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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.
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mercredi 13 août 2025

Refaire l’amour de Xavier de Moulins

Xavier de Moulins est un des auteurs que j’aime lire. Depuis quelques années il s’est concentré sur les affaires familiales. Refaire l’amour est inspiré d’une histoire vraie de féminicide. Une de plus, direz-vous (je pense en particulier au livre éponyme que j’ai lu il y a quelques jours), mais son approche est originale puisqu’elle est faite du point de vue de l’ex-épouse du meurtrier en insistant sur le stress post-traumatique dont elle est victime, notamment parce qu’elle ne peut se résoudre à occulter une culpabilité diffuse.
"Ai-je ma part dans ta chute ? Cette question me hante. Je le crois, Olivier, et ça me tue. Une partie de moi se sent complice de ce que tu as fait.
Dis-moi que je me trompe ! Dis-moi que c’est faux ! Sors-moi de là, nom de Dieu ! Tu me dois bien ça".
Irène vient donc dix-huit mois après les faits, chercher refuge dans la maison où vécurent ses parents et qui à juste titre continue de mériter son surnom de "cabane". Elle est bâtie à l’ombre d’un arbre imposant et protecteur qui monte jusqu’au ciel. Il a été étrangement baptisé Thomas, un prénom qui évoque la réflexion, la quête de vérité et une personnalité ayant de fortes valeurs.

Le roman fait alterner de brefs extraits d’ordonnance judiciaire et des descriptions de l’état dépressif de cette femme qui a recours aux cigarettes, aux anxiolytiques et à l’alcool pour tenter de mettre ses souffrances à distance. On comprend qu’elle devra faire face à deux échéances. La première, qu’on imagine douloureuse, sera l’estimation d’un prix de vente plausible pour cette maison à laquelle elle reste très attachée. La seconde à la retrouvaille avec sa fille programmée le lendemain pour faire connaissance avec son petit-fils. On devine qu’elle appréhende ce moment en raison d’un différend dont on ne connait pas complètement la teneur.

La question de la culpabilité de la survivante est peu habituelle s’agissant d’une ex-épouse qui avait toutes les raisons de ne pas éprouver la moindre empathie à l’égard de sa rivale. L’auteur la justifie par un raisonnement complexe d’où il ressort qu’en se croyant protégée (un mot qui revient régulièrement) auprès de son ex-mari Irène aurait manqué de clairvoyance, et surtout lui aurait trop facilement cédé : il n’aimait pas la contradiction, lui préférait les confrontations, débattre et avoir raison. J’ai fini par me taire (p. 75). Il ajoute qu’elle a conçu de la honte à se taire, parce que se taire, c’est accepter, et accepter, c’est être complice. Le moindre souvenir devient une preuve dans le procès qu’elle mène à charge contre elle-même. Ainsi le fait qu’Olivier adorait tirer à la carabine aurait dû l’alerter.

Xavier de Moulins établit un parallèle avec le film Les choses de la vie, quand le personnage interprété par Michel Piccoli a encore le choix entre deux trajets, soit la route du retour vers son domicile, soit celle qui doit le conduire vers sa maîtresse, Romy Schneider. Il choisit en quelque sorte la mauvaise puisque c’est celle où il aura un accident mortel.

Eloïse le lui fait entrer de force dans le crâne : tu dois en finir avec cette culpabilité de survivante et retrouver ta vie (p. 216). Sur le papier je n’y suis pour rien. Mais dans ma tête, cette chanson-là sonne faux.

Elle se sent victime consentante … et complice (prise en étau dans une sorte de syndrome de Stockholm). Et pourtant elle souhaiterait se libérer et faire ou refaire de nombreuses choses, y compris l’amour (d’où le titre).

J’ai aimé la fin presque ouverte, et plutôt positive, à l’inverse de ce qu’on aurait pu imaginer en lisant que la violence n’éteint jamais sa lumière. Les victimes donnent la vie à d’autres victimes (p. 102).

Les autres critiques de romans de Xavier de moulins sont ici

Refaire l’amour de Xavier de Moulins, Flammarion, en librairie depuis le 5 mars 2025

mardi 2 août 2022

Toute la famille ensemble de Xavier de Moulins

Avant de me lancer dans le marathon de la rentrée littéraire j'ai voulu prendre le temps de lire un roman que j'avais fait patienter : Toute la famille ensemble.

C'est en quelque sorte une lecture idéale pour l'été, ou du moins pour traverser une de ces périodes propices aux rassemblements familiaux, même si je n'ai pas eu la chance de vivre semblables évènements pour diverses raisons. En tout cas j'en ai la nostalgie et Xavier de Moulins raconte avec beaucoup de finesse ces moments où les tensions sont quasiment gommées par la magie des retrouvailles.

Dans la famille dont il nous invite à partager les joies et les peines, le rituel se répète pour chaque fête. Ainsi ils vont encore se retrouver pour le week-end de Pâques. Avec mon frère, avec mon père. Toute la famille ensemble. (p. 128)

La volonté de la grand-mère de maintenir la tradition a donné le titre au roman.
Grand-mère excentrique et passionnée, Paprika organise chaque année la fête du printemps. Dans sa maison remplie de souvenirs, elle reçoit ses enfants, ses petits-enfants, son ex-mari aussi… et la jeune femme qu’il vient d’épouser. Il y a ceux qui ont de nouveaux rêves, ceux qui s’accrochent à ce qu’ils ont construit, et ceux dont la vie bascule du jour au lendemain.
Paprika est la mère du narrateur et ce personnage est très touchant. Très alcoolisée, très baba-cool aussi. "Elle était d’accord pour qu’il parte avec cette fille, puisque son coeur ne battait plus pour elle comme avant, et puisqu’un coeur ne se capture pas, ne s’enferme pas. Elle l’a embrassé une dernière fois et bu pas mal pour oublier.
Elle n’a jamais depuis rebouché la bouteille.
Ma mère a pris le parti de rire elle aussi de cette séparation. Quitte à en pleurer parfois. (…) Ma mère parle beaucoup mais se tait sur l’essentiel. "

L'auteur doit avoir une tendresse particulière pour les personnes âgées parce que ce n'est pas le premier de ses livres qui comporte une grand-mère qui a les qualités, le dynamisme et la tendresse dont on rêve tous. Et tandis que cette femme s'active pour que tout soit réussi le fils, lui, n'assume pas du tout ses soucis.

Il parle de sa femme en utilisant le temps présent tout en nous confiant qu’il devrait peut-être "mettre (les verbes) à l’imparfait et au passé simple". Il ajoute, et c’est ô combien juste : "en amour, la concordance des temps est une drôle de religion".

Quelques jours plus tard je lisais Éloge de la passion de Carlotta Clerici et il m'a semblé rencontrer cet homme dans le personnage de Pierre. Etrange coïncidence.

L'écrivain connait bien le tempérament humain, et la passion sans doute. Mais le journaliste n’est jamais loin derrière. Ainsi a-t-il raison de souligner que, chaque année des centaines de quadragénaires et de quinquagénaires se retrouvent sur la case départ. Leur point commun ?  Les revers de fortune, les accidents de la vie. (…) Ces hommes ont perdu leur travail, ces hommes ont basculé. Tout s’est enchainé : leur femme les a quittés, ils ont perdu leur logement, ils se sont retrouvés à la rue, ou plutôt ils se retrouveraient sur le trottoir si leurs parents n’étaient plus de nouveau en état d’accueillir leurs enfants devenus grands et vieux en un claquement de vie. Choc des cultures, choc des générations (p. 76).

Et Xavier de Moulins poursuit sa comparaison : L’amour et le CDI sont de fausses promesses. (…) Une rupture amoureuse est un licenciement, un licenciement est une rupture.

Autre synchronicité avec Diego Lambert, le héros de Crédit illimité de Nicolas Rey que je chroniquerai dans quelque jours. Mais tout en se situant dans l'air du temps et tout en abordant d'éternelles problématiques, Xavier de Moulins réussit à distiller du suspense dans la vie de ses personnages. Et à diablement bien parler de l'échec.

Je tâcherai de me souvenir de la leçon de vie de Paprika : On ne retient pas un coeur qui bat pour un autre (p. 126). Mais ne vous attendez pas à ce que je vous dise si cette noble attitude porte ses fruits. Et si tout le monde en sort gagnant …

Chacun a-t-il la force (ou la sagesse, ou une autre motivation) pour souhaiter le meilleur à l‘autre quand il s’en va ?

Toute la famille ensemble de Xavier de Moulins, Flammarion, en librairie depuis le 2 mars 2022

dimanche 31 mars 2019

La vie sans toi de Xavier de Moulins, JC Lattès

La couverture est très étonnante ... pour peu qu'on la regarde attentivement. Le reflet des personnages met le lecteur sur la piste : la réalité ne sera peut-être pas celle à laquelle on s'attend. Autrement dit, les apparences seront trompeuses.

Avec La vie sans toi, Xavier de Moulins (dont je parle en le considérant de plus en plus comme écrivain plutôt que journaliste, même si bien entendu il l'est toujours) bascule franchement dans le roman noir, tournant que j'avais déjà pointé il y a quelques mois dans Charles Draper

On retrouve les mêmes constantes que dans ses livres précédents : culpabilité et sacrifice, enfer et paradis, confiance et jalousie ... peut être exacerbés dans ce dernier où la violence monte crescendo.

Je ne voudrais pas trop en dire. La vie sans toi est un thriller psychologique qui prend racine (comme le roman d'Alain Gillot, S'inventer une île) dans la perte d'un enfant, Stan, qui remonte à 8 ans. J'en ai sans doute déjà trop dit ... mais il reste des secrets à découvrir.

Là aussi la mère et le père ont chacun une approche différente du deuil. Avec un obstacle supplémentaire qui est la difficulté de la communication au sein du couple. L'auteur alterne les points de vue, nous donnant celui de l'un puis de l'autre. Le lecteur se place donc dans le cerveau de Paul puis d'Eva pour revivre la même scène, ce qui installe un récit ralenti par les constants retours en arrière. Xavier de Moulins fait en quelque sorte bégayer l'histoire.

Là où il est diabolique c'est lorsqu'il fait intervenir d'autres personnages dont on ne mettra pas en doute les intentions ... puisqu'on se pense tout puissant, nous lecteurs, à disposer depuis le début de la première partie de toutes les clés pour comprendre Paul et Eva. On a curieusement oublié l'introduction qu'on relira avant de refermer le livre.

C'est un des intérêts du roman que de penser avoir tout compris et d'être ensuite surpris par un retournement inattendu. Il serait donc stupide de relater, ne serait-ce qu'une partie de l'intrigue, dont la complexité est diabolique, renforcée par une construction intercalant le présent avec le passé, voire même le futur suivi d'un très étonnant futur antérieur dans la troisième partie (p. 313).

Je peux néanmoins dire qu'il sera question de migraine, chez plusieurs personnages, et d'un médicament très particulier (p. 86) qui pourrait bien s'avérer être plutôt un poison. Que Xavier de Moulins offre un très beau personnage de wonder woman, à la fois maman et manager, qui, nous dit Paul n'est pas de ces femmes qui s'effondrent à cause de la douleur mais de celles que la douleur renforce (p.32).

Sa force n'est peut-être qu'apparente. Elle nous prévient (p. 36) : je suis le mur porteur, la pierre angulaire de la vie de famille, et je me lézarde.

Le fusil de la jalousie (p. 106) retentira plusieurs fois. Je vous laisse découvrir comment à force d'être fragile, on devient une proie, à moins d'être soi-même un bourreau. Le départ d'une femme n'est rien comparé à la mort d'un enfant, mais quand les deux s'additionnent, on peut y rester (p. 140).

Les frontières s'abolissent entre le futur et le passé, le réel et le fantasme, la vie et la mort, la sagesse et la folie. une chose est sûre : Un mort ça ne claque pas des doigts pour réparer les vivants (p. 230).

Un dernier conseil pour accompagner votre lecture : écoutez Lose yourself d'Eminem pour vous donner du courage. Je vous aurais prévenu, c'est un roman noir, ... noir. Sachez tout de même qu'il existe toujours un moyen de contourner les obstacles qui nous font croire qu'il n'est plus possible d'aller plus loin (...) c'est l'imagination et l'amour (p.326).

A l'instar d'un tableau de Soulages, le noir peut chez Xavier de Moulins devenir lumière.

La vie sans toi de Xavier de Moulins, JC Lattès, en librairie depuis le 27 mars 2019

samedi 14 janvier 2017

Rencontre avec David Biauche et Xavier Marfan à la Factorerie

Une factorerie, c'est un nom qui désigne le comptoir, ou le bureau d’affaires d’une compagnie de commerce en pays étranger. C'est le nom d'une toute petite entreprise qui travaille dans l'excellence en matière de café.

Et il y a, croyez-moi, beaucoup de savoir-faire à mobiliser avant que le breuvage ne coule dans la tasse. J'ai rencontré David Biauche qui m'a initiée en quelque sorte à cet art.

Historiquement, la porte d'entrée du café est le port du Havre. Ça l'est toujours. Les plus grosses maisons mondiales y sont restées. Factorerie est installée en région parisienne mais en cas d'urgence David me confie filer au Havre.

A la base le café est une cerise, bien rouge, qui sera décortiquée sur le lieu de production.

Plusieurs techniques existent d'ailleurs pour séparer la pulpe de la fève, soit en utilisant l'eau, soit la chaleur du soleil. On découvre alors une graine de couleur plutôt verte, céladon en général, que l'on va se disputer à prix d'or.

David Biauche m'apprend en effet que le marché du café est le plus négocié au monde après le pétrole. Il prend position 12 à 18 mois à l'avance, jusqu'à 24 mois pour les produits d'exception, ce qui serait selon lui " une vraie galère", quoiqu'il adore son métier et puisse s'enorgueillir de viser le haut de l'iceberg, donc de la très grande qualité. Il pourrait acheter au jour le jour mais son rôle est lus intéressant en s'efforçant en effet d'anticiper les goûts et les tendances, en tenant compte, tant que c'est possible, de la Bourse, du taux de change de l'euro puisque on paie en dollar, et d'un différentiel qui varie constamment. Comme si ces variables ne suffisaient pas, David insiste sur l'aspect aléatoire des opérations.

Ceci posé, l'essentiel de notre conversation s'est concentrée sur le seul défi sur lequel il peut agir : trouver des produits différents qui feront le bonheur de sa clientèle d'épiceries fines et de chefs triplement étoilés. Des cafés d'exception mais néanmoins accessibles à des palais qui commencent à être éduqués.

mardi 16 février 2016

Charles Draper de Xavier de Moulins, chez JC Lattès

Quel thriller ! Je m'attendais à une comédie dramatique dans la lignée des précédents romans que j'avais d'ailleurs particulièrement appréciés. Ce fut un uppercut. Qu'on ne se méprenne pas. J'ai aimé aussi. Beaucoup même.

Page 156 j'étais (moi aussi) sonnée en "refermant" l'Ipad (puisque je l'ai lu en format numérique). Et ce n'est qu'en reprenant mes notes électroniques que j'ai pris conscience que je n'avais pas remarqué les deux dernières pages. La fin s'en trouve changée.

Avec ce quatrième roman Xavier de Moulins confirme un statut d'écrivain.

Charles Draper forme avec Mathilde un couple qui semble idyllique. Sauf que pour lui faire plaisir il a consenti à un sacrifice qui va s'avérer peut-être lourd de conséquence : il a accepté cette mise au vert uniquement pour le bonheur de sa femme. Sans elle, il n'aurait jamais quitté la rue de Vaugirard. C'est beaucoup, toute cette verdure, même à mi-temps. et ce calme étourdissant aux allures de cauchemar d'enfance, ces allers-retours en train, tout l'argent dépensé pour cette ruine. (p. 28)

Et la dernière réplique du chapitre sur le conseil de sa soeur : profite bien de ton coin de paradis, c'est vraiment d'enfer, sème un sérieux doute dans notre cerveau de lecteur.

Pour ce qui est des doutes, Charles nous bat à plate couture. Il estime que Mathilde s'éloigne de lui depuis qu'il prend le train. Comme si la distance kilométrique engendrait une distance affective.

Charles est un manager. Il dirige une entreprise de déménagement. Il a l'habitude de régler des problèmes. Alors il cherche une solution à l'énigme qu'il traverse. Tout fait indice et alimente le feu de sa jalousie. Car c'est bien dans cet engrenage qu'il est en train de se faire broyer. Sauf si, comme le lecteur le suppose, il y a une autre explication à trouver.

Xavier de Moulins laisse échapper un important détail au tout début : Charles a du sang derrière l'oreille. Charles va pourtant gagner notre empathie au bénéfice du doute. Son angoisse, si féminine, d'être trop gros et d'avoir quelques kilos à perdre, donne envie de compatir. On devine que son programme de  coaching (p. 56) aura raison de son organisme : le lundi c'est le jour des épaules et des bras. Le mardi, celui des pectoraux et des abdominaux. Le mercredi, la séance jambes, le jeudi, fessiers, triceps et obliques se conjuguent au plus-que-martyre. le vendredi, retour à la brioche, course sur tapis, longue séance de cardiotraining. Le samedi, programme plus léger consacré à la marche rapide en côte, et encore une fois à se brûler les abdominaux. Enfin le dimanche ...

Parallèlement, Mathilde ne va pas très bien. Charles a donc raison de s'inquiéter :  À force de remettre son chagrin à plus tard, il a forcé tous les barrages. Mathilde sait très bien pourquoi cette envie de pleurer la submerge. (p.60)

Touchant dans sa maladresse à comprendre pourquoi sa femme va si mal Charles se remet davantage en cause, poursuit le coaching sportif plutôt courageusement, se met à suivre le rythme de ses équipes de déménageurs, frôle l'AVC ... (p. 66).

On voudrait sourire, se moquer un tantinet, mais Xavier de Moulins n'a pas écrit une comédie romantique. On n'oublie pas le mot sang qu'on a lu page 9.

C'est logique, notre homme craque, terrassé par la peur de tout perdre, écrit-il page 67.

Il faut reconnaitre que la technologie n'est pas systématiquement une alliée : Autrefois, après l'amour, on fumait une cigarette ; aujourd'hui on allume son portable. On dirait que Mathilde a un nouveau message.

Autrefois effectivement le démon de la jalousie amenait à faire les poches et à étudier l'agenda. Aujourd'hui l'envie de fouiller dans la mémoire d'un téléphone est difficilement contenable (p. 81). En faisant office d'appareil photo, de camera, de boite aux lettres instantanées, nos téléphones sont les couteaux suisses de la trahison, des accélérateurs de paranoïa.

Et c'est bien dans une furie de cet ordre que Charles est tombé. La jalousie taquine qui serait touchante s'est élevée au niveau d'un tsunami. Il va subir la fatigue et le stress engendré par l'intensité de son programme sportif, contrôlé par bracelet électronique comme un prisonnier en liberté conditionnelle. Charles se fait des films de plus en plus lourdement scénarisés par ses angoisses.

Le naufrage de la vieillesse de ses deux parents (p. 111) ne lui offre pas une perspective rassurante. Tout cela va mal finir. Probablement.

Ne comptez pas sur moi pour vous révéler la chute. Je vous dirai juste que Charles Draper est un échafaudage dramatique admirablement architecturé. C'est un de ces romans que l'on n'oublie pas.

Charles Draper de Xavier de Moulins, chez JC Lattès, en librairie depuis le 10 février 2016

NB : Les numéros faisant référence aux citations ont été relevés sur une version numérique de 156 pages.

samedi 17 janvier 2015

Les souvenirs de Jean-Paul Rouve

Romain a 23 ans. Il aimerait être écrivain mais, pour l'instant, il est veilleur de nuit dans un hôtel. Son colocataire a 24 ans. Il ne pense qu'à une chose : séduire une fille, n'importe laquelle et par tous les moyens. Sa grand-mère a 85 ans. Elle se retrouve en maison de retraite et se demande ce qu'elle fait avec tous ces vieux. Son père a 62 ans. Un jour il débarque en catastrophe. La grand-mère a disparu, évadée en quelque sorte. Romain part à sa recherche, quelque part dans ses souvenirs…

Mis en scène par Jean-Paul Rouve, Les Souvenirs est l'adaptation cinématographique des deux tiers du roman homonyme de David Foenkinos paru aux éditions Gallimard. Les deux hommes ont occulté la fin de l'histoire qui évoquait la vie de Romain (Mathieu Spinosi) avec Louise (Flore Bonaventura). Par ailleurs, d'autres modifications scénaristiques ont été apportées, telles que l'apparition du colocataire (William Lebghil) et l'épaisseur donnée au personnage du père.

