Voilà un lieu passionnant et qui fourmille d’activités. Deux expositions temporaires s’ajoutent en ce moment au parcours permanent, lequel est complété par les salles historiques du rez-de-chaussée qui, dès la moquette sont un bijou.
Je vous préviens : il faut compter trois bonnes heures pour tout voir et vous pourrez venir plusieurs fois. Je suis certaine que vous en apprendrez chaque fois davantage.
Je n'ai pas l'ambition d'être exhaustive dans cet article qui aurait mérité d'être découpé en plusieurs publiés à quelques jours d'intervalle (ce que le calendrier ne permettait pas) mais je vais malgré tout en dire le plus possible, sachant qu'il n'est pas obligatoire de tout lire d'une seule traite :
- Sur l'exposition capsule Paul et Virginie,
- Sur le parcours historique,
- Et sur l'exposition Motifs d'artistes.
Pour la première fois, ce musée met en place une médiation adaptée aux enfants avec cartel simplifié et livret-jeux. Des ateliers, des conférences, des visites sont proposés à tous les publics autour de la thématique du design textile et la programmation est à retrouver sur le site.
Renseignez-vous aussi à propos de la 5ème édition du Prix Toile De Jouy ouvert aux étudiants et aux créateurs professionnels en activité en partenariat avec le Campus de Versailles, avec une dotation de 1000 € pour chaque lauréat de chaque catégorie. Dépôt des dossiers : Du 30 janvier au 6 février 2024 à 18h. Remise des prix : Jeudi 21 mars 2024 au Campus de Versailles (Grandes écuries du Roi à Versailles).
Et vous pouvez aussi devenir acteur des JO 2024 en créant votre propre Toile de Jouy aux motifs de l'Olympisme. Dépôt des dossiers au musée accompagné des fiches d’inscription avant le 30 avril 2024.
Le musée est vous allez le constater si vous ne le connaissez pas, un lieu extrêmement vivant et dynamique. Il occupe l’ancienne manufacture qui fut un temps royale et qui connut à peu près un siècle de grande gloire. La "toile de Jouy" aura survécu à la fermeture puisque le terme, qui ne fut pas déposé (ce sont les soyeux qui instaureront les droits fin XVIII°), désigne toute toile qui comporte des personnages. Et surtout parce que ce style continue d’inspirer des designers contemporains.
Evidemment il faudra faire un effort s'imagination pour se représenter ce qu'était alors la manufacture, comme cette peinture en rappelle l'importance. Chaque détail compte y compris bien entendu la toile (ou le papier tendu sur les murs.
On pourrait s’étonner aujourd’hui de l’implantation choisie par le fondateur Christophe-Philippe Oberkampf et pourtant s’installer à Jouy était fort judicieux. Il pouvait y profiter des qualités physico-chimiques des eaux de la Bièvre pour son industrie fort consommatrice en eau courante. Il disposait de grandes superficies sur lesquelles étendre les toiles à des fins de blanchiment. Et, tout autant important, il était proche de ses meilleurs clients, qui vivaient à la Cour de Versailles.
Ajoutons un savoir-faire exemplaire, un esprit entrepreneurial hors du commun, et on comprendra l’immense succès de cette entreprise dont les motifs sont toujours d’actualité. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les salles de la boutique, remarquables dans le choix des impressions, les coupes et les assemblages sur des produits et objets tous réalisés en France. On y tient et on a raison. On y trouve beaucoup d’objets très différents, et pas seulement dans l’univers textile. Il y a même du chocolat. Mais, bien entendu, on peut aussi acheter du tissu au mètre et réaliser ses propres créations.
J’ai visité l’ensemble seule puis j’ai suivi la visite guidée qui, sauf exception, a lieu à 15 h 30 le deuxième dimanche de chaque mois et que je recommande fortement. Je vous incite d’ailleurs à réserver en ligne car la demande est forte. Nous étions plus de trente personnes aujourd’hui.
Exposition capsule Virginie et Paul au pays de la Toile de Jouy :
Mais commençons par une exposition qui prend place dans les salles de reconstitution historique imaginées pour recevoir deux fois par an des expositions de création contemporaine en partenariat avec des artistes français et étrangers dont les œuvres s’inspirent de la Toile de Jouy, ces expositions capsules confirment l’intemporalité de ce patrimoine exceptionnel.
Celle-ci, qui prendra fin le 7 janvier, retrace l’univers artistique de Virginie Broquet, peintre, illustratrice et autrice de bandes-dessinées niçoise, et de Paul Simmons, designer textile, établi à Glasgow en Ecosse, et co-fondateur de la maison d’impression sur tissus “Timorous Beasties” qui se connaissent depuis plus de trente ans. Ils ont collaboré pour réaliser une série de pièces autour de cette thématique qui les passionne depuis longtemps, sachant que Virginie décline la toile de Jouy dans des créations depuis une vingtaine d’années. Il est d’ailleurs amusant de rapprocher le titre de l’exposition de la célèbre toile de Jouy Paul et Virginie remise au goût du jour largement sur de nombreux objets que l’on peut trouver en bleu ou en rouge et même en orange dans la boutique du musée.
Dans la rotonde, des boules blanches et colorées pendent aux branches d’un sapin stylisé, nommé Laurel, et qui fait la paire avec un autre, difforme, portant le nom de Hardi. Ce sont là des oeuvres de Virginie Broquet et on en croisera deux douzaines dans les anciens appartements des époux Oberkampf qui servent d’écrin à ce que cette artiste a conçu dans l’esprit des fêtes de fin d’année.
