien que la morale bien-pensante puisse réprimer. Cela n’empêche nullement les producteurs de se conduire comme des porcs avec une hypocrisie méprisable. Il faut savoir aussi qu'Alfred Hitchcock martyrisa ses actrices. Tipi Hedren dans Les oiseaux, comme Joan Fontaine sur le tournage de Rebecca, vécurent des calvaires. Et la scène du viol de Maggie est sans doute en deçà de la réalité (p. 188). Le clivage est perceptible entre les assoiffés de pouvoir qui ferment les yeux et ceux qui subissent.
Quelques informations plus légères sont semées entre les pages. On apprend que c’est Elizabeth Arden, qui a rendu accessible le maquillage jusque-là réservé aux classes inférieures et aux prostituées (p. 58). Et que le lunch-wagon a précédé le food-truck. Tous deux obéissent au même concept de camion-Restaurant, inventé par Walter Scott (p. 124).
La prohibition interdisant la production et la vente d’alcool -elle aussi grandement hypocrite puisqu'elle a encouragé à trouver des alternatives (p. 78)- vit ses dernières heures. Le pays a besoin de l’argent rapporté par les taxes sur l'alcool et fera fi de la morale au profit de bénéfices juteux. L'auteure se montre souvent critique à l'égard de l'Etat américain, à juste titres semble-t-il aussi concernant opinion les JO à un moment où le pays croule sous les dettes. Les fermiers et les chômeurs manifestent pour obtenir de quoi manger et le gouvernement ne trouve rien de mieux que d'accueillir des jeux qui vont grever encore plus le déficit (p. 198).
Le talent de conteuse de Zoé Brisby fait le reste et on suit avec émotion le destin de cette jeune femme qui n'avait pas mérité une telle fatalité.
Une photo iconique de Jacques Henri Lartigue en noir et blanc est reproduite sur la couverture. Elle représente une très jolie baigneuse … très éloignée du caractère et du mode de vie de la jeune Peg, laquelle n'avait pas le temps de s'adonner au farniente sur une plage et qui n'en avait sans doute pas envie.
Il n'en reste pas moins un roman touchant, qui est tout à fait dans le ton des confidences que nous fait Catherine Silhol dans La dernière conférence de presse de Vivien Leigh au théâtre du Poche Montparnasse depuis le 6 mars dernier.
L'actrice fait revivre cette époque qui n'a pas fini de nous faire tourner la tête. Je veux bien croire qu'une dame blanche se promène certains soirs sur la colline du mont Lee et qu'il s'agit peut-être du fantôme de Peg.