Ils se sont manifestement régalés à ciseler les dialogues :
T'as une tête de dépressif un peu comme un écrivain.
Quand le présent n'avance plus, faut mettre de l'essence dans le passé.
N'ayez pas peur du bonheur, il n'existe pas.

Avec une telle philosophie il vaut mieux prendre la vie du bon coté. C'est ce que font chacun des personnages ... mais chacun à leur manière.

Le père (Michel Blanc) fait semblant de se foutre de tout. Je dis au revoir à tellement de souvenirs ici, dit-il en trinquant sans grande conviction avec ses collègues de La Poste Paris-Pigalle au moment de son départ à la retraite.

Le colocataire cherche une fille pour tromper l'ennui. Il nous rappelle ce même Michel Blanc voulant "conclure" à tout prix dans le film les Bronzés.

On dirait que la chanson interprétée par Julien Doré (une très belle surprise) Que reste-t-il de nos amours ? répond aux interrogations de la mère (Chantal Lauby) et redonne un coup de peps à ce titre si célèbre de Charles Trénet.

Il y a de la nostalgie dans l'air. Traduite par le rituel d'anniversaire autour d'un plateau de fruits de mer et d'un fraisier somptueux à la Mascotte de Montmartre, sans pour autant parvenir à égaler le romantisme d'Amélie Poulain dans ce même quartier.

C'est surtout à Etretat que Jean-Paul Rouve nous entraine. On reconnait cette côte normande si sauvage, inoubliable pour qui s'est promené un jour sur ses falaises. La grand-mère y renoue, une dernière fois, avec son enfance. Annie Cordy est parfaite dans ce rôle. On va finir par croire qu'elle a adopté Michel Blanc. C'est la seconde fois qu'elle a ce grand garçon comme fils au cinéma. En 2004, ils étaient déjà liés par le sang dans Madame Edouard réalisé par Nadine Monfils qui m'avait fait le plaisir de m'envoyer quelques clichés du tournage à l'occasion de la publication de ma chronique sur son livre.
Audrey Lamy campe une directrice de maison de retraite que vous allez trouver un peu décalée par rapport à sa fonction. On pourrait penser que c'est une performance d'actrice mais ce type de personnage existe, je vous assure, et dans la vraie vie ce n'est pas drôle du tout d'y être confronté.

Les souvenirs se veut sans doute être une comédie. On aurait pu faire plus grinçant. Peut-on croire à cette classe d'élémentaire qui rassemble des petits anges autour d'une charmante institutrice ... ? Cette vision romantique de l'école est peut-être encore l'apanage de la province ... L'abandon, car c'est le terme juste, de cette grand-mère pétillante dans une "maison de vieux", fut-elle rutilante comme celle qu'on nous montre, ferait déprimer la plus alerte des octogénaires. La liquidation de son appartement, à son insu, est un vrai scandale que le réalisateur nous fait passer pour la normalité.

J'avais trouvé davantage de mordant dans le livre de Xavier de Moulins, Ce parfait ciel bleu, publié au Diable Vauvert en 2012. Plus de profondeur aussi. Je vous engage à le lire.

dimanche 23 mars 2014

Le Salon du Livre 2014 ...


(mise à jour le 11 mai 2014)

Dimanche soir, le Salon du livre s'achève et le bilan est semble-t-il très positif. Il suffit de jeter un oeil sur les étagères qui se sont vidées. Les piles ont fondu.

Rien d'étonnant. J'ai vu des dizaines de fans, un livre à la main, faire le pied de grue pour quelques secondes de partage avec leur auteur préféré.

Ce qui était amusant c'était d'écouter les petites phrases. Entre celui qui n'a pas reconnu une figure ultra médiatisée, cet autre si déçue que sa "vedette" ne ressemble pas (ou plus) à la photo qu'elle préfère renoncer à la dédicace ("Ah, ça, mieux vaut l'image !"), ou celle-ci qui ne cherche qu'à se photographier à coté d'une figure emblématique du show business, pour dare dare poster sur les réseaux sociaux, quitte à s'infiltrer de force dans une conversation, et surtout ne même pas faire semblant de s'intéresser à la personne en tant qu'auteur. Lire son livre ? On n'y pense même pas.

Vous aurez compris que tous les visiteurs n'ont pas des motivations littéraires. Cette année était un peu spéciale pour moi. J'y suis allée pour voir et revoir les auteurs que je connais (et réciproquement) et ce ne sont pas nos conversations que je vais déballer ici. Ces moments de partage, en particulier le soir du vernissage, sont des instants privés.
Je suis heureuse d'avoir pu voir ou revoir des personnes dont j'ai chroniqué les romans ces derniers mois comme Ariane Bois, Véronique Olmi dont le prochain titre sortira en janvier, Philippe Mathieu, Cookie Allez, Caroline Sers, Valérie Clo, Xavier de Moulins, Gilles Paris, Laura Berg, Brigitte Giraud, Sophie Adriansen, les auteurs de l'Ecole des loisirs (qui prépare déjà à fêter en 2015 son cinquantième anniversaire) ou du Square culinaire.

J'ai même fait la connaissance d'auteurs dont je vais lire les ouvrages dans un futur proche. Ces rencontres m'ont davantage intéressée que l'inauguration proprement dite, jeudi soir, par la présidente argentine, Cristina Kirchner et le premier Ministre français Jean-Marc Ayrault. 

A deux ou trois exceptions, je préfère aujourd'hui adopter l'oeil du visiteur lambda pour vous montrer ce que vous auriez pu voir si vous vous étiez égaré dans les allées, Porte de Versailles, et j'ai bien davantage tiré le portrait d'inconnus que de mes écrivains préférés, à deux ou trois exceptions près, comme je viens de l'écrire.

Egaré est le mot juste. Le repérage des stands au-delà du nombre 50 est toujours très compliqué, avec un chamboulement de l'ordre alphabétique qui provoque l'énervement. Mais même dans les hautes eaux j'ai remarqué une jeune auteure -dont je garde le nom secret- qui partait systématiquement dans le mauvais sens avant que je la remette sur le droit chemin.

