Les jours se suivent et se ressemblent parfois.
Hier je découvrais l'émouvant spectacle des Colporteurs qui a permis à Antoine Rigot de remonter sur le fil après son accident (le compte-rendu paraitra demain).
Aujourd'hui c'est la projection du film la Ligne droite qui sous-tend le programme initié depuis mai 2009 par la ville de Fontenay-aux-Roses (92) en direction des sportifs porteurs de handicap. Et bientôt ce sera l'avant-première des Intouchables, qui met en scène la relation entre un accidenté de parapente et un jeune des banlieues engagé pour l'aider.
Si l'action qui est déployée en faveur de l'accessibilité des terrains de sports à tout le monde est tout à fait indispensable, on pourrait cependant espérer davantage, et surtout que les sportifs handicapés (ou les handicapés sportifs ...) puissent accéder aux mêmes heures dans les mêmes équipements et avoir une pratique commune du sport. Car tout ce qui ghettoïse est à combattre.
Le film de Régis Wargnier est exemplaire à cet égard. Sans son guide, le sprinteur non voyant ne pourrait pas se lancer dans la course. Inversement le guide n'a aucune légitimité sans son poulain. D'ailleurs, et c'est particulièrement cruel, seul le sportif handicapé reçoit une médaille en cas de victoire. On apprendra malgré tout au cours du débat qui suivit la projection que les primes sont toutefois versées à égalité.
C'est la course de fond que j'apprécie le moins. Parce que je trouve stupide de courir en rond sur plusieurs kilomètres. Probablement aussi parce que je n'ai jamais su démarrer suffisamment lentement pour terminer la course dans un confort relatif. Si j'en avais eu les capacités le sprint aurait pu me tenter. Se sentir proche d'un oiseau quelques dixièmes de secondes est une sensation galvanisante. C'est quelque chose de cet ordre là que Régis Wargnier est parvenu à capter.
Cette discipline ramène aux premiers hommes, à la nature humaine, à la nécessité vitale de courir parce qu’il faut chasser ou parce qu’on est soi-même une proie. A notre époque les enjeux sont différents. Courir apporte une forme de libération vis à vis de la pesanteur, de soi-même, de ses blocages, et par voie de conséquence des contraintes de toutes sortes. Ne dit-on pas qu'on a envie de fuir les problèmes ?
Métaphoriquement la course permet de transcender l'état de rébellion dans lequel se trouvent les personnages. Le vrai thème du film c’est la résistance, le combat. Contre le mauvais sort qui, par définition, est injuste et contre soi qui n’a pas d’autre issue que de continue à avancer.
Ce que l’on comprend à travers cette histoire, qui est une pure fiction bien entendu, c’est qu’il ne pourra pas y avoir de fin heureuse sans effort. Leila aurait de quoi en vouloir à la terre entière. Athlète confirmée, elle est soudainement évincée des compétitions par son mari (et entraineur) au profit d’une autre femme avec qui il la trompe. Manque de chance supplémentaire une dispute dégénère. Le «coupable» meurt. Mais l’accident est qualifié d’homicide. Leila devient condamnable. Cinq ans de prison. Elle a perdu son statut d’épouse, de sportive de haut niveau et de mère.
Il y a de quoi avoir la rage. Ce qui va toucher chez cette femme ce sera sa détermination à ne pas lâcher prise, en combinant la force et la douceur, que ce soit dans son combat personnel comme dans celui qu'elle mènera auprès de Yannick qui de son coté ne pourra pas se reconstruire dans l’étouffante protection de sa mère (formidable Clémentine Célarié) et sans s’être d’abord débarrassé de sa colère.
On le sait : c’est en soi que se trouve la pulsion vitale, et personne ne peut repousser d’autres limites que les siennes. Le grand intérêt du film c’est de mettre cet élan en images sans être donneur de leçon.
Techniquement, l’emploi d’une courte focale sur les scènes de course place le spectateur au plus près des personnages dont on ressent la peine, l’effort, l’émotion, le souffle, presque comme si c’était des scènes de dialogues, à la limite de ce qu’on appelle un plan volé.
Il y a peu de champs contre champs sur le visage de Yannick qui est le plus souvent filmé de profil. Être nous-mêmes privé de ce qu’il ne voit pas nous fait mieux imaginer ses émotions, nous rendant davantage sensibles au tactile et au bruit.
