Salomé Villiers avait créé ce Jeu de l'amour et du hasard en coréalisation avec le Lucernaire en avril dernier. Ce fut un succès cet été en Avignon et revoilà cette pièce dans le théâtre de la rue Notre-Dame-des-Champs jusqu'au 23 octobre.
Voilà six ans que Salomé Villiers, François Nambot et Bertrand Mounier, ont baptisé leur compagnie : La Boîte aux Lettres. Un nom choisi intentionnellement pour signifier la réunion de talents de multiples horizons : comédiens, metteurs en scènes, auteurs, chanteurs, compositeurs et danseurs. Les Lettres pour mettre en avant les textes classiques, revisités et livrés à un public conquis par la modernité des partis pris de mise en scène associée à la puissance de la langue des grands auteurs.
Après un fantasque Labiche (Mon Isménie et La Dame aux jambes d’azur en 2009), un Feydeau déjanté (Amour et Piano en 2010), et un Garcia Lorca intense (Yerma en 2011), ce Jeu de l’Amour et du Hasard de Marivaux va conquérir le public.
Il faut beaucoup d'audace pour monter la pièce probablement la plus célèbre de Marivaux. La jeune femme a transposé la situation (presque) à notre époque et dans un jardin anglais bruissant de chants d'oiseaux. Des esprits chagrins n'apprécieront pas. De mon point de vue ils auront bien tort parce que le parti-pris est tenu jusqu'au bout et que les acteurs interprètent cette comédie à merveille. Je craignais de m'ennuyer (parce que je connais la pièce) et je suis sortie conquise.
Pour ceux qui auraient oublié l'intrigue : Orgon, le père de Sylvia annonce à sa fille son intention de la marier à Dorante, qu'elle n'a jamais rencontré. Elle demande à sa servante Lisette de se faire passer pour elle afin d'avoir des informations de première main sur le fiancé qu'on lui destine. L'idée serait bonne si le jeune homme n'avait décidé de prendre les vêtements de son valet Arlequin.
Chacun tombe immédiatement amoureux de sa chacune et les rebondissements se succèdent sous le regard plutôt complice du père et du frère Mario.
Les rires fusaient en permanence ce soir, témoignant de la qualité du jeu et de la modernité d'un texte écrit tout de même au XVIII° siècle mais que l'on entend parfaitement parce que la diction n'est pas sacrifiée. La performance mérite d'être soulignée.
L'emploi de la vidéo (projetée sur un grand drap que l'on tire au moment idoine) pour ponctuer chaque acte est très judicieux parce qu'il installe un lien complice et décalé avec le spectateur (pour peu qu'il accepte de se laisser convaincre par un nouveau regard). Les costumes sont datés XX°siècle et les musiques pop et rock nous replongent dans les années soixante dont il est utile de réécouter les paroles.
On entend Time de David Bowie (1973), puis With A Girl Like You de The Troggs (1966)
Je veux passer ma vie avec une fille comme toi,
Et faire toutes les choses que tu voudras que je fasse (...)
Je peux dire à la façon dont tu es habillée que tu es si raffinée
Et à la façon dont tu parles que tu es exactement mon genre.
Have Love, Will Travel de The Sonics (1965) est un hymne à l'amour fou, aux pulsions incontrôlables (Ton amour si spécial rend un homme dingue, disent les paroles)
Le spectacle s'achève avec ce standard des Beatles (1963) She Loves You rassure : Tu pensais avoir perdu son amour mais non et sois content.
Salomé Villiers a fait un vrai travail dramaturgique pour sa seconde mise en scène qui se sent sur le plateau : Le propos de Marivaux résonne en moi de par ses personnages forts de caractère, pris au piège entre leurs désirs profonds, désirs d’amour ou de reconnaissance, et les règles de la bonne société. Tout en glissant peu à peu vers la critique sociale, nous ouvrons le bal sur une révolution féministe pour conclure par les prémisses d’une révolution humaniste. Peut-on dépasser les codes d’une condition et accéder à la classe supérieure ? Le retour cruel à l’équilibre naturel ne profite qu’aux nobles, bien soulagés de se reconnaître sous le masque des pauvres. C’est là que se trouvent l’amertume et la cruauté derrière la douceur du romantisme car les sentiments amoureux sont en accord parfait avec le jeu des conventions sociales.
Etre aimé pour soi et non pour l'image que l'on projette est une préoccupation éternelle. Comme élaborer des manoeuvres pour s'assurer de la profondeur des sentiments de l'autre avant de s'engager durablement. Je veux un combat entre l'amour et la raison dira Sylvia.
Arlequin rassure Lisette : En changeant de nom tu n'as pas changé de visage. Vous l'aurez compris la pièce marque le triomphe des sentiments vrais.
Arlequin rassure Lisette : En changeant de nom tu n'as pas changé de visage. Vous l'aurez compris la pièce marque le triomphe des sentiments vrais.
Je n'abuse pas des teasers mais pour cette pièce c'est très justifié pour achever de vous convaincre de prendre ce risque (mesuré) de vous laisser déconcerter avec ce Marivaux.
Le jeu de l'amour et du hasard de Marivaux
mis en scène par Salomé Villiers
avec Salomé Villiers (Silvia), Raphaëlle Lemann (Lisette), Philippe Perrussel (Orgon), Bertrand Mounier (Mario), François Nambot (Dorante) et Etienne Launay (Arlequin)
Vidéos : Léo Parmentier
Au Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris 01 45 44 57 34
Du 31 août au 23 octobre 2016
Du mardi au samedi à 20 heures, le dimanche à 18 heures
Rencontre avec l’équipe artistique le vendredi 16 septembre 2016 à l’issue de la représentation.
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de © Julien Jouvelin ou de © Héléna Soubeyrand - La boîte aux lettres.
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