Sur la droite, le motif Scènes antiques fait partie des premiers de la série composée par Jean-Baptiste Huet pour la manufacture; le mouvement néo-classique émerge dans les arts décoratifs au cours des années 1790 sous l'influence du peintre Jacques-Louis David. Et Oberkampf répond à cette nouvelle mode dès 1800. Le fond décoré d'écailles ajoute une profondeur aux médaillons qui mettent à l'honneur Cybèle, divinité d cela nature sauvage, et minerve, symbole de la connaissance et d cela sagesse.
La mise au point du procédé d'impression "ne cuivre" en 1170 permet à l'indienne d proposer à ses clients un nouveau type d'étoffe imprimée -les toiles à personnages- mais aussi de diversifier sa production de toiles fleuries. En effet, il associe la technique d cela planche de bois, utilisée pour la fleur, avec celé de la plaque d cuivre dont le décor strié, vermiculé ou picoté est appliqué sur le fond. Il modernise ainsi cette gamme en apportant une touche géométrique au dessin.
Virginie a dessiné différents motifs inspirés de l’univers de Noël, que Paul a imprimés sous la forme de toiles, de papiers peints ou de tapis. Parmi eux je retiens l’onirisme de ses Boules de Noël magiques et d’un Tapis de Noël .
Nous sommes dans le salon de musique dont les fenêtres sont tendues de cette toile :
C'est que l'ascension sociale de la famille Oberkampf découle de la prospérité économique de la manufacture. On reçoit régulièrement des gens d'importance - hommes politiques, magistrats, banquiers, négociants et hommes d'affaires- notamment des protestants, qui forment le réseau sur lequel s'appuie le développement de l'entreprise. On joue de la musique sur un piano carré provenant de l'atelier Erard.
Tous les dimanches les musiciens de la chapelle du Roi offrent un concert aux proches d'Oberkampf comme au voisinage. les enfants suivent une formation musicale à laquelle veille leur mère Anne-Elisabeth, elle-même musicienne. Mais deux enfants, Julie et Emilie manifestent un goût pour le dessin.
Dans la chambre, l'artiste a posé un tissu Doré à souhait sur le paravent et la manière de procéder pourrait être qualifiée d’installation. L’esquisse intitulée Les Poupées me fait penser aux Chibi-chans d’Elena, cette artiste japonaise dont j’ai fait la connaissance il y a trois mois au Clos Y.
Il me faudra revenir pour mieux appréhender l’atmosphère de ces pièces de vie, qualifiées de "petites", et ce jugement est vraiment relatif car on s’y sent très bien. L’ancienne propriétaire semble être restée à proximité.
Des petits cartons nous invitent avec malice d’une jolie écriture manuscrite à ne pas toucher ses objets personnels en prévenant qu’elle ne s’est absentée qu’un court instant.
Dans le salon de musique, un dispositif permet de créer, virtuellement, sa propre toile de Jouy qui par magie sera appliquée en tapisserie et recouvrira un fauteuil. J’ai vu des grands enfants prendre beaucoup de plaisir à cet exercice qui pourrait être à l’origine d’une vocation.
Auparavant nous nous sommes attardés dans la reconstitution des appartements qu'Oberkampf occupa à partir de 1767 et jusqu'à sa mort, après avoir habité dans la maison dite du Pont de Pierre qui lui servit d'atelier et de logement (j'en parle plus loin). Il se maria avec Marie-Louise Pétineau, décédée en 1782 et se remarie trois ans plus tard avec Anne-Elisabeth Massieu (1756-1816). Quatre des nuits enfants conçus au cours de ces deux unions survivront.
Cette chambre s'inspire de celle des époux Oberkampf dont on connait les garnitures choisies par Anne-Elisabeth grâce à des archives familiales. Elle n'hésite pas à confronter les styles en mélangeant un motif indien à une décoration typiquement européenne.
Au XVIII° siècle l'aménagement intérieur des maisons bourgeoises évolue avec la multiplication de pièces plus petites, à usage bien déterminé. La chambre est l'espace de l'intime.
Dans le couloir une lithographie reproduit une planche botanique illustrant garance, indigo, curcuma et gommier. Oberkampf possède, à 22 ans, une avance technique sur ses concurrents. Sa connaissance des drogues et de la composition du mordant lui permettra d'obtenir rapidement des toiles "grand teint" aux couleurs éclatantes. Sa maitrise de la chimie des plantes tinctoriales et de l'art de la teinture, ainsi que son intérêt accru pour les procédés mécaniques vont jouer un rôle déterminant.
Le parcours historique :
Poursuivons au premier étage. Les premiers pas que nous ferons en ces lieux nous indiquent qu’Oberkampf était indienneur, c’est-à-dire fabricant d’indiennes, nom donné à des toiles imitant les motifs importés des Indes au début du XVII° siècle et dont un exemple nous est montré au tout début de l’exposition.
Bien entendu les motifs ne seront pas repris sans subir aucune modification surtout quand ils seront religieux.
L'impression des cotonnades trouve ses origines, il y a plus d'un millénaire, sur le territoire indien où les artisans ont perfectionné l'art du tissage et du mordançage. Ils détiennent en effet le secret du "mordant", un sel métallique imprimé à l'aide d'une planche de bois gravée qui fixe la couleur sur la fibre d coton lorsque le tissu est plongé dans un bain de teinture. Déjà dans l'Antiquité gréco-romaine, les cotonnades venues d'Inde -notamment les mousselines légères et transparentes - teintes de couleurs vives étaient réputées pour leur qualité exceptionnelle.