Je n'ai pas mesuré la longueur des files mais il me semble qu'elle fut très longue pour Douglas Kennedy (chez Belfond), un peu moins étendue devant la table de Dominique Besnehard, immense en face d'Eric-Emmanuel Schmitt (chez Albin Michel) ... signant aussi bien la Trahison d'Einstein que les Perroquets de la Place d'Arezzo.
Le Salon du livre peut être cruel pour certains. J'ai remarqué quelques célébrités désoeuvrées devant une table vide. J'ai constaté combien les nombreux visiteurs se précipitent sur… les personnalités les plus médiatiques dans un mouvement de cohue qui lui-même aimante d'autres badauds. Bel attroupement devant Mazarine Pingeot (chez Julliard) qui, hélas pour elle, suscite davantage de remarques sur sa parenté que sur son travail d'écriture.
On voyait de surprenants groupes, affalés dans les allées, prenant leur mal en patience. Dans ces cas là il faut reconnaitre qu'avoir un bon roman à portée de main, ça aide à supporter l'attente. Il m'a semblé qu'avant espérer dire deux mots à Marc Lavoine à propos de "1er Rendez Vous" (Editions de la Martinière) il faudrait bien une bonne heure de patience.
Cécilia Attias m'a paru très studieuse ... appliquée à "bien" dédicacer ... une Envie de vérité, chez Flammarion.
... tandis que des lecteurs avaient décidé de s'offrir une retraite loin du brouhaha, de pique-niquer en toute discrétion derrière les stands, et de lancer des discussions. Me croirez-vous si je vous dis qu'à quelques mètres c'est la cohue dans des allées trop étroites ?
L'équipe de Babelio avait disséminé des extraits des critiques de ses membres sur ce qu'ils appellent les éditeurs partenaires. On m'a parlé de 500 cartons mais je n'y ai pas retrouvé un bout de mes chroniques. Je n'ai pas trop cherché tout de même. Un livre a attiré mon attention, réveillant une forme de culpabilité. J'avais promis de le lire. Il le mérite d'ailleurs et puis d'autres sont venus ...
C'est en cherchant Babelio que j'ai été orientée vers le stand MyBOOX où j'ai participé à un Speed Booking. Nous fûmes une dizaine à nous relayer de table en table pour nous convaincre les uns les autres de lire les livres que nous avions élus. Ce petit jeu littéraire pouvait rapporter de grands romans parus cette année ainsi que des liseuses Kobos Aura aux trois participants qui avaient obtenu les plus de voix.

Nous disposions de 90 secondes chrono pour faire l'article à un autre participant, et cela 9 fois de suite, avec ou non le même livre. Après chaque confrontation, on attribuait une note sur un petit formulaire avant de passer au concurrent suivant, et ainsi de suite, jusqu’à avoir rencontré tous les joueurs. Je n'ai pas remporté le premier prix mais, en me classant dans les trois premiers, je suis repartie avec plusieurs livres ... grâce à mon pouvoir de conviction et donc mon honneur de bloggeuse fut sauf. J'ai surtout eu envie de découvrir certains livres dont on a réussi à me persuader qu'ils me manqueraient.
Irène Cao (chez JC Lattès) était venue d'Italie pour présenter la trilogie italienne qui va bientôt détrôner 50 nuances de Grey et dans laquelle je vais prochainement plonger, en commençant par Sur tes yeux, une occasion de retourner virtuellement à Venise.

Chez Buchet Chastel, JM Erre savourait encore le succès de son passage à la Grande Librairie le soir de l'inauguration. Sophie Van der Linden confiait qu'un nouveau roman était fin prêt, dans un style radicalement différent de la Petite fabrique du monde. On peut faire confiance à son talent. Il s’appellera "L’incertitude de l’aube", paraîtra le 21 août, et je pense pouvoir vous en dire plus sur le sujet à la fin du mois de mai.
Andrès Neuman était venu spécialement pour Parler seul, un des derniers livres à m'avoir bouleversée. Il balaie mes scrupules à cette manie de vouloir se faire photographier à coté de x ou y. Il est manifestement si heureux ce soir que j'accepte.
C'est sans complexe que j'enchaine avec Dominique Dyens (chez Héloïse d'Ormesson), dont j'ai beaucoup apprécié Lundi noir, et dont je suis en train d'achever La femme éclaboussée, à paraître début mai dans la nouvelle collection Suspense au féminin.
C'est Norman Ginzberg qui a fort galamment insisté pour prendre le cliché. Si j'avais déjà lu Arizona Tom nous aurions "posé" tous les trois ... Ce livre apparaitra bientôt sur le blog.
Nadine Monfils (chez Belfond) reprenait la conversation avec un lectorat très fidèle qui navigue comme elle entre Bruxelles et Paris. Très reconnaissable à ses tenues vestimentaires, souvent vêtue de rose, elle orne ses dédicaces de jolis petits dessins et conseille d'aller au festival du film fantastique de Bruxelles. Après avoir envoyé le Commissaire Léon enquêter sur Il neige en hiver et le Silence des canaux elle retrouve le personnage ultra déjanté de Mémé Cornemuse qui cette fois prend des vacances à Hollywood. J'en parlerai bientôt.
J'ai fait connaissance avec Murielle Magellan (chez Julliard). Elle m'avait surprise en s'abonnant à mon fil Twitter @abrideabattue alors que je n'avais encore rien chroniqué à son sujet. Je découvre une femme très sympathique, que je vais très prochainement revoir à propos de son dernier livre, N'oublie pas les oiseaux. Elle m'a raconté avoir expérimenté elle-même cette situation particulière de ne pas ressembler à la photo qui était affichée grand format au-dessus de sa tête. Elle se souvient du regard de la lectrice balayant l'espace, allant de la photo à son visage ... persuadée que la personne qui était en train d'écrire sur son livre ne pouvait être qu'une imposture.
J'ai la tentation de paraphraser le titre du dernier livre de Anna Gavalda (chez le Dilettante) La vie en mieux (3ème place au box-office des ventes cette semaine) en lui décernant la palme de la dédicace "en mieux". Elle est la seule à prendre à ce point soin de son lectorat : deux assiettes de bonbons et surtout un confortable fauteuil, histoire de se sentir dans une certaine intimité. Et tant pis pour tous ceux qui attendent pendant que l'heureux élu tape l'incruste. Je ne vous montre pas la queue ... qui s'allonge sur plusieurs stands.
Antoon Krings (chez Gallimard) prenait le temps de croquer des insectes fidèles à son univers.
Claudie Gallay (Actes Sud) s'apprêtait à se mettre à table, pour dédicacer une Part de ciel (dont je viens de commencer la lecture). Elle m'apprend que son prochain roman, Détails d'Opalka, sortira dans quelques jours. La voici en conversation avec Frédérique Deghelt qui fait partie des 6 derniers finalistes pour le Prix de la Maison de la Presse 2014 (qui sera décerné au Centre national du Livre le 21 mai) avec Les brumes de l'apparence. J'avais beaucoup aimé La Vie d'une autre et j'avoue que je lui souhaite de l'emporter.
Certains auteurs étaient empêchés de dédicace, comme Sandra Mézière (chez Numerklire), que j'ai connue lorsque nous étions toutes les deux jury du Grand Prix des Lectrices de ELLE. Ses publications sont sur téléchargeables à partir d'un serveur. Ce mode de lecture est en pleine expansion mais j'avoue ne pas avoir encore pris le temps de l'explorer malgré mon envie de lire en particulier un de ses romans, Les Orgueilleux.
Le Salon du livre est aussi l'occasion de découvrir des opérations autour du livre, comme le Camion des Mots, ou le programme Nouveaux talents qui accompagne et révèle les écrivains de demain.
J'ai assisté à des séances d'analyse de manuscrits absolument passionnantes au cours d'une session du Labo de l'écriture de la Fondation Bouygues Telecom. Bruno TessarechClaire Silve (éditrice chez Editions JC Lattès) et Claire Debru (aux éditions NiL) ont analysé sans concession les 4 premières pages de premiers romans en cours. C'était passionnant ... et instructif.
Nous avons clos cette soirée par un moment convivial entre bloggeurs (merci Sophie) toujours agréable de retrouver ceux qu'on lit par voie électronique, pour deviser sans intermédiaire.
On voit ensuite le Salon sous un autre angle ... encore animé ici ou là sur les stands où les fêtards s'attardent, sans se préoccuper des chariots de ménage déjà en action. L'ambiance est sans comparaison avec celle du salon de l'agriculture, vivant jour et nuit à plein régime, mais il y avait tout de même une effervescence palpable.

A ceux qui estiment que je suis une "grande" lectrice j'ai envie de répondre que non. La production est immense et j'ai toujours un rayonnage de retard. Ainsi je n'ai ouvert aucun des 30 livres en compétition pour le Prix Orange du Livre 2014. Je repars avec La Petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon, chez Actes Sud (gagnée au Speed Booking). Avec La Fin du monde a du retard et N'oublie pas les oiseaux, j'aurai lu pile un dixième. Y aura-t-il le gagnant parmi eux ?

Je crois que je vais céder à la tentation de me connecter sur My Little Book Club pour lire en ligne le premier chapitre des autres même si c'est un peu bizarre que ces trois jours sur le Salon me renvoie finalement sur la toile.

lundi 24 février 2014

Que ton règne vienne de Xavier de Moulins chez JC Lattès

Je connais Xavier de Moulins. Vous aussi d'ailleurs: il est journaliste à M6. Son visage public donne les news tous les soirs à 19 heures.

Je connais Xavier de Moulins. Quand je l'ai vu, je veux dire en chair et en os, son visage émergeait derrière une pile de livres. Je venais de terminer Ce parfait ciel bleu et, toute à ma surprise d'être nez à nez avec l'auteur, je voulais lui exprimer en direct tout le bien que j'en pensais.

Une conversation s'engagea, un peu surréaliste lorsqu'il me confia que l'écriture lui permettait de s'évader de son boulot quotidien. Je lui ai alors bêtement demandé ce qu'il faisait dans la "vraie" vie.

- Je présente le JT.

Suivit ce qu'on appelle "un blanc" dans le jargon télévisuel. Je n'étais pas sûre d'avoir gaffé. C'était l'auteur qui m'intéressait, pas le personnage médiatique. Par chance il a pris mon ignorance pour un compliment. Avec raison. Je le comprends de pratiquer le journalisme pour vivre, l'écriture pour exister. 

Je connais Xavier de Moulins. Oui et non. Que ton règne vienne, fatalité divine, est un long poème en prose que j'ai lu une première fois, pour en entendre le texte, et puis une seconde pour en entendre l'histoire. Comme ces films qu'on ne regrette jamais de visionner à plusieurs reprises.

Du coup, j'ai pris mon temps avant d'écrire cette chronique. J'ai sursauté quand j'ai entendu Natacha Polony cuisiner l'auteur sur le fauteuil d'On n'est pas couché. Voilà que cette journaliste, d'habitude finaude, nous assène une comparaison avec La Maison Atlantique de Philippe Besson au prétexte que tous les deux (que l'on rapproche aussi bêtement parce qu'ils ont été journalistes à Paris Dernière) ont en commun la capacité à construire le suspense, une façon comparable de décrire le rapport père-fils, à la première personne, caractéristiques qu'on retrouve, dit-elle, dans quasiment la totalité des romans aujourd'hui. Elle regrette l'absence de discours sur le monde, en estimant que ses propos sur l'embourgeoisement des homosexuels est un peu faible en terme de réflexion sur l'état de la société. Tout en saluant la sueur de l'écrivain, et l'effort de construction elle se plaint enfin qu'on nous accroche juste sur l'émotion.

Comparaison n'est pas raison. Xavier de Moulins a fort aimablement expliqué qu'un roman n'a pas pour vocation à être une thèse de sociologie. Invoquant la liberté du romancier il revendique le droit de raconter une histoire d'amour avant, bonne pâte, de concéder qu'il écrira peut-être son prochain roman à la troisième personne.

Si Natacha Polony désire des billes pour élever ses enfants, qu'elle lise donc Mon métier de père, de Gilles Verdiani, chez JC Lattès. Ecrit il y a deux ans, il restera longtemps d'actualité. Et je vous encourage à en faire autant parce que c'est juste, et drôle à la fois.

Je m'étonne que la belle dame ne lui ai pas reproché de situer un chapitre sur deux en 2015 en y pointant la preuve que cette histoire était une invention. N'oublions jamais qu'un roman est une fiction et arrêtons d'y chercher des éléments autobiographiques (ou des réflexions sociétales). Xavier de Moulins le rappelle : le je peut devenir il à travers les livres.

Au tour alors d'Aymeric Caron de charcuter l'oeuvre au motif que l'auteur surferait sur la vague trendy du mariage pour tous et de la GPA, dont, ô sacrilège, il ne fait pas l'apologie. Que le journaliste soit pour ou contre est une question hors sujet. Puisqu'il faut se justifier l'écrivain expliqua avec pédagogie qu'effectivement aucun couple ne tient réellement debout dans ce livre, mais que ce n'est pas de lui qu'il parle, ni de son couple (qui se porte bien, et tant que j'y suis je vous dirai aussi que son père est décédé une quinzaine de jours après l'achèvement du livre, et que son amour paternel l'a aidé à se construire, voilà c'est écrit).

Ce qui est précisément intéressant c'est que parallèlement à ce constat d'échec, que fait le personnage principal, il démontre que d'autres duos sont peut-être plus solides, en l'occurrence un "couple" d'amis.

J'espère que cette émission de fin de soirée n'aura pas dissuadé les lecteurs. Que ton règne vienne  est un ouvrage qui procure un vrai plaisir de lecture. Un peu polar, un poil d'anticipation pour qu'on se demande comment les choses vont tourner alors qu'elles ont déjà eu lieu. Une écriture vigoureuse qui tient en haleine, surprenante et touchante. Des images taillées dans la roche.

Jean-Paul n'est "que" le père de Paul ... dont on remarquera qu'il est réduit à n'être que sa moitié. Un père démoniaque qui adresse au fiston un message d'interdiction : la vie est mon domaine, la vie n'appartient qu'à moi (p. 69).

Rien d'étonnant à ce que Paul soit tout le temps dans la fuite, et pas seulement dans l'évitement (salutaire) des passions destructrices. Il renâcle quand sa femme parie sur une scène de ménage : j'ai trop peur des conflits pour ressentir la peine qu'elle exige de moi (p. 111).

Son épouse peut bien faire monter les enchères. Rien n'est grave aux yeux de Paul. L'influence du père sans doute sur un petit garçon qui était prêt à tout (...) pour une reconnaissance ou un signe (...) de la part d'un père devenu imprévisible, jamais là où mes pleurs l'attendent. J'apprends la violence du vocabulaire,l'impact d'une phrase anodine (...) Il parait qu'on aime toujours ses bourreaux. (...) La bête est coriace, mon désir sans fin. (p. 68)

Xavier de Moulins écrit fort bien. Je ne vous copierai pas les quelques lignes qu'il cisèle sur la jalousie (p. 155-156). Tout est dit avec une économie cinglante de mots.

Au tennis comme dans la vie, rien n'est jamais gagné ou perdu (p. 134). Le chemin sera long avant que son règne vienne mais sa volonté triomphera. A vous de lire le roman pour découvrir de quelle victoire il s'agit et qui l'emporte.

Que ton règne vienne de Xavier de Moulins chez JC Lattès, février 2014

mardi 10 avril 2012

Ce parfait ciel bleu de Xavier de Moulins au Diable Vauvert

Ce parfait ciel bleu est un roman, le second écrit par Xavier de Moulins au Diable Vauvert.  C'est la destination vers laquelle Mouna, 88 ans et une énergie à faire pâlir d'envie de plus jeunes qu'elle, va entrainer son petit-fils Antoine dans une belle et ultime leçon de vie.

Le discours pourrait être convenu. Mais pas du tout. Parce que la plume de Xavier est énergique, un peu grinçante, mais avec juste ce qu'il faut d'ironie pour que tout passe. Les phrases sont brèves, les chapitres courts, le lexique est fleuri. Les images se suivent comme dans un diaporama bien enchainé. C'est efficace et pourtant sensible.

Ce que je regrette ? Et ce n'est pas la première fois. Qu'un éditeur n'ait toujours pas eu l'idée d'inventer le livre-CD. Parce qu'on aimerait écouter une bande-son choisie pour la circonstance pour accompagner notre lecture, un peu comme au cinéma. Même si les chansons citées sont des standards. Les quadragénaires en tout cas se rappelleront The End que les Doors chantaient en 1967. Et presque tout le monde a dans la tête la jolie déclaration mélancolique (page 88) de Frank Sinatra à travers le célèbre Fly me to the Moon (1964) dont l'auteur a la délicatesse de nous recopier les paroles.

En d'autres termes, emmène-moi au bord de la mer, serre ma main, sois sincère, je t'aime.

La romance d'Elvis Presley est "belle à crever" comme il l'écrit page 113. Le crooner enregistra Can’t Help Falling In Love en 1961, cette célèbre version américaine de Plaisir d'amour, pour le film Blue Hawaii.

Xavier de Moulins n'a pas choisi ces références au petit bonheur. Elles s'accordent pile avec la révélation que Mouna fera à son petit fils dès qu'elle se tiendra à coté de lui, la bouche couleur rouge absolu, élégante et distinguée, sous ce parfait ciel bleu (page 183) qu'elle a envie de revoir avant de se faire la belle ou, si vous préférez, d'y grimper l'âme légère.

Avant cela on aura découvert une Mouna hystérique devant des machines à sous, et gourmande des plaisirs de la vie. Ce n'est pas le moment de se priver d'un excellent whisky pur malt, un Aberlour s'il vous plait, ni d'un énorme plateau de fruits de mer, cette fois avec un verre de vin blanc sec pour que l'instant soit franchement impeccable.

C'est que Mouna a un caractère de guerrière et qu'elle restera sur le pont jusqu'au terme qu'elle s'est fixé. Quand on imagine le couple devant les flots c'est la vision du Titanic de James Cameron qui se superpose, avec Leonardo DiCaprio et Kate Winslet les cheveux dans le vent, et bien sûr la voix de Céline Dion (qu'il ne faudra pas oublier sur le CD à la prochaine édition).

On mettra aussi Le vent nous portera de Noir Désir que je vois cité assez largement ces derniers temps. C'est là encore une si belle chanson ...

On pourrait disserter : qui emmène l'autre voir la mer ? A première vue Antoine cherche à faire plaisir à sa grand-mère, mais n'est-ce pas elle qui l'entraine pour mieux sentir la limite. La sienne en premier lieu, face à cet océan qui la sépare de l'Amérique. Mouna n'aura de cesse de faire entendre un message que l'on peut résumer en six mots : vis au présent, aime au présent !

Elle le lui dira sur tous les tons. Refuser de se souvenir d'hier pour mieux embrasser demain (...) La vie passe tellement vite qu'on n'a pas le choix, il faut la mordre à pleines dents en acceptant que les situations nous échappent, sans s'en faire. (page 142)

Mouna ne cherche pas à revivre des souvenirs. Elle ne veut pas (re)voir la mer. De la même manière qu'on ne refait pas sa vie. On continue son chemin. Des phrases à tiroirs comme celle là ponctuent le roman jusqu'à la recommandation finale : fais de ton mieux et ne regrette rien, qui résonne comme un pléonasme. Car pourquoi regretter si on a fait de son mieux ? Et réciproquement.

Une des forces du livre c'est l'équilibre entre les personnages. Le jeune homme, quoique sa jeunesse soit relative, se pose les questions que bien d'autres vivent aujourd'hui avec ce qu'on appelle l'éclatement de la cellule familiale et les pseudo facilités de communication, qu'il s'agisse du Mac Book, de l'I Pad, d'Internet ou des textos qu'on tape à longueur de temps.

Un des paradoxes de la famille recomposée est bien de risquer de passer plus de temps avec les enfants d'un type qu'on ne connait pas qu'avec les siens.(page 64)

Que le père (ou la mère) qui n'a jamais piraté en douce le login de son enfant pour l'espionner sur Facebook jette la première souris à Antoine pour avoir lorgné sur Alice. On suit avec amusement la cérémonie de mariage qu'il nous décrit avec une ironie douce-amère, et pour cause puisque la mariée est son ex-femme et que sa mère a choisi d'y briller. L'auteur fait preuve d'une mauvaise foi plutôt piquante dans une église, pour juger que l'orgue y sonne faux par deux fois (penser à ajouter les deux Marches nuptiales de Wagner et de Mendelssohn pour laisser le choix).

Il a le coeur entre deux histoires. La suivante est Laurence qu'il a gagnée comme seconde chance au jeu video de son existence et qu'il nous présente comme Che Guevara du couple, avec 2 mariages, 3 enfants ... pas d'enterrement. Ce type de cérémonie sera plutôt sa spécialité à lui en ouvrant et clôturant le livre.

Si la philosophie de vie de Mouna est facile à comprendre elle n'est applicable que si on a fait le deuil de ses illusions. Antoine le sait bien. Au début d'une histoire on prend facilement l'autre pour une Ferrari avant de lui en vouloir de n'avoir à offrir qu'un moteur de 2 CV (page 38). La confrontation au principe de réalité peut être brutale si on ne s'y est pas préparé. Tout comme le séjour dans une résidence du type des Lilas, qui propose aux familles un système de préinscription avant la chute dans l'escalier et la fracture du col du fémur. Car personne n'est prêt (ni préparé) à devenir un jour les parents de ses parents. Finalement on est sur liste d'attente toute sa vie, de la crèche à la dernière demeure.