Les images sont très sobres mais très esthétiques. On a compris qu’il n’y avait aucun trucage. Les coureurs sont obligés d’être dans la même énergie, la même détermination, la même puissance. Courir attachés l’un à l’autre par le poignet provoque assez vite une connaissance quasi animale l’un de l’autre. La cordelette est aussi un attachement symbolique. Au début de l’entrainement Leila préfère ne pas l’employer pour vivre plus intimement la symétrie de leurs mouvements tout en gardant ses distances.
Pas de prouesse possible sans écoute et sans une absolue confiance alors que l’un est dépendant de l’autre. Chacun doit dépasser ses limites en restant synchrone avec l’autre. Le film s’appuie sur la réalité des pratiques sportives des athlètes non voyants. Ils travaillent parallèlement avec plusieurs guides jusqu’à ce que le lâcher prise leur soit naturel, ce qui est apparemment contradictoire avec l’athlétisme où tout est sous contrôle.
Aladji Ba, non-voyant depuis l’âge de 5 ans, fut un précieux conseiller technique en expliquant comment se passaient l’entraînement, la course, la relation guide-athlète, sans en minimiser les risques. Il joue son propre rôle dans le film, ainsi que Gautier Trésor Makunda et Seydina Baldé.
Régis Wargnier a écrit le scénario en sachant cela et en ayant déjà choisi l’interprète féminine car il était hors de question d’employer des doublures. Rachida Brakni avait fait de l’athlétisme dans sa jeunesse. C’était une sprinteuse de haut niveau, classée en national. Elle dit avoir eu beaucoup de plaisir à retrouver les sensations qu’elle avait connues des années auparavant, malgré les blessures auxquelles elle n'a pas échappé.
Rachida comme Cyril Descours (Yannick) se sont entrainés comme de vrais sportifs pendant presque cinq mois, au moins trois fois par semaine à l’INSEP et à côté des athlètes de l’équipe de France. Ils avaient la même alimentation, les massages, les échauffements, les phases de récupération … avec le soutien de la Fédération française d’athlétisme.
Sur le plan de l’interprétation Rachida Brakni est aussi une comédienne extraordinaire. Elle sait donner une émotion magnifique au moment où son personnage pense qu’elle a été reconnue et qu’elle craint que sa vie ne rebascule. On la voit à terre, tétanisée, incapable désormais de courir.
Le film reste donc une fiction, mais avec ceci de très particulier que les comédiens ne «jouent» pas les scènes de courses qui, elles, sont bien réelles. Y compris, et c’est un moment très fort, au Stade de France, pour le tournage de la course finale, en ouverture d’une vraie rencontre d’athlétisme, le meeting Areva, avec juste la possibilité de faire, en moins de six minutes, une seule prise de cette performance.
On imagine aisément combien la tension était à son comble au sein de l’équipe. Cela transparait à l‘écran. Régis Wargnier estime que c’est là un des plans les plus bouleversants qu’il a filmé au cours de sa carrière.
Les autres scènes ont été tournées sur la piste et dans les vestiaires du Stade Charléty où il avait découvert Aladji et Denis Augé son guide, aux Mondiaux de 2003, alors qu’il réalisait un documentaire sur Hicham El Guerrouj à l’entraînement. Quelques jours plus tard, Aladji Ba emportait une médaille de bronze au 400 m. Mais le vrai point de départ du film s’enracine dans l’émotion qu’il a éprouvée à la victoire de Colette Besson aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968 et qui a gagné contre toute attente.
La Ligne droite est un film magnifique en raison du talent du réalisateur à filmer les courses comme si ce n'était pas du cinéma. D'ailleurs ce n'en fut pas. L'attention du spectateur ne se relâche jamais. On en sort avec des ailes dans la tête.
Hier je découvrais l'émouvant spectacle des Colporteurs qui a permis à Antoine Rigot de remonter sur le fil après son accident (le compte-rendu paraitra demain).
Aujourd'hui c'est la projection du film la Ligne droite qui sous-tend le programme initié depuis mai 2009 par la ville de Fontenay-aux-Roses (92) en direction des sportifs porteurs de handicap. Et bientôt ce sera l'avant-première des Intouchables, qui met en scène la relation entre un accidenté de parapente et un jeune des banlieues engagé pour l'aider.