Ces étoffes indiennes étaient connues des Occidentaux grâce aux marchands caravaniers arrivant de Perse via Bagdad et Alep. Si les routes maritimes entre l'Europe et l'Asie existaient bien avant le XVII° peu de textiles prenaient part au commerce Est-Ouest. Pourtant, dans les sociétés asiatiques, les tissus luxueux ont bien plus de valeur que de l'or et les épices tant recherchés par les fondateurs de la compagnie des Indes. Les marins hollandais, anglais et français sont les premiers à rapporter à leur famille des toiles imprimées en souvenir de leurs années passées dans le golfe du Bengale. Dès lors, émerge un véritable engouement des Occidentaux en faveur de ces étoffes, appelées indiennes ou perses.
L’entreprise fut active entre 1760 et 1843 et sont conservés pas moins de 30 000 motifs imprimés sur des cotonnades. Ce qu’on en connait se résume souvent à des camaïeux de roses qui ne représentent donc qu’une infime partie de la production. Les cartels du musée sont très facilement lisibles (ce qui n’est pas le cas partout alors je n’hésite pas à en souligner l’intérêt). Ils sont imprimés sur des oriflammes reprenant un motif de tissu imprimé. Et si les salles baignent dans une faible intensité de lumière c’est pour des raisons évidentes de conservation des tissus.
On apprend qu’une querelle intense opposa les commerçants de laine, de soie, de lin et de chanvre aux vendeurs de coton quand on s’enthousiasma pour les textiles indiens à partir de 1660. Ce textile jusque là inconnu en Europe était fin, léger, facile à laver et les étoffes étaient imprimées d’élégants motifs très colorés. C’était alors un produit de luxe. Les marchands de draps normands et les soyeux lyonnais, après un lobbying intense auprès de Louvois, réussirent à combattre la concurrence en faisant interdire l’importation des toiles en octobre 1786, et ils obtinrent aussi que l’usage et le port soient prohibés et punis de la peine des galères.
Les grandes manufactures fermeront et les patrons s’exileront en Angleterre, en Suisse et en Allemagne. Cela n’empêcha pas une contrebande intensive et des ateliers clandestins. Les indiennes furent portées par tout le monde, à commencer par la favorite du roi. Madame de Pompadour aménage à Meudon le château de Bellevue qu’elle décore d’indiennes en faisant fi de l’interdiction.
La mode devint un besoin. L’édit fut transgressé et on ré-autorisa la fabrication. C’est alors qu’Oberkampf, dont le père et le grand-père étaient indienneurs, fut démarché par un industriel du quartier des Gobelins qui avait pressenti ses talents pour l'entrepreneuriat.
La chinoiserie est très en vogue depuis longtemps. Choiseul a fait construire une pagode dans son jardin. Evidemment, à l’origine, les motifs seront donc des chinoiseries, ou plutôt des représentations fantasmées de ce qu’on pense être chinois, par un dessinateur qui n’a jamais mis les pieds en Asie (comme pour la toile photographiée ci-dessus, dite du Chinois à la brouette et qui est la première qui fut imprimée à Jouy le 1er mai 1760, dans la maison dite de pierre que j’évoquerai plus bas), mais très vite on s’en affranchit en commençant par des motifs floraux. Et on introduira plusieurs couleurs.
Les meilleurs clientes sont Marie-Antoinette, Madame de Pompadour, Elisabeth Louise Vigée Le Brun, artiste portraitiste de la reine qui toutes apprécient de coordonner le tissu des fauteuils avec le papier peint mural dont la Manufacture Réveillon a fait sa spécialité. S’il est plus fragile, le papier est néanmoins imprimé selon la même technique que le tissu.
Oberkampf anticipera la mode et demandera à ses dessinateurs de créer des motifs originaux avec pour seule contrainte le recours à de belles couleurs. L’indiennage de Jouy-en-Josas, qui est le nom de la manufacture, se classera dans l’excellence, allant jusqu’à 10-12 couleurs, ce qui est loin des impressions monochromes que nous avons tous retenues.
Les Eventails, début XIX°, toile de coton imprimée à la planche de bois
Ce dessin s'inspire du décor d'imbrication propre aux monticules des arbres de vie des palampores, appelés les tertres, qui symbolisent la terre. Pour autant, ce motif apparait en 1789 dans les archives de al manufacture sous le nom de "motifs chinois imbriqués".
Le principe du motif d'imbrication est d'isoler et d traiter à part entière chaque écaille qui est décorée d'un contour plus ou moins ornemental, rempli de petits bouquets, etc … Le découpage très graphique des écailles, l'accumulation des formes et la multiplicité des coloris permet aux dessinateurs de Jouy de laisser libre cours à leur créativité et de décliner ces motifs placés en quinconce. Ils se déclineront sous la forme d'écrans, de pétales, d'éventails, évoquant tantôt la Chine et ses décors de rocaille, tantôt l'Orient avec le lotus et le papyrus égyptien. ils connaitrons un succès important et seront imprimés jusqu'au début du XIX° siècle.
Ce sera la deuxième manufacture française la plus importante après les verreries Saint-Gobain avant la Révolution Française. Elle a reçu en 1783 le titre de Manufacture royale et le droit d’apposer la couronne et la fleur de lys dans le cartouche de "chef de pièce", ancêtre de la notion de traçabilité si revendiquée aujourd’hui, garantissant la provenance et la mention "bon teint", opposée à celle de "petit teint" (lisible sur la photo ci-dessous) car la toile de Jouy ne perdra pas ses couleurs au fil des lavages. La raison en est l’emploi de sels métalliques comme mordants avant les application de couleurs, sauf pour l’indigo qu’on ne peut pas fixer par ce procédé.
On procède toujours à des essais avant de décider des impressions. On appelle ces essais des "empreintes" et on en voit des échantillons dont on peut scruter la finesse des détails au moyen d’une énorme loupe.