Mouna poursuivra sa route avec l'obsession de rester digne. Ce qui n'empêche pas la peur. La grand-mère a la frousse de mourir. Le petit-fils a la trouille de vivre. Mouna ne jugera jamais les actes des autres. Sauf quand même pour conseiller "d'accepter et de tourner la page ... pour ne pas passer à coté de sa vie". Et là encore elle sait de quoi elle parle.

Laissez-moi ajouter un titre ultime pour le voyage : Dernier rendez-vous de Sammy de Coster (Album Tucumcari) qui excelle aussi dans l'interprétation de Love me tender ...

Ce parfait ciel bleu de Xavier de Moulins au Diable Vauvert, mars 2012

dimanche 18 mars 2012

Bilan sur le Salon du Livre 2012

Le livre a tenu Salon de nouveau cette année du vendredi 16 mars au lundi 19 mars à la Porte de Versailles.

Après la Scandinavie c’était cette fois Moscou la ville invitée et les lettres japonaises qui furent à l’honneur. Elles inspirèrent la très belle affiche de la manifestation, un oiseau s’envolant d’un livre ouvert.

Sans atteindre un nombre de visiteurs égal à celui que draine le Salon de l’agriculture malgré des résultats en progression, c’est tout de même un rendez-vous apprécié des lecteurs comme des auteurs. Il suffit de se glisser dans une file de dédicace pour mesurer la qualité des échanges entre les uns et les autres. Des lecteurs qui sont accueillis comme des amis la plupart du temps, surtout quand ils n’en sont pas à leur premier entretien avec l’écrivain dont ils lisent tous les romans.

Le Salon a commencé la veille de l’ouverture officielle avec la soirée d’inauguration. Les stands étaient bondés. De redoutables pique-assiettes parvenaient à se faufiler malgré la vigilance des services d’ordre. A partir de 22 heures des verres étaient abandonnés sans remords ici ou là, comme si leurs utilisateurs, pris de panique avaient du quitter le pavillon précipitamment. Mais la plus grande originalité c’est de se croire au-dessus des lois si j’en juge par le nombre de fumeurs qui clopaient à tire-larigot dans les allées sans aucun état d’âme. Nous n’avons plus l’habitude d’assister à de telles addictions.

La signalétique a progressé depuis la précédente édition et il était plus aisé de se repérer même si la foule était tellement compacte qu’il n’était pas commode de se déplacer. Je ne suis pas particulièrement friande de scoops. Je peux tout de même vous dire que le nouveau roman de Delphine Bertholon, Grâce, paraitra lui aussi chez Lattès, et sera en librairie en mai. Qu’il faudra attendre septembre pour le nouveau Winckler chez P.O.L. Mais que le dernier (et inédit) Pascal Garnier, Cartons, est déjà chez Zulma. Les éditions La Branche poursuivent la collection Vendredi 13 avec de nouveaux titres aussi prometteurs que les premiers. Le challenge est d'arriver à 13 romans, par 13 écrivains différents. Le chien de Don Quichotte de Pia Petersen est un des nouveautés.

C’est chez Grasset que Claire Castillon a publié son dernier roman, Les Merveilles, dont l’écriture a été déclenchée par la mort de son chien. Les Bulles, paru chez Fayard avaient fait l’objet d’une chronique en septembre 2010. Ce n’est pas une trahison : c’est la même tête pensante qui anime les deux maisons.

On reconnait avec philosophie chez Buchet-Chastel que Fabienne Jacob puisse passer chez Plon. Véronique Ovaldé publiera, elle, au Point. Milena Agus sort une nouveauté, chez Liana Lévi bien sur. Et, ce n'est pas un secret, le projet d’adaptation cinématographique de Nicole Garcia de Mal de pierres, son best-seller, demeure toujours d’actualité.Vous préféreriez peut-être plus croustillant. Je ne vais rien révéler ici, discrétion oblige, de mes discussions coté adultes avec Véronique Ovaldé, Charles Berling, Xavier de Moulins, Gilles Paris, Nathalie Kuperman, Noëlle Chatelet, Jeanne Benameur ou Philippe Grimbert, et coté littérature jeunesse avec Frédéric Stehr, Michel Gay et Stéphanie Blake, qui dessine sur ses albums un lapin qui ne sait dire que caca boudin ... Les chroniques qui sont consacrées à leurs ouvrages parlent d’elles-mêmes.

Ambiance radicalement différente les autres jours même si la foule se bouscule pour faire signer des autographes à Mathias Malzieu , le chanteur de Dionysos, qui publie chez Flammarion Métamorphose en bord de ciel, et qui dédicace en voisin de Charles Berling Aujourd'hui maman est morte. L'acteur se prête avec bonne volonté aux séances photos de ses fans, venus spécialement avec une pile de photos sous le bras.

Plus loin cohue aussi pour Nicolas Canteloup, ou Anne Sinclair. A l’École des Loisirs la queue s’allongeait comme celle du marsupilami pour Claude Ponti dont on se demande s’il n’est pas davantage lu par les parents que par les enfants depuis quelques albums.

Mais le pompon en terme d’attroupement c’est encore un homme politique qui le provoque et j’ai eu de la chance de ne pas blessée par les poussées subites d’un service d’ordre agressif, plaquant les visiteurs contre des barrières pour laisser passer François Hollande. On ne peut plus visiter un Salon sans se trouver nez à nez.
J'ai découvert un nouveau concept, Ces livres qui changent la vie, fort judicieux, la bibliothérapie, consistant en quelque sorte à effectuer une prescription de lecture sur mesure après un entretien personnalisé pour cerner le profil littéraire. J'ai ainsi reçu le conseil de lire Une femme célèbre de Colombe Schneck, chez Stock.

Ma route a croisé les Causeuses qui œuvrent habituellement dans le métro pour murmurer avec leurs drôles de tuyaux des petites histoires poétiques liées à des objets dans les oreilles des voyageurs.

Le Salon met à l'honneur les métiers du livre et de l'édition. Des visiteurs admiratifs ne cessaient pas d'observer le travail des graveurs.

Je n’ai pas eu le loisir de venir plusieurs jours. Pour la première fois depuis quatre ans je n’ai pas eu d’accréditation presse cette année (restriction de l’agence qui gère le quota ? pression des journalistes à l’encontre des bloggeurs ? qui sait ?) alors que je n’ai jamais autant consacré de billets au monde du livre.

Un éditeur m’a pourtant rapporté qu’un récent sondage indiquait que dans 49 % des cas c’était la recommandation d’un bloggeur qui avait déterminé le choix de l’achat en librairie. Et puis, c'est un comble d'une certaine manière, mais je reçois toujours les communiqués de presse de la manifestation. C'est ainsi qu'on m'a informé que les auteurs et les éditeurs avaient lancé les bases d'un accord pour adapter le contrat d'édition à l'ère numérique.

On m'a aussi indiqué que 36 500 jeunes avaient fréquenté la manifestation, soit une hausse de plus de 30% témoignant de l'intérêt de cette génération pour la lecture.

Peut-être l'an prochain retrouverais-je mon badge "presse" ... Je suis revenue en tout cas avec de nouveaux titres à lire … et à chroniquer comme de bien entendu sous le label « millefeuille».

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