Nous étions faits pour être heureux, c'est ce que déclare Suzanne sans y croire vraiment et qui pourtant mettra tout en oeuvre pour. C'est ce que pense furtivement Serge sans avoir la détermination d'aller au bout. C'est ce qu'écrivait Louis Aragon pour Elsa en 1959. Ou plus exactement :
Nous étions faits pour être libres
Nous étions faits pour être heureux
Comme la vitre pour le givre
Un romantisme qui résonne avec nostalgie, deux sentiments représentatifs des fêlures qui émaillent les textes de Véronique Olmi. A croire qu'il n'y a dans son entourage que des couples qui ne s'aiment plus. C'est flagrant depuis le Premier amour (2010), suivi de Cet été là (2011), tous deux parus chez Grasset. Les protagonistes superposent une vie rêvée, en décalage avec leur existence réelle qu'ils n'ont pas le courage de regarder en face, ou du moins pas avec suffisamment d'ardeur pour changer le cours du destin.
Véronique Olmi est à la fois dramaturge et comédienne et cela se sent. Ses constructions font penser à Tchekov : la condition sociale détermine l'issue des relations. Ses personnages sont portés par de grandes aspirations mais leurs ailes sont trop petites pour leur permettre de se dégager de l'empreinte indélébile du passé. A moins que ce ne soit la fatalité qui détermine leur avenir. Là encore on sent planer des sentiments emblématiques de l'âme russe.
Suzanne et Serge n'ont pas que leur initiale en commun. Suzanne est une femme qui semble banale mais qui se révèle peu "ordinaire". Elle exerce un métier que l'on attribue plutôt à des hommes, aveugles de surcroit. Elle est accordeuse de piano. Capable aussi de percevoir au premier coup d'oeil les discordances des êtres. Celles de Serge vont la toucher en plein coeur et elle ne pourra s'empêcher de réparer chez lui une blessure d'enfance.
C'est étrange comme il suffit d'un rien pour qu'une vie se désaccorde, elle aussi, que notre existence, tellement unique, si précieuse, perde son harmonie et sa valeur. (page 20)
Véronique, la tragédienne, articule dans leurs oreilles des pensées qui les transportent. Elle parvient à théâtraliser les relations par une écriture qui fait progresser les confidences à la manière du Boléro de Ravel, avec juste ce qu'il faut de répétition pour que l'air s'ancre dans notre mémoire.
Beaucoup de confidences livrées dans ce livre tout en maintenant une économie de dialogues. Un piano ne s'accorde pas en une seule séance. Il peut être long à stabiliser. Serge aura besoin lui aussi de plusieurs rencontres pour effacer les fausses notes de sa vie.
Beaucoup de musique aussi. Avec des références clairement affirmées comme Nathalie Dessay chantant Mozart, comme l'air de Valentin dans Faust, le sublime Rêve d'amour de Liszt et le premier mouvement de la Sonate en Si mineur, deux morceaux que j'ai entendus avec bonheur au Festival de l'Orangerie de Sceaux il y a un an, interprétés par la prodigieuse Khatia Buniatishvili (je recommande sans réserve son disque sorti chez Sony musical en 2010). Et puis d'autres inscrites dans l'inconscient collectif. Il suffit d'une allusion à l'été indien pour que résonnent les paroles de la chanson de Joe Dassin et que l'on devine intuitivement que les promesses ne seront pas tenues :
On ira où tu voudras, quand tu voudras
Et on s'aimera encore lorsque l'amour sera mort
Auquel répond (page 66) Summertime d'Otis Redding, encore un homme qui demande de l'amour ... et qui révèle l'attirance de Serge pour Suzanne si proche de celle de Leonard Cohen qui tend le miroir.
L'auteur nous offre en prime un charmant tourisme parisien, d'abord dans le village de Montmartre, depuis la place des Abbesses, en empruntant la rue Lepic pour rejoindre le Nazir, puis dans le quartier Maubert, le Parc Monceau et autour de Saint-Lazare qui porte le nom d'un miraculé, nous poussant à nous interroger sur la part de hasard dans tout cela, comme si la partition était écrite d'avance et que ses héros de papier n'en sont que les interprètes, plus ou moins ... heureux.
A noter que l'auteur sera au Livre sur la Place à Nancy, avec beaucoup d'autres invités dont j'égrenais quelques noms dans la chronique que j'ai consacrée au Barbe bleue d'Amélie Nothomb.
Nous étions faits pour être heureux de Véronique Olmi, chez Albin Michel, sortie le 23 Août.
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