L'utilisation de planches de bois gravées pour imprimer un dessin sur une étoffe est empruntée à l'Orient. Alors que les artisans indo-persans travaillent avec des blocs de bois monolithes, d'assez petite taille, les indiennes européens déploient la surface du dessin en employant des planches de bois de 25 cm à 40 cm de largeur. La planche est gravée dans une essence de bois dur et dense comme le buis, le houx, le poirier, le noyer ou le tilleul : selon la finesse du dessin on préfère une essence à une autre. Les petits motifs sont gravés sur des bois durs comme le buis. Les grands motifs sur des bois intermédiaires comme le poirier et les plus grands sur un bois tendre comme le tilleul.
Les plaques sont renforcées à l’arrière afin de garantir leur solidité en les assemblant à d'autres pour éviter le gauchissement, c'est-à-dire sa déformation, jusqu'à créer une épaisseur de 5 cm en moyenne. Ces planches qui servent à créer l'équilibre et la solidité de l'outil sont taillées dans des bois tendres et surtout plus légers afin d'en faciliter la manipulation. Parmi celles qui sont exposées il y en a une très originale puisque le motif est en creux alors que d’habitude il était en relief. C’est elle que j’ai photographiée.
Deux types de planches sont nécessaires pour l'impression sur étoffe : les moules, qui servent à créer les contours du dessin, les rentrées, utilisées pour le coloriser. On emploie souvent deux moules, car les contours sont teints en rouge et noir à l'instar de toiles d'importation. Avec les rentrures, on colorie l'intérieur des motifs et on remplit le fond. Un dessin travaillé peut nécessiter jusqu'à 1000 planches.
Jusqu’en 1770 on n’utilisera que des plaques gravées sur bois. Des clous étaient utilisés pour se repérer avant d’apposer de nouveau la plaque de manière à ce que le raccord de motif soit imperceptible.
On est loin des toiles à personnages qui sont restées dans nos mémoires. Un aperçu de la diversité des motifs nous est donné dans une vitrine munie d’une loupe (ci-dessous à droite) Planche d'empreintes, nom donné aux essais, qu’on peut scruter à la loupe pour en discerner le moindre détail (photo jaunes). Plus loin on verra que la flore d’Ile-de-France constitue une énorme source d’inspiration.. Oberkampf fonctionnait un peu comme le fera plus tard la filature Bergère de France en envoyant à sa clientèle des série d’échantillons.
Comme colorants, on utilise le bleu indigo, la racine de curcuma ou le sulfure de fer pour obtenir des jaunes, et surtout la garance (que l’on peut voir en racine et en poudre comme pour le curcuma) pour des rouges.
Chaque indienneur a ses propres mélanges de pigments et l’espionnage est monnaie courante (notamment par un concurrent installé à Bièvres) mais Oberkampf ne sera jamais égalé.
L’emploi de sel de fer et de garance donne des tons rouges, bistres, marrons. Si on utilise plutôt du sel d’aluminium le résultat sera orangé, ou rose. Oberkampf aimait beaucoup cette teinture et avait tenté de cultiver sa propre garance vers La-Haye-les-Roses. Le pastel étant hors de prix on lui a préféré l’indigo. Quant aux verts, aussi surprenant que cela puisse paraître, puisqu’il existe une infinité de verts dans la nature il n’existe pas de teinture naturelle. On colorie donc en jaune puis en bleu.
L’utilisation du cylindre est un progrès technique qui permet d’imprimer 5000 mètres en une seule journée et on a pu en remarquer auparavant quelques exemplaires dans la reconstitution de la maison des Oberkampf. Mais le premier inconvénient est d’imprimer en couleur unique. Et puis, les motifs se répètent plus vite, conditionnés par la circonférence du cylindre. Quand on le sait, ça saute aux yeux.
La gravure sur cuivre est une invention britannique. Cette grande plaque de cuivre n’a pas été utilisée à Jouy mais elle témoigne de ce qu’on faisait.
On remarquera qu’elle est gravée en creux (à l’inverse des plaques de bois, sauf exception mentionnée précédemment). On observera à partir de 1770 des hachures qui permettaient de rendre la perspective, idée qu’Oberkampf a copiée après l’avoir vue en Suisse.
Le thème de la fleur dans le textile est ancien mais il se développe particulièrement avec l'industrie de la soierie implantée à Tours au XVI° siècle puis à Lyon. La mise au point de procédés de tissage complexe au XVIII° a permis à la soierie d'atteindre un niveau artistique jamais égalé en Europe, établissant la réputation du luxe français. C'est ainsi que les premiers illustrateurs d'indiennes se tournent vers cette tradition textile et reprennent des décors propres à l'industrie nationale.
Les toiles de Jouy offrent des combinaisons de motifs alliant la fleur à des rubans, des arabesques, des guirlandes, des cordelettes, des montants ondulants, des rayures cannelées, des damiers et des dentelles. les dessinateurs proposent des décors reprenant des éléments caractéristiques de la passementerie et de l'art tapissier. parfois, les effets du tissage des étoffes sont transposés en impression : les hachures imitent le brocart, les stries copient le sergé, les bandes verticales rappellent le pékin, les chevrons sont empruntés au droguet, ou les dégradés reproduisent les chinés.
La Manufacture Oberkampf revendique même cette appartenance avec son célèbre motif Roses chinées à la branche, vendu sur le commerce dans la gamme des "Chinés imitation soie" lancée en 1775. La référence à la soierie est d'ailleurs accentuée par le lustrage de la toile -une pratique venue de l'Inde- pour donner un effet glacé à la surface du tissu. Les bourses moins garnies peuvent aussi s'offrir une étoffe colorée et brillante, proche de la soierie lyonnaise.
