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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 9 janvier 2010

Entre Diane Arbus et Lila, être esclave en France et en mourir

(billet mis à jour le 5 mars 2010)
Après avoir présenté les deux romans policiers (cf billet du 30 décembre dernier) soumis au jury de mars voici maintenant les deux livres de la sélection "document". Il me semble que le choix sera plus rapide. Et de fait, l'ensemble des membres du jury a le même avis que le mien puisque c'est Lila qui reste en lice.

Patrick Poivre d'Arvor m'avait mis l'eau à la bouche en septembre dernier en citant l'illustre photographe à l'occasion de la sortie de Fragments d'une femme perdue, au Livre sur la Place à Nancy en septembre dernier : l'héroïne de son livre s'attelait à une nouvelle sur Diane Arbus et j'étais impatiente d'en savoir plus sur cette photographe qu'on avait surnommé la rebelle.

Une belle photo est une œuvre d'art et il y a des auteurs en photographie comme il y en a en littérature, musique ou peinture.

Mariée très jeune, à 18 ans, elle s'intéresse à la photographie parce que son mari lui offre un appareil photo pour dit-on, la consoler de ne plus peindre. C'est Berenice Abbott, l'ancienne assistante de Man Ray, qui lui explique le métier alors que Diane initie son mari à la technique. Ils resteront collaborateurs même après leur divorce.

J'ai cru comprendre qu'ils avaient tous les deux fait énormément de photos publicitaires pour faire bouillir la marmite comme on dit. Mais aussi que Diane s'était spécialisée dans le portrait, essentiellement celui de marginaux : des géants, des nains, des hommes à deux têtes, des acteurs de "sideshows" de Conay Island. Elle se serait précipitée pour voir le spectacle à propos duquel j'ai écrit hier, Obludarium. L'interdit l'attirait comme un aimant et l'effrayant lui inspirait de la tendresse. Elle a exploré les quartiers mal famés dont son enfance d'ex-petite fille riche l'avait tenue à l'écart. Elle s'intéresse aux déshérités qu'elle immortalise plein cadre. Plus tard, Avedon, admiratif, imitera son style en lui empruntant ses bordures noires irrégulières.

J'ignore s'il y a un rapport direct entre le livre de PPDA et le travail de Violaine Binet. Je vais me borner à pointer la coïncidence et ma déception. Son livre compile une succession de faits sans analyse et me laisse sur ma faim. Il y a certes une intéressante analyse de la place de la photographie au musée américain MOMA qui passionnera les spécialistes (p.148). Reste que je ne comprends pas la finalité de l'ouvrage. Et il est totalement insupportable de faire référence au travail d'une photographe sans montrer un seul de ses clichés. L'auteur a parait-il apporté des éléments inédits. L'ennui est qu'elle ne fait pas revivre pour autant la grande artiste. Pour qui n'est pas spécialiste c'est tout de même la première attente qu'on peut avoir d'une biographie. Je me promets donc de me plonger dès que j'en aurai le temps dans l'ouvrage précédemment écrit par Patricia Bosworth.

Par contre, Dominique Torrès et Jean-Marie Pontaut ont remarquablement restitué le parcours dramatique de Lila. Leur ouvrage est exemplaire et se lit sans reprendre son souffle. Il y a juste ce qu'il faut de fiction pour faire comprendre le déroulement des évènements. Les auteurs se sont très bien documentés sur les arcanes judiciaires. On aimerait qu'un épilogue positif puisse redonner espoir tant le calvaire de Lila est bouleversant. On se dit que c'est impossible qu'au XXI° siècle de telles situations existent encore et puissent demeurer impunies.

Et pourtant Lila a quitté Tananarive à 14 ans en bonne santé, pensant aider ainsi sa famille à mieux subsister. Elle devait aider une maitresse de maison dans les taches courantes et en contrepartie toucher un petit salaire et suivre une scolarité.

Non seulement il n'en fut rien mais Lila a été honteusement exploitée, maltraitée au-delà de ce qui est imaginable. Même le mot esclave est en deçà de la vérité. Aux États-Unis de telles pratiques sont condamnées très sévèrement à de la prison ferme. En France les mêmes crimes sont punis d'une peine avec sursis. Étrange mansuétude !

Le Code pénal ne prévoit pas l'incrimination d'esclavage et Robert Badinter s'est opposé en son temps à sa révision. Du coup en toute logique (si je puis dire) les condamnations ne peuvent porter que sur des conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité, sur des violences physiques ou verbales ... Ce qui est encore plus dramatique dans l'histoire de Lila c'est qu'elle a été victime de quasi "voisins", ce qui rend sans doute les choses plus opaques à une justice qui n'est pas très préoccupée de ces situations et qui accumule les vices de procédures.

Dominique Torrès et Jean-Marie Pontaut ont mené une enquête très approfondie qui se lit aisément malgré la noirceur du sujet. Espérons qu'un livre-choc comme celui là permettra d'éviter que d'autres Lila subissent le même sort !


Diane Arbus par Violaine Binet, chez Grasset

Lila, Etre esclave en France et en mourir
par Dominique Torrès et Jean-Marie Pontaut, chez Fayard

3 commentaires:

cuisinek a dit…

il doit être agréable d'être "naïf"... personnellement, a vue de nez, j'estime a 2% de la population ceux qui se livrent à des pratiques d'esclavage ou proche (en incluant les actes de barbarie sur la famille... souvent des filles violées "en prime" par un père/oncle...) -- les acteurs sont plutot des 'bourgeois', des intouchables... et bien sur ceux ayant l'immunité (diplomates...)...

Marie-Claire Poirier a dit…

Je ne comprends pas bien qui est naïf dans l'affaire.
Mais cette statistique de 2% (qui doit être vraie car je l'ai déjà lue quelque part) fait frémir. Rapporté au nombre de personnes concernées cela fait une quantité énorme.
C'est pourquoi il faut signaler ce qu'on sait ... quand on sait bien sur.

Anonyme a dit…

J'ai lu ce livre en Bibliothèque. Je partage bien l'avis de notre commentatrice, la manière de raconter est trop subjective. Les auteurs nous font part des pensées des protagonistes, ils conduisent le lecteur là où ils veulent.
Ce qui m'intrigue c'est de savoir comment les enquêteurs peuvent réellement savoir ce qui s'est passé pendant les gardes à vue. Ils racontent cela comme s'ils y étaient. Cela affaibli de beaucoup la crédibilité du récit qui cherche à faire justice là ou la justice hésite. Dominique Torrès récidive dans un article de la revue "J'ai lu" ce n'est plus la cause d'une enfant de la misère qu'elle plaide. Voudrait-elle prouver quelque chose, a-t-elle quelque chose à démontrer qui passe à travers son parti pris ?
ni enquête, ni roman, cette lecture m'a laissé un goût amère de vengeance. Quelqu'un essaie de se venger à travers le livre. Les auteurs envers la société, peut-être pas, mais qu'en est-il du mystèrieux BRUNO ?

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