Vous savez l'attention que je porte aux premiers romans. Celui-ci n'a pas failli à la règle : je l'ai lu le lendemain de son atterrissage dans ma boite aux lettres, malgré d'autres urgences. Je n'ai pas été déçue. Julie Gouazé a une écriture déjà bien affirmée.
La citation (p. 53) du grand succès de Louise Attaque (2007) colle parfaitement à son style, aussi dynamique que J't'emmène au vent. Louise, c'est d'ailleurs le prénom de l'héroïne et le titre du livre, mais le roman aurait aussi bien pu s'appeler Alice tant les deux soeurs agissent en miroir, malgré 14 ans d'écart d'âge.
L'une boit, l'autre se noie dans une boite de nuit.
L'une a du mal à élever son enfant, l'autre à en concevoir.
Alice est la soeur chérie, adorée, imitée ... enfin jusqu'à un certain point. Jusqu'à ce qu'elle devienne comme un fantôme et que Louise se sente alors en constant décalage.
Louise est une hyperactive. Semble d'une solidité à toute épreuve mais le lecteur comprend vite que ce n'est qu'une armure qui protège son hypersensibilité. C'est aussi ce qui rend le personnage d'emblée si attachant. Elle se lance à corps et âme perdus dans des entreprises qui ne sont pas à sa portée. Louise expérimente. Probablement que son inconscient lui souffle que si elle accompagne un séropositif jusqu'au bout du bout, que si elle survit au monde de la nuit alors elle pourra aussi sauver sa soeur. Louise ne sait pas encore que dire non, cela s'apprend aussi.
S'étourdir. S'occuper. Surtout se taire. Sauf que s'abrutir jusqu'à l'écœurement ne guérit personne. Cela permet juste de cocher la case et de savoir qu'on ne l'y reprendra plus. (p. 56)
On s'inquiète avec elle pour sa soeur, et pour son neveu. On s'énerve presque que les parents ne remplissent pas leur fonction de "croqueurs de cauchemars" comme elle l'écrit si joliment (p.90). Et pourtant ils sont toujours présents, pas démissionnaires pour deux sous. Bref, on y croit.
Julie Gouazé raconte les années 70, les photos carrées, le formica, le Bac, Noël, les vacances en combi VW, la famille ... Il y a un chapitre magnifique sur la nourriture (le chapitre 16) que je ferais bien de méditer : ne pas nourrir c'est ne pas aimer. Cuisiner beaucoup, c'est adorer. Ne pas manger, c'est délaisser. (...) C'est une habitude de guerre, cette façon de ne rien jeter. C'est pour cette raison que Louise ne mange pas de pain frais.
Mon Dieu, comme j'ai pu râler chez mes parents contre cette même manie d'acheter une baguette fraîche, craquante, et si tentante chaque jour, mais d'attendre le lendemain pour la rompre, au motif qu'il faut bien finir d'abord le pain de la veille. Jusqu'à ce que je pense trouver la combine, engloutir l'une pour gagner le droit de l'autre. Peine perdue, le lendemain ma mère avait acheté deux baguettes. Ça m'est resté : aucun croissant au monde ne vaudra du pain frais au petit déjeuner.
L'auteur décrit l'alcoolisme avec des mots justes. Elle évoque le coma éthylique avec pudeur, sans verser dans le pathos. Sa retenue donne une force supplémentaire au récit qui est avant tout une histoire familiale où l'amour est au centre de tout.
Elle démontre aussi que la tête pense, et que lorsque les mots ne sont pas dits c'est le corps qui s'en charge. Mais que la vie réussit toujours à retrouver le chemin qui conduit vers le rire.
Julie Gouazé est née en 1977 à Lyon. Après un DEA d'histoire contemporaine et un DESS en communication politique, elle a travaillé dans la communication puis est devenue journaliste. Elle a collaboré à différentes publications. Après un passage à LCI elle a intégré la rédaction du magazine Ripostes sur France 5. Elle travaille depuis quatre ans en tant que lectrice pour plusieurs maisons d'éditions. Elle vit aujourd'hui à Paris. Louise est son premier roman.
Louise, Julie Gouazé, Léo Scheer, 162 pages, en librairie depuis le 20 août 2014
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