Nénuphars, 1798, coton imprimé à la planche de bois
Les motifs floraux rencontrèrent eux aussi beaucoup de succès en s’appropriant le ruban qui figurait traditionnellement sur les soieries. Les couleurs des toiles présentées ici sont restées fidèles à celles d’origine grâce à l’emploi des sels métalliques. On peut s’en étonner mais c’est Oberkampf qui a inventé les motifs "provençaux" dits aussi "Les bonnes herbes" (ci-dessous sur fond noir) qui seront tant à la mode après la Révolution.
Dans la salle suivante se trouvent des toiles dites "meubles à personnages" qui sont souvent les plus connues quand on évoque la toile de Jouy alors qu'elles n'ont représenté qu'une centaine de dessins, et qui plus est ce n'est pas Oberkampf qui est à l'origine de cette catégorie. La mode s’était propagée depuis l’Angleterre où elle faisait fureur.
Ce fut l'occasion de proposer un nouveau genre d'indiennes en passant commande de dessins à de véritables artistes-peintres à partir de 1775. Jean-Baptiste Huet (1745-1811) se révèla être un dessinateur animalier hors pair, rendant les scènes pastorales françaises bien plus vivantes que les anglaises. Elles fourmillent de détails. Le regard est partout interpelé. Le chien semble sauter réellement sur celle-ci inspirée de la fable Le meunier, son fils et l’âne de La Fontaine.
Utilisées pour l'ameublement, ces toiles d'inspiration rococo, aux paysages idylliques et aux décors champêtres peuplés de gracieux personnages ont distingué la manufacture dans le genre des pastorales. Mais nous verrons que les ailes historiées ont aussi été développées à partir de l'actualité politique, scientifique, littéraire, théâtrale ou musicale.
Si la manufacture a réussi à traverser la période trouble de la Révolution française c’est parce que l’industriel -considéré comme plutôt humaniste- donna de l’argent aux armées révolutionnaires et qu’il développa des motifs dans l’air du temps.
Sur une toile à dominante rouge on voit Louis XVI en tant que restaurateur de la liberté. Le crucifix qu’il était censé brandir à l’origine pour lui rendre hommage d’accepter que les protestants pratiquent leur culte a été supprimé de même que les fleurs de lys. Par contre, la tour de la Bastille a été ajoutée comme élément de décor. Il ne fait pas de doute qu’Oberkampf sait s’adapter et saisir les opportunités. Ainsi il célébrera les envolées de ballon.
Dans la vitrine se trouvant juste en face, on remarque une toile imprimée en noir. Nous sommes au XIX° siècle et le motif antique plaît alors énormément. L’engouement pour le passé est très fort. De petits personnages sont néanmoins présents à l’intérieur des motifs géométriques. C’est aussi la grande tendance du ruinisme, ce qui n’empêche pas d’y placer des personnages.
En règle générale les toiles à personnages sont employées en décoration pour les lits, les rideaux alors que les fleurs seront utilisées aussi bien pour les vêtements que pour le mobilier. La tendance est inverse aujourd’hui chez les designers comme en témoigne l’exposition temporaire du rez-de-chaussée que je présenterai plus loin.
Enfin dans la dernière salle on passe à l’époque contemporaine avec un skateboard, des chaussures à haut talons, une robe de mousseline de soie rouge et blanche réalisée par Natacha Ramsay-Lévi pour Chloé en automne-hiver 2019.
Le tissu n'est pas imprimé d'un motif de la manufacture mais tout évoque la toile de Jouy, composition, effet visuel et coloris. Chloé est une maison de prêt-à-porter fondée en 1952 par Gaby Aghion (1921-2014), une égyptienne venue s'installer à Paris. Elle proposa un vestiaire chic avec des détails haute-couture.
Les coquecigrues sont un motif de Jouy très connu qui ornait par exemple la chambre d’Oberkampf dans le château de Montcel. Le motif est un dessin fantaisiste dans le genre des perses de Jouy, faisant référence à Rabelais, et imprimé à la planche de bois à partir de 1792.
La maison Pierre Frey (qui comme Manuel Canovas racheta plusieurs dessins de la manufacture de Jouy soit directement soit à la maison Braquenié qui les avaient acquis précédemment) qui réédite ce motif depuis 1990, a demandé à l'artiste Christian Astuguevieille qui, influencé par l'art de al calligraphie, a superposé son écriture imaginaire au motif original.
La scène historiée était utilisée au XVIII° siècle seulement dans l’ameublement et très peu dans la mode qui préférait les fleurs, les palmettes et petits motifs. La réappropriation a surtout eu lieu dans les années 70/80 avec des personnes comme Vivienne Westwood, Versace, Carven…. avec la tendance à l’historicisme, un mouvement durant lequel les designers font du passé leur source d’inspiration.
"Avant cela, on n’a presque aucune trace de toile de Jouy dans la mode", note Charlotte Du Vivier Lebrun. Voilà pourquoi la toile de Jouy a toujours un capital de modernité très fort comme en témoigne l'exposition du rez-de-chaussée.
Mais avant de la visiter, je voudrais attirer l'attention sur une maquette qui témoigne de ce que fut la manufacture à l’heure de sa gloire, en 1821 lorsqu’elle comprenait 36 bâtiments, employait 1318 ouvriers à partir de 1805 (3 dessinateurs, 5 graveurs sur cuivre et 40 sur bois, 10 imprimeurs en cuivre, 175 en bois, etc… 570 femmes au pinceautage, 72 gamins épingleurs embauchés dès l'âge de 8 ans … et bien d'autres métiers). Ce bâtiment permet d'abriter la collection de 100 000 planches de bois, 114 plaques de cuivre et 200 cylindres métalliques. Au second étage les tables des pinceauteuses occupent tout l'espace. A l'extérieur, les "ouvriers du pré" veillent à l'oxygénation des toiles étendues sur l'herbe, moment décisif où les motifs imprimés sont révélés.
Elle s’étendra sur 14 hectares aux environs de 1830, bien au-delà du château de l’Eglantine qui est en dehors de ce périmètre et qui abrite le musée. Le plus grand bâtiment, élevé entre 1790 et 93 fera 110 mètres de long, 14 de large, et comportera plus de 300 fenêtres. C'est le plus grand édifice industriel de son époque.
L'achat de terrains était un point crucial pour le développement de l'entreprise. En 1764 Oberkampf et son associé avaient acheté plus de 18 000 mètres carrés au seigneur de Jouy et fait construire son habitation en 1767.
L'impression des toiles nécessite 15 étapes, auxquelles s'ajoutent 8 opérations intermédiaires de bain et de séchage, impliquant à chaque opération des équipements spécifiques. Il faut 4 à 6 mois pour produire une nouvelle indienne, et on n’imprime pas en hiver. Grosso modo les opérations sont de trois sortes :
- d’abord la préparation de la toile qui doit être débarrassée de toute trace de graisse et être soigneusement lavée et battue,
- ensuite l'impression des mordants puis des couleurs, en commençant par les contours en rouge ou en noir, et ensuite de chaque couleur avec la plaque de bois adéquate,
- enfin les finitions effectuées par des femmes appelées les pinceauteuses (dont une rue de Jouy-en-Josas porte encore le nom) qui œuvraient avec de très fins pinceaux constituées d’un assemblage de leurs propres cheveux pour ajouter de la couleur partout où il en manquait un tout petit peu. Il n’était pas rare d’en voir une douzaine s’affairer autour d’une table sur laquelle était tendue une toile de 20-22 mètres. Au final, si le tissu était destiné à l’habillement, on apposait un apprêt composé d'un mélange de cire et d'amidon qui était frotté à la bille d’agate pour lui donner davantage de brillant. On pouvait alors apposer le chef de pièce.
Oberkampf avait imaginé une série de canaux pour faire circuler l’eau dont il avait besoin. Il avait acheté les sources de la Bièvre à Guyancourt. Il avait aussi créé sur le site une école de chimie où vint Claude-Louis Bertholet, célèbre pour voir inventé l’eau de Javel (dans l’ancien quartier éponyme du XV° arrondissement de Paris) en 1885 dont la manufacture de Jouy fit grand usage au sein de la première blanchisserie industriel jamais créée en France alors que jusque là on battait les toiles à la main. A la réflexion cet usage, ainsi que celui des mordants n’était absolument pas écologique.
Cet industriel fut un homme très important qui participa au lancement de la Banque de France fondée par Napoléon III. Ce protestant était extrêmement dévoué à son travail et peu sensible aux honneurs même s’il apprécia sans doute d’être décoré de la Légion d’honneur.
Après la faillite de 1843 tout fut détruit et loti. Ne subsistent de nos jours que la cloche de la manufacture, et puis la petite maison où Oberkampf a démarré au 1 rue du Montcel, à une vingtaine de minutes de marche à pieds du musée.
Christophe-Philippe Oberkampf, son frère Frédéric et leur associé furent locataires dans cette maison, dite "Maison du Pont de Pierre" située face à la mairie, le long de la Bièvre. Elle doit son nom à son emplacement à côté du seul pont "en dur" du village. Une plaque retraçant la biographie de l’industriel a été apposée sur la façade.
Pendant la première année, Christophe-Philippe Oberkampf habita seul la petite maison, où faute d'autres meubles, il se contentait d'une table d'imprimeur dont le dessous lui servait de coffre et le dessus de couchette sur laquelle il dressait son lit. Son frère Frédéric logeait à Versailles et parcourait la distance de Versailles à Jouy matin et soir, à pied.
C’est là que fut imprimée la première toile, "Le Chinois à la Brouette" le 1er mai 1760.
Sa fille, Emilie Mallet, épouse du banquier Jules Mallet, racheta cette maison en 1835 pour y fonder une salle d'asile, ancêtre de l'école maternelle, pour y accueillir gratuitement les enfants des "mères laborieuses" âgés de 3 à 6 ans. Acquise par la ville en 1978, la maison abrite actuellement l'école de musique. Un agrandissement y a été apporté il y a quelques années.
Elle racheta également en 1854 une ancienne guérite dite "aux épingles", la seule qui ait été sauvée et la fit restaurée. Elle a été déplacée en 1995 dans ce jardin. Elle servait à ranger les boîtes contenant les épingles drapières qui permettaient d'attacher, après teinture, les toiles pour les mettre à sécher. Cette tâche était exclusivement dévolue aux enfants.
La famille étant protestante, les inhumations ne pouvaient pas se faire dans le cimetière paroissial. Leur lieu de sépulture initial, "L'Elysée", était un enclos funéraire familial aménagé par Madame Oberkampf dans le Parc du Domaine du Montcel, tout proche. Les cénotaphes d'Oberkampf, de sa seconde épouse Elisabeth née Massieu, de leur fils Alphonse décédé à 17 ans et de six autres membres de la famille ont été transportés dans le jardin de la maison de pierre en 1982.
Christophe-Philippe Oberkampf fut un chef d'entreprise en avance sur son temps, veillant au perfectionnement des savoir-faire de ses ouvriers, tout en se montrant attentif au progrès de al science. Il sélectionne les meilleurs matières premières, et développe un réseau commercial international. la manufacture est ainsi devenue en 1803 la troisième entreprise de France par l'importance du capital et le nombre de ses ouvriers, après les mines d charbon d'anzia et la miroiterie de Saint-Gobain.