Si l'action qui est déployée en faveur de l'accessibilité des terrains de sports à tout le monde est tout à fait indispensable, on pourrait cependant espérer davantage, et surtout que les sportifs handicapés (ou les handicapés sportifs ...) puissent accéder aux mêmes heures dans les mêmes équipements et avoir une pratique commune du sport. Car tout ce qui ghettoïse est à combattre.
Le film de Régis Wargnier est exemplaire à cet égard. Sans son guide, le sprinteur non voyant ne pourrait pas se lancer dans la course. Inversement le guide n'a aucune légitimité sans son poulain. D'ailleurs, et c'est particulièrement cruel, seul le sportif handicapé reçoit une médaille en cas de victoire. On apprendra malgré tout au cours du débat qui suivit la projection que les primes sont toutefois versées à égalité.
Le résumé du film : Leïla, après cinq années de prison, retrouve la liberté et rencontre Yannick, un jeune athlète qui vient de perdre la vue dans un accident. La seule discipline que celui-ci peut pratiquer avec son handicap est désormais la course. Mais avec un guide, auquel il est attaché, par un fil, le temps de l’entraînement. Ce sera en l’occurrence, une guide : Leïla, elle-même athlète de haut niveau dans sa vie d’avant. La jeune femme cache son passé. sans que Yannick, étouffé par les marques de compassion de son entourage, cherche à en savoir plus. L’entraînement, puis les projets de compétition vont les aider à se reconstruire, l’un avec l’autre. Mais il y a des histoires passées qui ne vous lâchent pas, et des sentiments présents, des mouvements du cœur, qui bouleversent les trajectoires. Il faudra en passer par là pour un jour entrer dans la ligne droite.On peut qualifier mon allure de "sportive" alors que je ne pratique plus de sport régulièrement. Par contre j'utilise le vélo (si pratique !) pour mes déplacements quotidiens, et grimper des cotes me donne bonne conscience face aux risques d'affections cardio-vasculaires. Au risque de me faire huer je dirais cependant que je vois le sport comme une perte de temps et un risque énorme pour la santé. Je ne connais aucun grand sportif qui ne se soit pas blessé gravement dans l'exercice de sa passion.
C'est la course de fond que j'apprécie le moins. Parce que je trouve stupide de courir en rond sur plusieurs kilomètres. Probablement aussi parce que je n'ai jamais su démarrer suffisamment lentement pour terminer la course dans un confort relatif. Si j'en avais eu les capacités le sprint aurait pu me tenter. Se sentir proche d'un oiseau quelques dixièmes de secondes est une sensation galvanisante. C'est quelque chose de cet ordre là que Régis Wargnier est parvenu à capter.
Cette discipline ramène aux premiers hommes, à la nature humaine, à la nécessité vitale de courir parce qu’il faut chasser ou parce qu’on est soi-même une proie. A notre époque les enjeux sont différents. Courir apporte une forme de libération vis à vis de la pesanteur, de soi-même, de ses blocages, et par voie de conséquence des contraintes de toutes sortes. Ne dit-on pas qu'on a envie de fuir les problèmes ?
Métaphoriquement la course permet de transcender l'état de rébellion dans lequel se trouvent les personnages. Le vrai thème du film c’est la résistance, le combat. Contre le mauvais sort qui, par définition, est injuste et contre soi qui n’a pas d’autre issue que de continue à avancer.
Ce que l’on comprend à travers cette histoire, qui est une pure fiction bien entendu, c’est qu’il ne pourra pas y avoir de fin heureuse sans effort. Leila aurait de quoi en vouloir à la terre entière. Athlète confirmée, elle est soudainement évincée des compétitions par son mari (et entraineur) au profit d’une autre femme avec qui il la trompe. Manque de chance supplémentaire une dispute dégénère. Le «coupable» meurt. Mais l’accident est qualifié d’homicide. Leila devient condamnable. Cinq ans de prison. Elle a perdu son statut d’épouse, de sportive de haut niveau et de mère.
Il y a de quoi avoir la rage. Ce qui va toucher chez cette femme ce sera sa détermination à ne pas lâcher prise, en combinant la force et la douceur, que ce soit dans son combat personnel comme dans celui qu'elle mènera auprès de Yannick qui de son coté ne pourra pas se reconstruire dans l’étouffante protection de sa mère (formidable Clémentine Célarié) et sans s’être d’abord débarrassé de sa colère.
