Sophie, Alice et Jeanne se voient régulièrement. Mais entre deux papotages, elles ne peuvent s'empêcher de se confier leurs états d'âme par mail. Parfois l'échange est totalement partagé. A d'autres moments il s'agit de conversations privées, derrière le dos de l'une d'entre elles. Nous admettrons que c'est pour la bonne cause. Jeanne se fourvoie dans un dolorisme amoureux qui tracasse Sophie.
Elle a l'idée de lui redonner le gout de la séduction en la poussant à engager une correspondance avec un certain Ulysse dont elle vient de recevoir un message très évocateur qu'elle transmet illico à ses bonnes amies.
L'homme est brocanteur de son état, plutôt érudit. Jeanne est romantique. Elle mord à l'hameçon sans réfléchir. Alice, kinésithérapeute et joueuse dans l'âme, se pique aussi tout de suite au jeu. Sophie la finaude leur propose, pour limiter les risques, d'écrire à Ulysse sous le pseudo d'Eva et de se répartir les jours de la semaine, comme s'il s'agissait d'une garde alternée.
Ce sont ces correspondances, entre cet homme et Eva, et entre les trois complices, qu' Ella Balaert nous donne à lire. Je me suis parfois égarée entre leurs "vraies" vies et ce qu'elles prétendent être. J'ai éprouvé de l'empathie pour cet Ulysse que j'ai trouvé très accommodant et relativement peu pressé de voir la belle Eva en chair et en os. Je me suis demandé laquelle des trois allait gagner le gros lot et qui perdrait le plus de plumes.
Ne comptez pas sur ma candeur pour vous révéler les motivations de chacun des personnages à poursuivre l'aventure. Je vous laisse la vivre à leur rythme.
Je vous livrerai juste quelques phrases dont le propos m'a touchée plus particulièrement :
Nous mourons à chaque instant des vies que nous ne vivons pas. Nous quittons sans cesse, sans le savoir, les hommes que nous n'aurons pas aimés. Pourquoi n'avons-nous qu'une seule vie ? (Sophie à Alice, page 126)
Une association de femmes battues a pris contact avec moi (...) Je ne te parle pas des nez cassés, des yeux pochés, des cotes fêlées (...) Avec de la patience, de la douceur, du doigté, j'espère en sortir quelques-unes de là. (Alice à Jeanne page 148)
A quel jeu scabreux jouons-nous ? J'ai l'impression de ne pas avoir toutes les règles en main, ou plutôt que celles-ci se modifient au fil des messages, comme certains plateaux de jeux de société peuvent changer en cours de partie. Mais ici, quel est l'enjeu ? Chacun mise son ego, l'image que nous voulons montrer. (Eva sous le clavier de Jeanne, page 149)
Avec son précédent livre, George Sand à Nohant, paru chez Belin en mars 2012, Eva Balaert abordait déjà la question de l'identité dans une écriture elle aussi polymorphe. Une femme se laissait enfermer dans la maison de George Sand après l'heure des visites et revivait le passé en compagnie de fantôme.
Ici le thème de l'estime de soi traverse le livre. Cette force est-elle innée pour les uns, une compétence à travailler pour les autres, un état perdu à reconquérir ? La question divise les optimistes et les fatalistes, comme Sophie qui apportera le mot de la fin : Il ne faut jamais faire confiance à qui que ce soit.
Le site de l'écrivain http://ellabalaert.wordpress.com
1 commentaire:
J'avais moi aussi beaucoup aimé cette correspondance dans laquelle "on" avance masqué...
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