La prospérité économique alla de pair avec une ascension sociale. Simple ouvrier immigré protestant, naturalisé en 1770, il est anobli en 1787 et décoré de la légion d'honneur en 1806 par Napoléon Ier en personne. Il accorda sa bienveillance à ses employés en créant une caisse de secours permanent bien avant l'instauration des lois de protection sociale.
Malheureusement, ce sera à partir de cette année-là (1806) que les affaires vont se compliquer en raison du Blocus continental orchestré par les Anglais. La manufacture ne parvient plus à s'approvisionner en drogues et en toiles. les prix flambent. La fabrication décline et le décès d'Oberkampf en 1815 rend difficile la succession par son fils Emile. L'entreprise est racheté, la production diversifiée mais la liquidation est inévitable en 1843. Tout est vendu et la plupart des bâtiments seront détruits.
L’exposition temporaire Motifs d’artistes :
L’exposition Motifs d’artistes, qui sera présentée jusqu’au 14 janvier 2024, retrace l’histoire du design dans l’industrie textile depuis le XVIII° siècle pour mettre en lumière les liens qui unissent les artistes à la création textile.
Elle revient sur l’origine du métier de designer textile et le rôle des artistes dans la création de motifs. En s’adaptant aux contraintes techniques propres au domaine textile, ces inventeurs de formes donnent naissance à de véritables ornements, reflets de leur univers artistique, des tendances et des pratiques de consommation de leur temps. Les pièces exposées retracent deux siècles d’histoire en mettant en relief l’importance de premier plan prise par le dessinateur au sein d’une production textile qui connait un essor considérable. Certaines manufactures n’en avaient pas et les graveurs étaient "réduits" à copier des estampes.
J'indiquais un peu plus haut que lorsque la manufacture employait 1318 ouvriers ils n’étaient que 3 dessinateurs (contre 40 graveurs sur bois)ce qui était très peu mais leur rôle était déterminant. Leur formation étant essentielle, ils avaient accès aux peintres et aux musiciens pour acquérir la capacité d’anticiper les tendances. S’ils étaient rémunérés jusqu’à dix fois plus qu’un ouvrier spécialisé ils n’étaient considérés ni plus ni moins et ne signaient pas leurs dessins. Même Horace Vernet (1789-1863), petit-fils du célèbre peintre de la mer Joseph Vernet dont j’ai admiré il y a quelques jours les immenses toiles au Musée de la marine.
Il faut être très attentif pour repérer la mention de son nom qui apparaît cependant, discrètement, sur cette toile comme s’il s’agissait d’une indication géographique. C'est l'usage de la plaque de cuivre qui a permis d'introduire du texte.
Bien entendu aujourd’hui la tendance s’est inversée comme en témoigne l'exposition.
En même temps que s'est propagée la philosophie des lumières, se sont développées des écoles de dessin dans toutes les grandes villes au XVIII°. Elles sont gratuites et ouvertes à tous, donc aux femmes, qui ne pouvaient pas accéder aux académies de peinture. Dans les années 1820-1830 se créent une trentaine d’ateliers de dessin pour fournir toutes sortes de motifs aux papetiers, bronziers, fabricants de vêtements …
Jeux d’enfants chinois, Maquette pour impression textile, 1789 Gouache sur papier, d'après Jean Pillement (1728-1808) dont les compositions ont été diffusées en recueil et à la feuille comme source d'inspiration pour les arts décoratifs. Les dessinateurs ont largement puisé dans ces ornements pour l'industrie textile.
A travers six sections chrono-thématiques, depuis les dessinateurs employés par les manufactures de soieries et d’indiennes, jusqu’à l’apparition des designers textile, l’exposition questionne la place des artistes, la diversité de leur statut et l’évolution de la reconnaissance de leur art. Ainsi, Jean-Baptiste Huet, William Morris, Raoul Dufy ou encore Sonia Delaunay laissent une empreinte indélébile dans le répertoire des arts décoratifs.
Si les cartels sont admirablement précis dans le parcours historique ceux de l'exposition temporaire sont générateurs de confusion. Il aurait sans doute fallu y passer encore plus de temps, et surtout bien comprendre l'ordre chronologie. Il est donc possible que j'ai fait des erreurs d'interprétation … que je corrigerai si on me les signale. Voici les motifs qui ont retenu mon attention :
Voici une très jolie interprétation d'une gouache sur papier intitulée Fruits et réalisée par Jean-Denis Malclès (1912-2002) en 1944 que la maison Pierre Frey a traduite en impression digitale sur coton en 2012 sous le nom de Déjeuner sur l'herbe. Cet artiste avait une double formation technique à l'Ecole Boulle, et artistique aux Beaux-Arts.
Au XIX° siècle les manufactures textiles vont recruter des "artistes industriels". Ce Châle carré à double pointe, cachemire et soie, attribué à Amédée Couder (1797-1864), Manufacture Lagorce (?), datant de 1815 avait à l'origine une longueur de 150 cm avant d'être découpé et remonté en châle carré, dit à double pointe.
Son attribution à Couder repose sur l'analyse des formes serpentines de la palme au moment où les fabricants cherchent à se détacher des formes indiennes. Formé par son père au dessin des broderies, Couder vend son premier dessin de châle en 1810 au fabricant Jean-César Lagorce (1786-1820) avant de fonder un important atelier de dessin.
Tissu à motifs Unikko d'après Malja Isola (1927-2001)
Malia Isola est une designasse textile finlandaise dont le nom est indissociable de l'entreprise de mode et d'ameublement Marimekko dont le motif Unikko est devenu la référence et qui lui permit de sortir de l'anonymat.
Les Cavaliers d'après Raoul Dufy, lin imprimé à la planche de bois
Pendant la période 1912-1928, Dufy (1877-1953) fut dessinateur chez Bianchini-Férier, une maison de soierie lyonnaise avec laquelle il était lié par un contrat d'exclusivité. Il réalisa des centaines de dessins pour la mode et l'ameublement. S'il était peintre il maitrisait l'industrie textile
Les Amaryllis de Raoul Dufy, projet de tissu pour Bianchini-Férier en 1917
Cette robe est un des rares témoignages du travail du peintre Raoul Dufy au sein de l'atelier Martine. Elle a été taillée par Paul Poiret dans un tissu présentant un motif créé pour être imprimé à la planche sur soie vers 1915. Ils s'étaient associés pour ouvrir un atelier d'impression sur tissu qu'ils avaient appelé "La petite usine". Il faut savoir que Dufy fut peintre, dessinateur, graveur et designer textile.
Hortensias de Paul Poiret (1875-1944)
Le motif des hydrangeas est récurrent dans les tissus de décoration d'intérieur. En vendant dans la publicité les Hydrangeas sous le nom de Paul Poiret, la maison Schumacher Fabrics & Trimmings fait du couturier un presctipteur de tendances et abolit les frontières entre l'art, la mode et l'ameublement.
Voici un exemple de carré de twill de soie Hermès dont les premiers imprimés narratifs sont apparus en 1937. Celui-ci, de 1956, a été réalisé d'après un dessin du peintre-animalier Xavier de Poret (1894-1975), peintre animalier et il a récemment été réédité dans de nouveaux coloris.
Avec Zofia Rostad, d’origine polonaise, arrivée en France en 1959,on passe dans le grand public puisqu’elle travailla pour Habitat, les Trois Suisses et réalisa beaucoup de dessins de textiles, en conservant toujours la propriété de ses oeuvres qu’elle pouvait vendre à qui elle voulait. Elle a toujours signé ses créations de son nom.
Ce fut bien entendu le cas de Miaou dans les années 190-2000 où elle donne vie à d'adorables petits chats qui devinrent son motif le plus populaire.
Sonia Rykiel (1930-2016) créa un univers textile identifiable à ses rayures, noir et blanc puis colorées comme en témoigne cette robe pull de 1996 en jersey de laine et ceinture en maille de laine. On pourra scruter une page de ses nombreux carnets de croquis ainsi qu'une des fiches de couleur de la maison qu'elle créa en 1968.
Sonia Rykiel révolutionna la mode en faisant fabriquer dans ses propres ateliers pour des clientes comme Onassis ou Catherine Deneuve. C’était une femme extraordinaire, que j’ai eu la chance de rencontrer à l’occasion du défilé célébrant le quarantième anniversaire de sa maison de couture en 2008. C’est un des premiers articles du blog. Je n’étais pas très expérimentée à l’époque mais je garde le souvenir intact de notre discussion back-stage.
En novembre de la même année le musée des arts décoratifs consacrait une très belle exposition à son travail, joliment intitulée Exhibition. Quelle tristesse de constater que la boutique qui était aussi son QG n’existe plus boulevard Saint-Germain (première photo ci-dessous), ni celles qui portaient le nom de sa fille Nathalie rue des Saint-Pères.
Je lisais toujours avec curiosité les titres des livres qui formaient des piles entre les mannequins. Par chance subsiste dans cette rue la plaque commémorative sur le mur de la maison où elle vécut au numéro 60 de 1971 à 2016.
A coté de la robe rayée de Sonia Rykiel dont Jean-Charles de Castelbajac disait qu’elle était la première styliste de l’histoire de la mode, on remarque un chemisier et jupe courte en toile de coton et lin de la collection printemps-été 2007 Rockmantica de ce styliste, fils d’un ingénieur textile, et qui a travaillé dans l’esprit toile de Jouy dont il apprécie les personnages.
Il a marqué le monde de la mode en créant des robes-tableaux en collaboration avec des artistes comme Keith Haring, Gérard Garouste, Ben …
A côté, deux robes d’Agnès b. qui voulait et qui a réussi à dessiner des vêtements intemporels comme son cardigan à boutons pression. On voit ici comment elle travaillait à partir, non pas de dessins mais de photos, en l’occurrence les ailes d’un avion (printemps-été 1996) et le mobilier de son jardin (printemps-été 2020).
Cette robe-chemise de Christian Lacroix en viscose écologique stretch, évasée au niveau de la jupe, et agrémentée d'un nœud à la taille est une des pièces que le couturier a imaginé pour Desigual avec qui il collabore chaque année depuis 2011. En effet il a poursuivi son activité de créateur en tant que designer après avoir quitté en 2009 la maison de couture qu'il avait ouverte en 1987. Il faut souligner que le prix de vente, inférieur à 90,00 € est ultra compétitif.
Sur la droite on a un gros-plan de la toile de coton pour ameublement "Les Angelots" créée par Jean-Paul Gautier pour Lelièvre en 2013.
Si l'on pense que Christian Lacroix avait créé à partir la célèbre toile de Jouy Paul et Virginie, dessinée par Jean-Baptiste Huët, et représentant des scènes illustrant le roman … on peut dire que la boucle est bouclée.
Musée de la toile de Jouy
Château de l’Eglantine - 54 rue Charles de Gaulle - 78350 Jouy-en-JosasMardi de 14h à 18h
Mercredi au dimanche de 11h à 18h
Ouvert les jours fériés sauf le 1er janvier et 25 décembre
Virginie et Paul au pays de la toile de Jouy
Exposition temporaire dans les salles de reconstitution historique
30 novembre 2023 - 7 janvier 2024
Motifs d’artistes
Exposition temporaire dans la grande salle du rez-de-chaussée
16 juin 2023 - 14 janvier 2024
1 commentaire:
Quelle belle visite. Bien des années que je n'y suis pas retourné. Merci Marie-Claire
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