On le sait : c’est en soi que se trouve la pulsion vitale, et personne ne peut repousser d’autres limites que les siennes. Le grand intérêt du film c’est de mettre cet élan en images sans être donneur de leçon.
Techniquement, l’emploi d’une courte focale sur les scènes de course place le spectateur au plus près des personnages dont on ressent la peine, l’effort, l’émotion, le souffle, presque comme si c’était des scènes de dialogues, à la limite de ce qu’on appelle un plan volé.
Il y a peu de champs contre champs sur le visage de Yannick qui est le plus souvent filmé de profil. Être nous-mêmes privé de ce qu’il ne voit pas nous fait mieux imaginer ses émotions, nous rendant davantage sensibles au tactile et au bruit.
Les images sont très sobres mais très esthétiques. On a compris qu’il n’y avait aucun trucage. Les coureurs sont obligés d’être dans la même énergie, la même détermination, la même puissance. Courir attachés l’un à l’autre par le poignet provoque assez vite une connaissance quasi animale l’un de l’autre. La cordelette est aussi un attachement symbolique. Au début de l’entrainement Leila préfère ne pas l’employer pour vivre plus intimement la symétrie de leurs mouvements tout en gardant ses distances.
Pas de prouesse possible sans écoute et sans une absolue confiance alors que l’un est dépendant de l’autre. Chacun doit dépasser ses limites en restant synchrone avec l’autre. Le film s’appuie sur la réalité des pratiques sportives des athlètes non voyants. Ils travaillent parallèlement avec plusieurs guides jusqu’à ce que le lâcher prise leur soit naturel, ce qui est apparemment contradictoire avec l’athlétisme où tout est sous contrôle.
Aladji Ba, non-voyant depuis l’âge de 5 ans, fut un précieux conseiller technique en expliquant comment se passaient l’entraînement, la course, la relation guide-athlète, sans en minimiser les risques. Il joue son propre rôle dans le film, ainsi que Gautier Trésor Makunda et Seydina Baldé.
Régis Wargnier a écrit le scénario en sachant cela et en ayant déjà choisi l’interprète féminine car il était hors de question d’employer des doublures. Rachida Brakni avait fait de l’athlétisme dans sa jeunesse. C’était une sprinteuse de haut niveau, classée en national. Elle dit avoir eu beaucoup de plaisir à retrouver les sensations qu’elle avait connues des années auparavant, malgré les blessures auxquelles elle n'a pas échappé.
Rachida comme Cyril Descours (Yannick) se sont entrainés comme de vrais sportifs pendant presque cinq mois, au moins trois fois par semaine à l’INSEP et à côté des athlètes de l’équipe de France. Ils avaient la même alimentation, les massages, les échauffements, les phases de récupération … avec le soutien de la Fédération française d’athlétisme.
Sur le plan de l’interprétation Rachida Brakni est aussi une comédienne extraordinaire. Elle sait donner une émotion magnifique au moment où son personnage pense qu’elle a été reconnue et qu’elle craint que sa vie ne rebascule. On la voit à terre, tétanisée, incapable désormais de courir.
Le film reste donc une fiction, mais avec ceci de très particulier que les comédiens ne «jouent» pas les scènes de courses qui, elles, sont bien réelles. Y compris, et c’est un moment très fort, au Stade de France, pour le tournage de la course finale, en ouverture d’une vraie rencontre d’athlétisme, le meeting Areva, avec juste la possibilité de faire, en moins de six minutes, une seule prise de cette performance.
On imagine aisément combien la tension était à son comble au sein de l’équipe. Cela transparait à l‘écran. Régis Wargnier estime que c’est là un des plans les plus bouleversants qu’il a filmé au cours de sa carrière.
Les autres scènes ont été tournées sur la piste et dans les vestiaires du Stade Charléty où il avait découvert Aladji et Denis Augé son guide, aux Mondiaux de 2003, alors qu’il réalisait un documentaire sur Hicham El Guerrouj à l’entraînement. Quelques jours plus tard, Aladji Ba emportait une médaille de bronze au 400 m. Mais le vrai point de départ du film s’enracine dans l’émotion qu’il a éprouvée à la victoire de Colette Besson aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968 et qui a gagné contre toute attente.
La Ligne droite est un film magnifique en raison du talent du réalisateur à filmer les courses comme si ce n'était pas du cinéma. D'ailleurs ce n'en fut pas. L'attention du spectateur ne se relâche jamais. On en sort avec des ailes dans la tête.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire